Mort d'Alexeï Navalny : ces affaires de corruption gênantes pour Vladimir Poutine qui ont été révélées par l'opposant russe
Il avait fait de la lutte anticorruption son combat principal. Alexeï Navalny, opposant numéro un à Vladimir Poutine, est mort à l'âge de 47 ans dans une colonie pénitentiaire de l'Arctique vendredi 16 février. Il y purgeait une peine de 19 ans de prison pour "extrémisme".
L'avocat de formation était connu pour avoir dévoilé l'ampleur de la corruption gangrénant le pays et les élites russes, à coups d'enquêtes très documentées publiées sur les réseaux sociaux. Celui pour qui la formation Russie unie de Vladimir Poutine était le "parti des escrocs et des voleurs" avait commencé dès 2007 à dénoncer les dérives du gouvernement. Il avait notamment créé la plateforme participative Rospil (terme qui signifie "pillage de la Russie") en 2010, pour dénoncer les cas de détournements de biens publics et de corruption, puis en 2011 la Fondation anticorruption (FBK), dont l'activité avait cessé dix ans plus tard. Franceinfo revient sur cinq affaires de corruption dénoncées par Alexeï Navalny.
Transneft, l'affaire qui fait connaître Alexeï Navalny
En 2010, l'activiste russe en est au début de sa croisade anticorruption. Il se met "à acheter des actions dans les grandes entreprises semi-étatiques du pays, et à leur demander des comptes", racontait en 2021 à RFI l'économiste Sergeï Gouriev. Documents à l'appui, Alexeï Navalny accuse ainsi Transneft, géant de l'industrie de pétrolière russe dirigé par un ancien collègue de Vladimir Poutine au KGB, de s'être enrichi de plus de 3 milliards d'euros, lors de la construction d'un gigantesque oléoduc reliant la Sibérie à l'océan Pacifique.
Cette affaire est révélée sur son blog personnel, créé quatre ans plus tôt. "Son site lui a servi de tremplin pour s'imposer dans le paysage de l'opposition", expliquait en 2021 Carole Grimaud Potter, professeure en géopolitique de la Russie à l'université de Montpellier. Quant à l'affaire Transneft, elle lui permet de se faire connaître en Russie comme à l'étranger.
L'empire immobilier de Dmitri Medvedev
En mars 2017, le militant passe à l'offensive contre le Premier ministre de Vladimir Poutine, Dmitri Medvedev. La temporalité n'est pas liée au hasard : Alexeï Navalny souhaite se présenter à la présidentielle de 2018. Dans le documentaire publié sur YouTube, Ne l'appelez pas Dimon (référence au diminutif du prénom Dmitri), le patrimoine immobilier du Premier ministre est exposé. La vidéo de la Fondation anticorruption (FBK) totalise aujourd'hui 46 millions de vues.
Dmitri Medvedev est accusé d'être à la tête d'un système de fondations caritatives alimentées par des oligarques et des banques sous contrôle de l'Etat, mais dont la destination finale serait son propre enrichissement personnel. Des manifestations massives s'en suivent. Des militants brandissent parfois des canards, en référence à une maison miniature dont disposeraient des canards dans l'une des résidences cossues de Medvedev. Le Premier ministre "avait nié les accusations, mais avait dû faire profil bas après ces révélations", rappelait en mai Cécile Vaissié, professeure à l'université de Rennes, auprès de franceinfo.
Le "palais de Poutine"
Le président russe est-il doté d'une somptueuse villa sur les bords de la mer Noire, sur un terrain faisant 39 fois la taille de Monaco ? C'est ce qu'affirme Alexeï Navalny dans le documentaire Un palais pour Poutine : L'histoire du plus gros pot-de-vin, publié sur YouTube le 19 janvier 2021, deux jours après l'arrestation de l'opposant à l'aéroport de Moscou. La vidéo, qui bat des records de visionnages (près de 130 millions à ce jour), présente des photographies inédites et des visualisations 3D du palais, et soutient, via des contrats, des documents bancaires et des témoignages, que Vladimir Poutine en est le propriétaire.
La villa, d'une valeur estimée à un peu plus d'1 milliard d'euros, serait équipée d'un casino, d'un théâtre, et d'une enceinte de hockey sur glace. Le tout construit sur un terrain du FSB, le renseignement russe. Parmi les détails marquants du film figure le coût supposé des brosses à WC : 700 euros, selon Alexeï Navalny. Lors des manifestations du 23 janvier, nombreux parmi les dizaines de milliers de participants brandissant l'objet, raconte alors l'AFP.
Vladimir Poutine doit intervenir lui-même pour se défendre. "Je n'ai pas vu ce film, faute de temps (...) Rien de ce qui est montré dedans comme étant mes biens ne m'appartient à moi ou à mes proches", affirme-t-il le 25 janvier.
En 2014, l'agence Reuters a révélé dans une enquête que ce palais avait été financé en partie par l'argent des contribuables, à partir de fonds récoltés dans le cadre d'un programme d'amélioration des établissements de santé russes.
Selon Alexeï Navalny, l'édifice a été payé par des proches de Vladimir Poutine, comme le patron du géant pétrolier Rosneft Igor Setchine et l'homme d'affaires Guennadi Timtchenko. "C'est un Etat au sein de la Russie. Et, dans cet Etat, il n'y a qu'un tsar inamovible. Poutine", estime l'opposant russe, cité par l'AFP. Il accuse le président russe d'être "obsédé par les richesses et le luxe".
Gazprom, un "monstre de corruption"
En juin 2022, la fondation de Navalny et les journalistes d'investigation de Proekt Media diffusent un documentaire visant Alexeï Miller, riche dirigeant du géant gazier Gazprom et ami de longue date du président russe. "Gazprom n'est pas seulement un monopoliste du gaz. C'est aussi un monstre de corruption, spécialement cultivé, sur lequel repose le pouvoir de Poutine", soutiennent dans la vidéo Maria Pevchikh et Georgy Alburov, les deux principaux enquêteurs de FBK, cités par Libération.
Le président russe "en a fait un portefeuille sans fond dans lequel vous pouvez retirer de l'argent, que ce soit pour les palais et les divertissements, ou même pour la guerre", affirment les journalistes. Alexeï Miller est accusé d'avoir détourné des milliards de la compagnie afin d'enrichir "les amis et la famille de Poutine".
Vladimir Poutine et ses yachts
Vladimir Poutine serait un grand amateur de yachts, selon la Fondation anticorruption (FBK). L'enquête de l'organisme se penche sur le Graceful, bateau de 82 mètres de long d'une valeur de 100 millions d'euros. Alors que sa construction est pourtant inachevée à Hambourg (Allemagne), son rapatriement immédiat en Russie est ordonnée en janvier 2022. Ce retour se produit à un mois du déclenchement de la guerre en Ukraine, à la suite de laquelle plusieurs actifs russes ont été gelés ou saisis par des pays occidentaux. Depuis, le bateau a été rebaptisé et réaménagé selon Forbes.
Un autre yacht de luxe, le Scheherazade, a été saisi en Italie en mai 2022 dans le cadre des sanctions européennes contre les oligarques russes. Son prix est estimé à 700 millions d'euros. Son propriétaire officiel est Eduard Khudaynatov, ancien patron du géant pétrolier Rosneft et proche du Kremlin. Mais selon FBK, son vrai détenteur n'est autre que Vladimir Poutine. Les traqueurs de yachts du site Dossier center, lié à l'opposant Mikhaïl Khodorkovski, assurent même qu'il s'agit d'un cadeau de Noël offert au président russe en 2014 par une poignée d'oligarques reconnaissants.
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