Mort d'Alexeï Navalny : le parcours de l'opposant numéro un à Vladimir Poutine en dix étapes clés
L'opposition à Vladimir Poutine en Russie perd son chef de file et principal symbole. Le militant anticorruption Alexeï Navalny est mort en prison, à l'âge de 47 ans, a annoncé le service pénitentiaire fédéral de Russie, vendredi 16 février. Engagé en politique dès 2011, victime d'une tentative d'empoisonnement, condamné à de multiples reprises et emprisonné en Arctique... Franceinfo résume, en dix moments clé, le combat d'Alexeï Navalny contre l'autocratie russe.
2007 : il se lance dans la lutte contre la corruption
Diplômé en droit des affaires, Alexeï Navalny achète à partir de 2007 des actions d'entreprises semi-publiques comme la banque VTB, le pétrolier Rosneft ou le gazier Gazprom. Le but : accéder à leurs comptes et exiger leur transparence.
La même année, il est exclu du parti d'opposition libéral Iabloko pour ses prises de positions ultranationalistes. Sur son site internet Rospil (un terme russe qui désigne le pillage des richesses, surtout celles de l'Etat), il traque dès 2010 les faits de corruption dans l'administration.
2011 : il prend la tête des manifestations anti-Poutine
A l'hiver 2011, Alexeï Navalny prend la tête du mouvement de contestation des résultats des élections législatives remportées par le parti de Vladimir Poutine, déjà au pouvoir. Selon lui, seule une mobilisation accrue dans la rue permettra d'obtenir des concessions du Kremlin. Les rassemblements sont d'une ampleur inédite depuis l'arrivée au pouvoir du dirigeant russe, en 2000. Il crée la Fondation anti-corruption (FBK), et fait l'objet de premières procédures judiciaires.
Juillet 2013 : il est condamné pour escroquerie
Les ennuis judiciaires du militant s'aggravent. La justice russe l'accuse de malversations dans une affaire de vente de bois dans la région de Kirov en 2009, alors qu'il œuvrait comme conseiller du gouverneur local, un proche du président russe Dmitri Medvedev (Vladimir Poutine est alors premier ministre). Le 18 juillet 2013, Alexeï Navalny est condamné à cinq ans de prison pour détournement de fonds au détriment de l'exploitation forestière Kirovles. Il dénonce une "vengeance politique" du Kremlin après ses révélations sur la corruption. Il fait appel et obtient finalement une peine avec sursis en 2017.
Septembre 2013 : il est candidat à la mairie de Moscou
Son statut de visage de l'opposition est renforcé par sa candidature à l'élection municipale de Moscou, en septembre 2013. Mais le maire sortant Sergueï Sobianine, proche de Poutine, l'emporte dès le premier tour avec 51,3% des voix. Alexeï Navalny finit deuxième avec 27,2% des voix, et dénonce des "falsifications" lors du dépouillement des votes. Deux ans plus tard, sa formation, le Parti du progrès, est interdite.
Mars 2017 : il accuse le Premier ministre Medvedev de corruption
Dans une enquête sur YouTube, Alexeï Navalny accuse le Premier ministre Dmitri Medvedev d'être à la tête d'un empire immobilier financé par des oligarques. Des milliers de manifestants brandissent des canards en plastique, en référence à la maison miniature dont disposeraient les canards dans l'une des résidences de l'ancien président.
Décembre 2017 : il est interdit de participer à la présidentielle
Alexeï Navalny se porte candidat à la présidentielle de 2018, mais la commission électorale le déclare inéligible en raison de sa condamnation dans l'affaire Kirovles. Le militant qualifie à nouveau cette condamnation de "fabriquée". L'élection est aisément remportée par Vladimir Poutine, avec 76,7% des voix au premier tour.
Août 2020 : empoisonné, il passe près de la mort
Le 20 août 2020, Alexeï Navalny fait un malaise dans un avion qui le ramène à Moscou depuis la Sibérie. Hospitalisé dans un état grave, il est transféré dans le coma à Berlin à la demande de ses proches.
En septembre, les médecins allemands confirment les soupçons d'empoisonnement : les résultats cliniques révèlent "une intoxication par une substance du groupe des inhibiteurs de la cholinestérase" – soit un agent neurotoxique comme le gaz sarin ou le Novitchok, produit neurotoxique développé à des fins militaires à l'époque soviétique et déjà utilisé dans d'autres affaires d'empoisonnement, comme celle de l'ex-agent double russe Sergueï Skripal.
Rétabli, Alexeï Navalny accuse Vladimir Poutine d'avoir ordonné directement son meurtre. "Inacceptable" pour Moscou, qui affirme que ses expertises n'avaient trouvé aucune substance toxique sur lui. La Cour européenne des droits de l'homme a condamné la Russie en juin 2023 pour "l'absence d'enquête effective".
Janvier 2021 : il est arrêté et emprisonné
Après une convalescence en Allemagne, Alexeï Navalny décide de rentrer en Russie, malgré le risque d'y être emprisonné : la justice a en effet enregistré une plainte demandant la conversion de sa peine avec sursis en prison ferme. Il est arrêté dès son atterrissage à Moscou, le 17 janvier 2021.
Son placement en détention déclenche des manifestations massives de sympathisants à travers la Russie. Des dizaines de milliers de personnes sont arrêtées, selon un décompte de l'ONG spécialisée OVD-Info. Le 2 février, son sursis pour "fraude" est effectivement converti une sentence de deux ans et demi de prison ferme. Il est envoyé dans une colonie pénitentiaire à 100 km à l'est de Moscou. Son organisation anti-corruption FBK est fermée pour "extrémisme".
Même depuis la prison, il ne cesse pas d'irriter le Kremlin. Le 19 janvier, une nouvelle enquête vidéo accuse Vladimir Poutine d'être le véritable propriétaire d'un palais d'une valeur de 1,5 milliard d'euros au bord de la mer Noire, doté entre autres de vignobles, d'une salle de hockey sur glace et d'un casino, sur un domaine "39 fois plus grand que Monaco". L'enquête engrange des dizaines de millions de vues sur YouTube. Le président russe dément.
Mars 2022 : il écope de 9 ans de prison supplémentaires
Le 20 octobre 2021, Alexeï Navalny reçoit le prix Sakharov de défense de la liberté de pensée, décerné par le Parlement européen. Mais en Russie, il rejoint la liste des "terroristes et extrémistes". Jugé coupable d'"escroquerie" et "outrage à magistrat", il est condamné le 22 mars 2022 à neuf ans de prison en régime "sévère" .
L'opposant est transféré dans la prison de Melekhovo, à 250 km à l'ouest de Moscou, d'où il pourfend l'invasion de l'Ukraine. Sur les réseaux sociaux, par l'intermédiaire de ses avocats, il décrit ses séjours réguliers en cellule d'isolement, une pièce exiguë de six mètres carrés avec pour seul meuble un tabouret.
2023 : il est condamné à 19 ans de prison puis envoyé dans l'Arctique
Le 4 août 2023, Alexeï Navalny est condamné à 19 ans de prison pour "extrémisme" . "Poutine ne doit pas atteindre son objectif. Ne perdez pas la volonté de résister", écrit-il alors dans un message à ses soutiens, disant considérer sa peine comme l'équivalent d'une "condamnation à perpétuité".
En décembre, il disparaît des radars pendant près de trois semaines, selon ses proches, sans nouvelles. Le 25 décembre, sa porte-parole annonce finalement qu'il "va bien", mais qu'il a été transféré dans la colonie pénitentiaire de Kharp, dans l'Arctique russe, au-delà du cercle polaire. Sa récente peine prévoyait en effet qu'il soit envoyé dans une colonie "à régime spécial", aux conditions particulièrement dures, où sont d’ordinaire envoyés les criminels les plus dangereux condamnés à perpétuité.
Depuis Kharp, il avait appelé, le 1er février, à des manifestations partout en Russie, cette fois pour l'élection présidentielle prévue du 15 au 17 mars. C'est là qu'il est mort, deux semaines plus tard, selon l'administration pénitentiaire russe.
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