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Rébellion de Wagner : pourquoi les chefs de guerre russes Sergueï Choïgou et Valeriy Guerassimov sont dans le viseur d'Evguéni Prigojine

Article rédigé par Zoé Aucaigne, franceinfo
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Publié
Temps de lecture : 7min
Le ministre de la Défense russe, Sergueï Choïgou (à gauche), et le chef de l'état-major des forces russes, Valeriy Guerassimov (à droite), le 17 décembre 2022. (GAVRIIL GRIGOROV / SPOUTNIK / AFP)
Le chef de la milice Wagner accuse les deux alliés de Vladimir Poutine d'avoir sacrifié des milliers d'hommes en Ukraine.

"Lâches", "créatures puantes", "bande de salauds"... Ces dernières semaines, Evguéni Prigojine ne manquait pas de qualificatifs insultants pour s'en prendre aux bras armés de Vladimir Poutine dans le conflit ukrainien. Lors de sa rébellion contre le Kremlin, débutée vendredi 23 juin et avortée 24 heures plus tard, le chef de la milice russe Wagner avait promis de "libérer le peuple russe", ciblant notamment ses deux ennemis jurés : le ministre de la Défense russe, Sergueï Choïgou, et le chef d'état-major du pays, Valeriy Guerassimov.

>> Retrouvez le récit de la nuit où le groupe paramilitaire d'Evguéni Prigojine a lancé les hostilités contre l'armée russe

Evguéni Prigojine les accuse d'être responsables de la mort de "dizaines de milliers de Russes" sur le front ukrainien. Pourquoi sont-ils dans son collimateur ? Cette rivalité a-t-elle déclenché la rébellion ? Franceinfo liste les sujets de discorde entre le chef de Wagner et les deux affidés du président russe.

Parce qu'Evguéni Prigojine les accuse de lui mettre des bâtons dans les roues

Depuis plusieurs mois, le patron de Wagner accuse le ministère de la Défense russe de gêner l'action de ses miliciens. Dernier exemple en date : des frappes meurtrières menées sur des camps de Wagner en Ukraine, attribuées vendredi à l'armée russe par Evguéni Prigojine. Le Kremlin a démenti dans la foulée, mais "si cette attaque est avérée, je pense que c'est la goutte d'eau qui a fait déborder le vase", avance Carole Grimaud-Potter, enseignante en géopolitique de la Russie. Cette hypothèse a en tout cas été confirmée par le chef de Wagner dans son allocution lundi : "Malgré le fait que nous n'ayons montré aucun signe d'agression, nous avons été touchés par des missiles. Une trentaine de combattants ont été tués. Ce fut le déclencheur."

Déjà, début février, Evguéni Prigojine avait critiqué la "monstrueuse bureaucratie militaire" qui empêchait, d'après lui, la prise rapide de la ville de Bakhmout, en Ukraine, où ses mercenaires sont morts par milliers. Il avait d'ailleurs menacé de se retirer de la ville s'ils ne recevaient pas davantage de munitions, avant d'affirmer les avoir obtenues. Le chef des miliciens en avait profité pour brandir sa victoire dans cette localité clé, où "il n'y avait que Wagner" parmi les combattants, selon lui. "Mais au bout d'un moment, quand vos hommes tombent comme des mouches, l'instrument de combat s'use", explique Philippe Migault, directeur du Centre européen d'analyses stratégiques et spécialiste de la Russie. Il avait imputé ses pertes aux militaires russes, accusés de laisser ses hommes batailler seuls. 

Le patron du groupe Wagner, Evguéni Prigojine, le 20 mai 2023 à Bakhmout (Ukraine). (TELEGRAM @CONCORDGROUP_OFFICIAL / AFP)

Des combattants envoyés au casse-pipe, donc, et qu'il est désormais plus difficile à remplacer. Moscou a en effet adopté deux textes sur l'envoi de prisonniers au front, permettant aux détenus de signer un contrat avec le ministère de la Défense dans l'espoir d'être graciés à la fin de leur mission. La prison était pourtant le vivier d'hommes dans lequel Evguéni Prigojine piochait pour alimenter ses troupes. "Il voit cela comme un moyen pour Sergueï Choïgou de lui mettre des bâtons dans les roues", observe Carole Grimaud-Potter.

Parce qu'il les juge responsables des gains territoriaux de l'Ukraine dans sa contre-offensive

Evguéni Prigojine méprise l'état-major russe, qu'il juge incompétent pour tenir et faire avancer le front. "Il n'y a aucun contrôle, il n'y a pas de succès militaires" russes, a-t-il fustigé dans une vidéo publiée sur Telegram vendredi. Quand Sergueï Choïgou a assuré que les troupes ukrainiennes avaient échoué à percer les défenses russes, le chef de Wagner a qualifié de "profonde tromperie" ces déclarations victorieuses. 

"Prigojine juge l'armée régulière incompétente sur la logistique. Il critique également les généraux qui sont à sa tête, et plus largement la chaîne de commandement."

Carole Grimaud-Potter, spécialiste de la Russie

à franceinfo

En ce sens, le chef d'état-major Valeriy Guerassimov en prend pour son grade. Sergueï Choïgou et lui "doivent être tenus responsables du génocide du peuple russe, et du transfert de territoires russes à l'ennemi", a encore tancé Evguéni Prigojine dans sa vidéo.

Reste que Sergueï Sourovikine, prédécesseur de Valeriy Guerassimov au poste de chef d'état-major, n'avait pas fait l'objet d'insultes cinglantes. "Guerassimov est un personnage qu'on a rarement vu sur un centre d'opérations, c'est davantage un fonctionnaire qu'un homme de terrain comme Sourovikine que, je pense, Prigojine affectionne", suggère Carole Grimaud-Potter. Connu pour sa cruauté, "Sourovikine est semblable à Prigojine : fort en gueule et brutal, abonde Philippe Migault. Guerassimov est plutôt un intellectuel, qui ne montre pas la même rudesse en termes de langage et sur le terrain que Prigojine et Sourovikine."

Parce qu'il sentait l'étau du ministère de la Défense russe se resserrer sur Wagner

Le contrôle du Kremlin se resserrait sur les hommes d'Evguéni Prigojine. D'ici au samedi 1er juillet, les formations de volontaires engagées dans la guerre en Ukraine – dont Wagner –  devront avoir signé un contrat avec le ministère de la Défense. "Le ministre de la Défense russe comptait reprendre le contrôle fonctionnel de Wagner et mettre de l'ordre dans tout ça", rappelle Olivier Kempf, directeur du cabinet de synthèse stratégique La Vigie. Une décision que "personne n'a acceptée (…) car tout le monde comprenait que cela entraînerait une perte de capacité de combat et que les combattants expérimentés serviraient de chair à canon", a affirmé lundi Prigojine dans son message audio.

D'après la journaliste d'investigation russe, Ksenia Bolchakova, lauréate du prix Albert-Londres 2022 pour son documentaire sur Wagner, le chef des miliciens n'a pas supporté cette perte d'autonomie, le poussant à prendre la décision d'organiser une rébellion. "C'était inadmissible pour Prigojine, qui ne voulait surtout pas se retrouver sous la tutelle" du ministre de la Défense, Sergueï Choïgou, et du chef d'état-major, Valeriy Guerassimov, a-t-elle analysé au micro de France Inter.

"Il comptait sur un soutien de Vladimir Poutine, qu'il n'a pas eu, c'est là que s'est produit ce point de rupture."

Ksenia Bolchakova, journaliste d'investigation russe

à France Inter

Et maintenant, que va devenir Evguéni Prigojine ? Il est toujours visé par une enquête pénale pour sa rébellion avortée, malgré l'annonce par le Kremlin d'un accord prévoyant l'abandon des poursuites, ont rapporté les agences de presse russes. Quant à Wagner, le quartier général du groupe, situé à Saint-Pétersbourg (nord-ouest), a assuré lundi que les opérations se poursuivaient "normalement".

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