L’espionnage peut-il changer le monde ? (Partie 1)
On le sait, le plus redoutable adversaire de James Bond n’était autre que le KGB. Un duel aussi implacable qu’imaginaire. Il résume encore aujourd’hui l’archétype des combats menés par les agents sur le terrain ou derrière leur écran d’ordinateur.
Dans la réalité, la France a connu un épisode presqu’aussi incroyable de cette confrontation entre USA et URSS. L’ouvrage intitulé L’affaire Farewell vue de l’intérieur, de Raymond Nart et Jacky Debain (éditions du Nouveau Monde), deux anciens responsables de la DST (la Direction de la sécurité intérieure, devenue aujourd’hui la DCRI) le raconte en détail et avec force révélations.
Voici en résumé, l’un des moments déterminants de ce chapitre de la Guerre froide:
La scène se passe au début du mois d’aout 1981. George Bush, à l’époque vice-président des Etats-Unis reçoit dans sa résidence privée Marcel Chalet, le patron du contre-espionnage français. Il fait chaud et l’on se promène. Les deux hommes échangent autour d’une affaire d’espionnage qui laisse perplexe le numéro un américain, Ronald Reagan.
Un mois auparavant, au sommet d’Ottawa, le tout nouveau président élu, François Mitterrand, a en effet tenté de faire entendre à son homologue de Washington qu’il disposait de renseignements cruciaux pour la sécurité des USA. Tout cela grâce à une source de première importance située au cœur de l’appareil soviétique.
Mais Reagan, qui se méfie de ce vieux politicien français et surtout de ses ministres communistes, n’a rien voulu comprendre. Alors, dans le parc où ils déambulent, les deux hommes mettent au point une réunion qui devra rapidement convaincre le chef de l’administration américaine. Pour ce faire, FBI, NSA (les grandes oreilles US) et CIA, bref, le gratin du renseignement d’outre-Atlantique, est réuni.
Sur la table, une cinquantaine de photocopies apportées par Marcel Chalet, de quoi faire frémir tous les responsables présents. La mise à jour des secrets de la défense américaine par les espions soviétiques apparaît considérable. Chacun constate l’ampleur des dégâts. Et tout le monde de tomber d’accord, en particulier George Bush qui affirme : «C’est la première percée significative de l’Ouest derrière le rideau de fer !» Une percée qui avait pour nom de code: Farewell.
Au KGB, Farewell occupe une fonction rêvée pour qui veut tout savoir de l’activité des services soviétiques. A Moscou, il dirige un bureau par lequel transite toute la production du KGB dans le monde. On traduit en russe les documents recueillis et les consignes sont ensuite retransmises dans le monde aux «résidents» russes. Farewell, de son vrai nom Vetrov, est donc placé au carrefour même de l’appareil du renseignement, de l’autre côté du rideau de fer. Ce sont ses documents qui viennent de convaincre les américains lors du meeting de juillet.
Une affaire de premier plan
Dans sa totalité, l’histoire de Farewell est pleine de rebondissements. Elle rassemble tous les ingrédients du récit d’espionnage: le suspense avec risque de vie ou de mort, la trahison, le sexe. Le film éponyme n’en donne l’intensité que de très loin.
Ce fut pourtant certainement le plus important dossier traité par les services français. Certes, la CIA a fourni un minuscule appareil photo pour permettre à Vetrov de faire tous les clichés qu’il souhaitait avec le degré de qualité requis. Mais pour la première fois, c’était bien les Français qui apportaient une affaire de premier plan aux américains.
Et c’est ainsi que la DST va utiliser de simples quidams pour entretenir la relation avec l’agent russe qui fait défection. Ce n’est que plus tard qu’un militaire, Jacques Ferrand, spécialiste de la chose clandestine entrera en scène. Il n’en sera jamais remercié. Un scandale, à ce jour resté sans réparation.
Mais en définitive, peut-on considérer que la taupe Farewell a changé le monde?
Pour certains, il ne serait qu’un coup de bluff, l’invention d’un moment bien particulier de l’histoire du monde. Dans leur affrontement, les deux blocs sont en train de se promettre un conflit d’un nouveau genre, la fameuse «guerre des étoiles». Il s’agit de se doter d’une sorte de bouclier spatial où tout missile lancé par l’adversaire serait détruit en vol via un réseau de satellites. Autrement dit, devenir invincible aux attaques de l’autre.
Or, pour ceux qui furent les chevilles ouvrières de l’affaire, Farewell a permis aux Américains de savoir que l’URSS envisageait de se lancer dans cette course à l’armement. Reagan a alors joué une partie de poker menteur obligeant Moscou à consacrer toujours plus de crédit à cette guerre dernier cri et, en définitive, à s’y épuiser. Farewell aurait donc changé la face du monde en précipitant la fin du système communiste.
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