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Moscou s'offre l'une des plus grandes mosquées d'Europe pour l'Aid el-Kebir

Le complexe somptueusement rénové de la Grande Mosquée de Moscou ouvre le 23 septembre, deux jours avant l'Aid el-Kebir, en présence de représentants du monde islamique. Vladimir Poutine et le président turc Recep Erdogan seront les premiers à en franchir le seuil. L'occasion de s'interroger sur la place des musulmans dans la Russie contemporaine et la politique du Kremlin à leur égard.
Article rédigé par Miriam Palisson
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
La Grande Mosquée de Moscou rénovée rouvre ses portes le 23 septembre 2015. (AFP / SEFA KARACAN / ANADOLU AGENCY )

C'est une mosquée flambant neuve et somptueusement décorée qui ouvre ses portes le 23 septembre, juste avant l'Aid el-Kebir ou fête du sacrifice – appelé Kurban Baïram en Russie. Les travaux d'architecture ont été confiés à un peintre tatar, Firinat Khalikov. Marbre et malachite, or et turquoise, murs ornés à la main par des artistes turcs, dôme et mihrab enluminés sous la direction du grand calligraphe Hüseyin Kutlu… Les minarets, eux, s'inspirent des tours du Kremlin de Moscou et de celui de Kazan. La mosquée est l'une des plus grandes d'Europe – après «Cœur de la Tchétchénie» à Grozny, baptisée ainsi par Akhmad Karyrov, père de l'actuel président tchétchène.

Un complexe ultramoderne aux frais d'un oligarque daghestanais
La décision de raser le vieil édifice délabré, datant de 1904, avait fait polémique en 2011. La mosquée a été reconstruite sur le même emplacement, acquis au début du siècle par des commerçants tatars, près de Prospekt mira («avenue de la Paix»). Le nouveau bâtiment, vingt fois plus grand, alliant tradition orientale – minarets de 72 mètres, coupole dorée ornée de versets du Coran – et modernité avec système d'air conditionné, accessibilité aux handicapés et pas moins de sept ascenseurs, devrait contenter les fidèles.

La décoration intérieure de la Grande Mosquée a été réalisée par des artistes et calligraphes turcs, sous la direction d'un achitecte tatar. (AFP / SEFA KARACAN / ANADOLU AGENCY )

Ce sont eux qui ont financé la restauration, étalée sur dix ans et d'un coût de 170 millions de dollars. Le président palestinien, Mahmoud Abbas, a offert 25.000 dollars au nom des enfants de la Palestine. Mais c'est un oligarque du Daghestan, Souleyman Kerimov, qui a payé le plus gros des travaux en fournissant 100 millions d'euros. Le milliardaire avait fait parler de lui en 2011 en dépensant des fortunes pour le club de foot daghestanais.

Moscou manque de lieux de culte musulmans
Le nouveau complexe est doté d'une salle de conférences, d'une galerie d'exposition et d'un espace de 1 000 m² réservé aux femmes. Il peut accueillir plus de 10.000 personnes, ce qui en fait l'une des plus grandes mosquées de Russie et même d'Europe, mais ne réglera pas le problème du manque de lieux de culte musulman à Moscou. Selon les estimations, entre 60.000 et 100.000 fidèles viennent prier à la Grande Mosquée lors des grandes fêtes musulmanes, et débordent dans toutes les ruelles voisines.

D'après Rouchane Abbiassov, premier vice-président du Conseil des muftis de Russie (CMR), la seule prière du vendredi en réunit parfois 10.000 : la Grande Mosquée fera donc le plein dès l'ouverture. Certains représentants du culte musulman estiment que l'argent de cette rénovation aurait été mieux employé à répartir plusieurs mosquées plus petites dans toute la ville. Moscou n'en a que six, et selon M.Abbiassov, il en faudrait une pour chacun de dix arrondissements de la capitale. Moscou compte 2 millions de musulmans, sur 12 millions d'habitants.

Une population venue du Caucase russe ou des Etats d'Asie centrale
Pour désengorger les lieux de culte, la mairie de Moscou avait en 2012 un projet de centre humanitaire islamiste à Mitino, un quartier nord-ouest de Moscou. Mais les habitants s'y sont opposés. Dans les quartiers où sont implantées des mosquées, certains riverains se plaignent que «le vendredi, on a l'impression de ne pas être en Russie». Les immigrés du Caucase russe ou des Etats voisins d'Asie centrale, pour la plupart employés illégalement sur les chantiers de construction, sont souvent victimes d'un racisme banalisé, traités de «culs-noirs», parfois victimes de «chasses aux immigrés» extrêmement violentes. La méfiance à leur égard est exacerbée depuis les guerres de Tchétchénie et les attentats terroristes qu'a vécus la capitale dans les années 2000.
Musulmans attendant la prière du matin le jour de l'Aid el-Fitr près de la Grande Mosquée de Moscou, le 30 août 2011. (REUTERS / Mikhail Voskresensky )


Avec la montée de l'islamisme radical, c'est aussi le Kremlin qui a besoin de lieux de prière officiellement contrôlés. Selon le Courrier de Russie, 200.000 musulmans célébraient à Moscou en 2014 l'Aïd el-Fitr, la fête de la fin du ramadan. Deux fois plus que l'année précédente. Leur nombre dans toute la Russie n'est pas chiffré officiellement, mais estimé à environ 15 millions, jusqu'à une vingtaine, selon les sources, soit 10 à 12% de la population. Ce nombre serait en hausse.

Quelle politique du Kremlin envers l'islam ?
Pour lutter contre l'extrémisme religieux qui mine le Daghestan et le Caucase du Nord, l'Etat encourage et subventionne le soufisme, courant islamique modéré. Mais sa politique maladroite envers des organisations comme le Norm (Organisation nationale des musulmans de Russie) porte le risque d'une radicalisation via une émigration vers la Turquie, selon le journaliste de Rousskaïa Planeta («Planète russe») Kharun Sidorov. «Istanbul a tout le potentiel nécessaire pour devenir le centre informel des indésirables de l’islam en Russie», écrit-il après avoir souligné l'ouverture dans la capitale turque d'un centre musulman pour les russophones.

Pour souligner l'importance des relations entre la Russie et le monde islamique, Vladimir Poutine a invité les dirigeants de l'Arabie Saoudite, de la Palestine, de la Jordanie, du Qatar, du Koweït, de la Turquie et de l'Iran, communique le site Sputniknews. Ils sont attendus au côté des représentants des ex-républiques soviétiques d'Asie centrale (Kazakhstan, Kirghizstan, Azerbaïdjan, Turkménistan, Ouzbékistan, Tadjikistan).

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