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Russie: les jeunes à la pointe des manifestations anti-corruption
Des milliers de Russes ont manifesté le 26 mars 2017 contre la corruption dans tout le pays à l’appel de l’opposant Alexeï Navalny. Ces manifestations, d’une rare ampleur, montrent aussi un rajeunissement de l’opposition au Kremlin. Dans l’histoire récente du pays, jamais autant d'étudiants et de lycéens ne s’étaient impliqués de cette façon, ont relevé tous les observateurs indépendants.
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«Il y a eu beaucoup de jeunes arrêtés, de 17 ou 18 ans», explique Oleg Ielisseïev, un avocat qui a fait libérer trois adolescents sans qu'aucune charge ne soit retenue contre eux. «C'est la première fois en Russie. Les manifestations se rajeunissent», poursuit-il.
L'organisation OVD-Info, spécialisée dans la surveillance des manifestations, fait le même constat. «Nous n'avons pas les statistiques exactes, mais il y avait vraiment beaucoup de mineurs et d'étudiants», assure un porte-parole de cette organisation, qui désire rester anonyme. «Dans chaque poste de police, il y avait au moins deux ou trois adolescents. Cela n'était pas le cas avant», ajoute-t-il. Ces jeunes, qui n’ont jamais connu d’autre président que Vladimir Poutine, ont ainsi rejoint les opposants «historiques» au Kremlin.
Jugé le 27 mars pour avoir organisé ces défilés, Alexeï Navalny, avocat et blogueur, a remercié les jeunes d’avoir répondu à son appel. «Je suis vraiment heureux de la naissance dans ce pays d’une génération qui veut être citoyenne, qui n’a pas peur», a-t-il déclaré. De son côté, le Kremlin l’a accusé de «tromper consciemment des enfants» et des mineurs en les encourageant à participer à une «manifestation non autorisée».
Maîtrise des réseaux sociaux
Avec son langage direct, sa maîtrise des réseaux sociaux et sa propension à envoyer des tweets même depuis le tribunal, Alexeï Navalny ne ressemble à aucun autre homme politique russe. Une approche dans laquelle peut se retrouver la dernière génération. Laquelle ne regarde pas les télévisions publiques et n'a pas connu le trouble des années 1990, caractérisées par un chaos économique et politique auquel a succédé la «stabilité» de l'ère Poutine. Alexeï Navalny est un homme qui sait utiliser les médias. Depuis des années, il dénonce sur son blog la corruption des élites en Russie.
Preuve de cette maîtrise médiatique, Alexeï est ainsi l’auteur d’un rapport-enquête sous forme de film accusant le Premier ministre Dmitri Medvedev de se trouver à la tête d’un empire immobilier financé par les oligarques. Le document a été vu par plus de 13,5 millions de fois sur Youtube !
«Nous avons tous vu le film, il donne des exemples précis de corruption», selon Nikolaï Moïsseï, ouvrier de 26 ans interviewé par l’AFP. «Ils volent et ils mentent mais les gens restent patients. Cette manifestation est une première impulsion pour que les gens commencent à agir.»
Nombreuses manifestations en province
Autre facteur remarquable: les manifestations ont été nombreuses dans des dizaines de villes de province, d’ordinaire plutôt calmes. Ainsi en Sibérie, les médias locaux ont fait état d’environ 1500 manifestants à Krasnoïarsk et Oms, et de 2000 à Novossibirsk.
A Vladivostok, à l'extrémité orientale de la Russie, un journaliste de Reuters a assisté à l'arrestation d'une trentaine de personnes lors d'une manifestation non autorisée qui a réuni plusieurs centaines de jeunes gens sur une place proche de la gare ferroviaire. Avant l'intervention de la police, les protestataires ont déployé des banderoles affirmant «la corruption vole notre avenir» ou «le Premier ministre doit s'expliquer».
Plusieurs centaines de personnes se sont également réunies à Iekaterinbourg, dans la région de l'Oural. Les manifestants étaient entre 500 et 700, selon la police.
Les défilés ont également touché les grandes villes. A Saint-Pétersbourg, quelque 4000 personnes sont descendues dans les rues malgré l’interdiction des autorités et une présence policière massive. A Moscou, plusieurs milliers de personnes se sont réunies sur la rue Tverskaïa, l’une des principales artères de la capitale. La police «a pris des gens au hasard, des gens qui ne tenaient aucune pancarte ou ne faisaient rien du tout», raconte un jeune de 16 ans présent sur place. Selon son amie, «beaucoup de gens étaient très, très jeunes et ne s’étaient jamais trouvés dans cette situation, ils ne savaient pas quoi faire et étaient paniqués».
Les médias officiels russes ont ignoré ces mobilisations considérées comme les plus importantes depuis les manifestations anti-Kremlin de l'hiver 2011-2012. Pour leur part, les sites en français RT (pour Russia Today), et Sputnik, financés par Moscou et évidemment destiné à un public non-russe, ont évoqué les défilés. Reprenant la thèse du porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov, les jeunes descendus dans les rues de la capitale étaient «des adolescents payés».
Selon Dmitri Peskov, les organisateurs ont promis «des récompenses financières» à des mineurs s'ils se faisaient arrêter. «Il existe des preuves qui le confirment», a-t-il ajouté, cité par Sputnik. Preuves qui seront présentées si «les forces de l’ordre le jugent nécessaire». «En plus, ils sont descendus dans le centre-ville en gênant la circulation et en menaçant la sécurité de nombreux passants qui s'y trouvaient pendant le week-end», a précisé le porte-parole.
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