Syrie : comment, après les séismes, Bachar Al-Assad tente de redevenir fréquentable sur la scène internationale
Une tragédie transformée en stratagème politique. Alors que le bilan des séismes survenus en Turquie et en Syrie le 6 février ne cesse de s'alourdir, le régime syrien tente d'utiliser la catastrophe pour retrouver une place sur la scène internationale. Selon les derniers chiffres officiels, publiés jeudi 16 février, plus de 45 000 personnes ont trouvé la mort, dont plus de 3 700 en Syrie. En outre, deux séismes de forte puissance (6,4 et 5,8) ont de nouveau secoué, lundi soir, la province turque de Hatay et le nord de la Syrie. Dans cette zone, la situation politique, en partie tenu par les rebelles, complique l'arrivée de l'aide humanitaire. Elle a même poussé le président syrien Bachar Al-Assad à lancer un appel à l'aide internationale pour reconstruire les régions de son pays détruites par les tremblements de terre.
Le nord-est de la Syrie, où vivent plusieurs millions d'habitants, était déjà très dépendant de l'aide internationale avant la catastrophe. La faute aux bombardements de l'aviation russe et de l'armée syrienne, onze ans après le début de la guerre civile. Le président de l'organisation humanitaire française Mehad, Ziad Alissa, et son responsable de formation, Raphaël Pitti, dénonçaient ainsi lundi 13 février dans Libération une "réponse internationale (...) inadaptée" et "pas à la hauteur de l'ampleur de la catastrophe".
Le régime critiqué pour sa gestion de la catastrophe
L'ouverture d'un unique point de passage en Turquie, Bab al-Hawa, dans les jours qui ont suivi la catastrophe, a grandement ralenti l'arrivée de l'aide internationale dans le nord de la Syrie. Malgré les demandes répétées de l'ONU, Bachar Al-Assad n'a autorisé l'ouverture de deux points de passage transfrontaliers supplémentaires entre la Turquie et la Syrie que sept jours après les séismes. La lenteur de la réponse du régime syrien a été largement critiquée par la communauté internationale. "Il est impératif que l'ouverture des couloirs humanitaires soit une décision des Nations unies" a réagi auprès de l'AFP Raphaël Pitti. Le spécialiste déplorait ainsi "la lenteur d'une décision (...) qui aurait dû se faire dès le lendemain" des séismes.
Mis ainsi en cause pour sa gestion de la catastrophe, le régime syrien a dénoncé le poids des sanctions internationales. "Les sanctions américaines et européennes entravent la réponse humanitaire", a-t-il affirmé, repris par la presse progouvernementale. "La tragédie nous rassemble ; les sanctions nous tuent", a ainsi titré le quotidien syrien El Watan le 8 février, rapporte Courrier international (réservé aux abonnés).
Les sanctions drastiques prises par l'Union européenne (UE) et les Etats-Unis sont essentiellement de nature économique et interdisent, entre autres, l'importation et l'exportation de biens vers le pays. Elles visent aussi les actifs des membres du régime syrien et ont fait de Bachar Al-Assad un paria sur la scène internationale au cours de la dernière décennie. La Syrie ne compte comme alliés que l'Iran et la Russie, eux-mêmes isolés sur la scène internationale. La guerre civile et la crise économique nourrie par cette mise à l'écart ont fait basculer près de 90% de la population dans la pauvreté et provoqué des millions de départs pour l'étranger, comme le rappelle l'ONU. En visite à Alep le 10 février, le président syrien a ainsi accusé "l'Ouest de prioriser la politique plutôt que la situation humanitaire", rapporte l'agence AP*. "Assad essaye d'exploiter les tremblements de terre pour sortir de son isolement sur la scène internationale", résumait la directrice du programme Moyen-Orient de Chatham House, dans le même article.
Une petite musique qui monte en France
L'argumentaire du régime syrien est repris par ses relais à l'étranger, y compris en France. En exemple, le travail de l'ONG SOS Chrétiens d'Orient qui, selon Slate, est "dirigée par des proches du Rassemblement national" et sous le coup d'une enquête préliminaire du Parquet national antiterroriste pour complicité de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre, "en raison de ses liens avec des milices chrétiennes pro-Assad".
L'organisation a diffusé une pétition appelant à "lever les sanctions contre la Syrie", estimant que "l'Union européenne complique la venue d'aide humanitaire qui pourtant est très urgente". Un appel relayé notamment par l'hebdomadaire d'extrême droite Valeurs actuelles sur Twitter. Ce discours de Bachar Al-Assad "fait mouche dans notre société et fait qu'on a l'impression, à certains égards, que les dictatures ne sont pas si pires que ça", s'est ainsi inquiétée l'historienne Marie Peltier, invitée de l'émission "C ce soir" sur France 5, lundi 13 février.
Les demandes de levée des sanctions se heurtent pour l'instant à un refus des Occidentaux. Celles-ci "n'entravent pas l'acheminement de l'aide humanitaire" a ainsi affirmé à Reuters* dimanche 12 février l'envoyé de l'Union européenne en Syrie, Dan Stoenescu. Le responsable a appelé le régime de Bachar Al-Assad à ne pas "politiser" la livraison d'aide internationale. Le commissaire européen Janez Lenarčič, en charge des réponses aux crises, a d'ailleurs invité les Etats membres de l'UE à apporter de l'assistance à la Syrie, qui en avait fait la demande officielle mercredi. Dans le même temps, le Slovène a souligné "l'importance de s'assurer" que l'aide ne serait "pas détournée".
Une normalisation en cours auprès des pays arabes
Si la stratégie de Bachar Al-Assad fait pour l'instant chou blanc auprès des Européens, elle semble porter ses fruits auprès de ses voisins arabes. Quelques heures après le séisme, le président syrien a reçu un appel de son homologue égyptien, qui lui a présenté ses condoléances. Il s'agit d'un premier contact entre les deux hommes depuis l'accession d'Abdel Fattah al-Sissi au pouvoir en 2014. Le président syrien est ostracisé par plusieurs pays arabes depuis que son pays a été exclu de la Ligue arabe fin 2011.
Les Emirats arabes unis, premier pays du Golfe à avoir rétabli ses relations avec le régime, ont déjà promis une aide d'au moins 50 millions de dollars et envoyé des avions chargés d'aide humanitaire. Le Liban, qui dit maintenir une politique de distanciation vis-à-vis du conflit syrien, a également envoyé mercredi une délégation à Damas, pour la première visite officielle de haut niveau depuis le début de la guerre civile. L'Arabie saoudite, qui a rompu ses liens avec Damas en 2012, a promis une aide. Enfin, le Qatar, accusé d'avoir financé l'opposition armée au régime syrien et qui n'a pas encore normalisé ses relations, a, lui aussi, rapidement promis son aide.
Bachar Al-Assad pourrait tirer parti de cette situation pour rouvrir les canaux diplomatiques. "[Il va] essayer de faire progresser le processus de normalisation de son régime avec le reste du monde arabe", a expliqué à l'AFP l'analyste Nick Heras, du Newlines Institute. L'aide humanitaire pourrait ouvrir la voie à "un canal pour un engagement diplomatique durable", estimait ainsi le spécialiste.
* les liens suivis d'un astérisque sont en anglais.
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