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Attentat de Nice : une revendication de Daech tardive et aux contours flous

En même temps que le ministre français de la Défense annonçait de nouveaux raids contre des positions de Daech, son collègue de l’Intérieur admettait que l’enquête sur l’attaque de Nice n’avait toujours pas permis d’établir un lien entre le tueur et les réseaux djihadistes. Seuls le mode opératoire et sa revendication par l’EI le font. Mais des doutes subsistent sur la nature de la revendication.
Article rédigé par Alain Chémali
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Copie de la carte de résident en France de Mohamed Lahoueiej Bouhlel obtenue par l'AFP auprès des services de police et diffusée le 15 juillet 2016. (FRENCH POLICE SOURCE/AFP)

Quatre jours après l’attaque meurtrière au camion-bélier à Nice et la mort de l’assaillant tunisien au volant de son engin de mort, le ministre français de la Défense a annoncé de nouvelles frappes aériennes contre des positions du groupe Etat islamique au Proche-Orient, sans plus de précisions.
 
«Nous poursuivons l’action à l’extérieur, là où est le creuset de Daech, en Irak et en Syrie, nos forces continuent à frapper… pour contribuer dans la Coalition à éradiquer définitivement le cancer de Daech», a déclaré Jean-Yves Le Drian.
 
Pourtant, au même moment, son collègue de l’Intérieur admettait que l’enquête n’avait toujours pas permis d’établir un lien entre Mohamed Lahouaiej Bouhlel et les réseaux terroristes. Mais il a rappelé les deux éléments qui permettaient de le penser.

Un mode opératoire et une revendication qui désigne Daech 
D’abord, «le mode opératoire emprunte totalement à ce que sont les messages de Daech» a indiqué Bernard Cazeneuve, sans exclure qu’il puisse s’agir «d’un individu déséquilibré et très violent, qui ait été un moment, dans une radicalisation rapide, engagé dans ce crime absolument épouvantable».
 
Ensuite, il y a eu la revendication d’un acte de guerre, qui a fait 84 morts et plus de 300 blessés, justifiant sans doute la riposte immédiate de l’aviation française. «C’est un attentat qui a été revendiqué par l’Etat islamique, c’est un attentat à caractère terroriste et cela est apparu très clairement dès les premiers instants», a indiqué le ministre de l’intérieur.
 
Trente six heures après les faits, l’agence de presse Amaq, principal organe d’information du groupe radical attribuait à «l’auteur de l’opération écrasement à Nice» le titre de «soldat de l’Etat islamique». D’après cet unique communiqué, «il a exécuté l’opération en réponse aux appels à cibler les ressortissants des pays de la coalition qui combat l’EI».
 
En decernant à Mohamed Lahouaiej Bouhlel le label de «soldat de l’EI», l’organisation djihadiste admet cependant à posteriori dans ses rangs un personnage peu recommandable aux yeux de la morale musulmane.

Un kamikaze «islamiquement» incorrect 
Agé de 31 ans Mohamed Bouhlel était originaire de Msaken en Tunisie. Outre les troubles mentaux dont il souffrait et dont attestent les ordonnances d’antidépresseurs et d’anxiolytiques montrées par son père, ses comportements n’étaient pas «islamiquement» corrects. D’après les gens qui le connaissaient, il ne priait pas, buvait de l’alcool et se droguait, mangeait du porc et multipliait les expériences sexuelles avec hommes et femmes indifféremment.
 
Marié et père de trois enfants en bas âge, il était connu pour ses accès de colère, notamment à l’égard de sa femme dont il était séparé. «Il faisait des trucs vraiment bizarres», témoigne dans Libération une de ses connaissances. «Il urinait et déféquait dans son appartement. Une fois, il a aussi frappé sa belle-mère», rapporte Karim.
 
Si son passage à l’acte sur la promenade des Anglais a été officiellement attribué à une «radicalisation express», son enrôlement post-mortem par Daech s’explique par son choix d’agir selon les directives de lutte de l’organisation contre ses ennemis.

Les directives de Daech pour combattre les ennemis de la coalition 
Dans un long message audio diffusé en septembre 2014 par le média de Daech, Al Furqan, le porte parole de l’organisation Abou Mohamed al-Adnani recommandait : «Si vous ne pouvez pas faire sauter une bombe ou tirer une balle, débrouillez-vous pour vous retrouver seul avec un infidèle français ou américain et fracassez lui le crâne avec une pierre, tuez-le à coups de couteau, renversez-le avec votre voiture, jetez-le d’une falaise, étranglez-le, empoisonnez-le».
 
Celui que les services occidentaux surnomment «le ministre des attentats» de Daech reprenait un mode opératoire décrit déjà en 2010 par la branche d’Al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA). «L’idée est d’utiliser un camion comme une tondeuse à gazon, pas pour tondre la pelouse mais pour faucher les ennemis d’Allah», était-il écrit dans Inspire, le magazine de la nébuleuse Ben Laden.

La tentation d'une revendication d'opportunité 
Réputée ne revendiquer qu’à bon escient des opérations menées en son nom, l’organisation de l’Etat islamique aurait-elle cédé à la tentation de récupérer l’action d’une personne déséquilibrée par une revendication d’opportunité ?
 
En adoubant de manière posthume son nouveau martyr, l’EI montre en tout cas à de potentiels recrus l’étendue de sa mansuétude à l’égard des musulmans en perdition. Elle conforte l’hypothèse du ministre Le Drian selon laquelle «Daech n’organise pas, Daech insuffle un esprit terroriste contre lequel nous combattons».

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