: Interview Chute de Bachar al-Assad : la "puissance politique" d'Abou Mohammed al-Joulani "est atténuée par le fait que toute la Syrie s'est soulevée", assure un militant des droits de l'homme
"On a envie d'y croire", lance ce lundi sur franceinfo Firas Kontar, membre de l’opposition syrienne, activiste franco-syrien et militants des droits de l'homme, alors que le régime de Bachar al-Assad en Syrie s'est effondré en quelques jours comme "un château de cartes", lâché par ses soutiens historiques, la Russie et l'Iran.
L'ancien djihadiste Abou Mohammed al-Joulani, nouvel homme fort du pays, est à la tête du groupe Hayat Tahrir al-Sham, qui a renversé le régime de Bachar al-Assad. "Il n'y a pas eu une seule exaction contre les civils", souligne Firas Kontar. Selon lui, "les scènes de liesse" en Syrie montrent une certaine "confiance" des Syriens. Mais "sa puissance politique est atténuée par le fait que toute la Syrie s'est soulevée", assure-t-il.
Imaginiez-vous voir le régime d'Assad tomber si rapidement ?
Non, pas du tout. Il y a quinze jours, je n'imaginais pas du tout cela. Tous les Syriens vivaient dans le désespoir total de pouvoir rentrer chez eux et de voir Assad tomber. On ne pensait pas que cette offensive pouvait avancer vraiment jusqu'à Damas et libérer Damas avec si peu de morts et de destructions. C'est une très bonne chose, On n'imaginait pas la fuite du dictateur qui a fait régner la terreur pendant 54 ans. C'est un soulagement de voir que les événements se passent ainsi jusqu'à maintenant.
Les combats ont quand même fait environ un millier de morts. Comment expliquer que ce qui était impossible il y a quelques semaines encore se soit produit en quelques jours ?
C'est un alignement des planètes quand même incroyable. Assad se reposait entièrement pour sa sécurité sur ses parrains russes et iraniens. Il n'a pas cherché à reconstruire son armée, ce qui explique cette débandade très rapide. L'état de son armée est à l'image de l'état de la Syrie qu'il dirigeait. Elle était en lambeaux. Elle n'existe plus. L'État syrien est totalement détruit et ses alliés n'ont pas pu cette fois-ci le sauver. Ça fait treize ans qu'ils le portaient à bout de bras. C'est vraiment une chute incroyable du château de cartes.
Est-ce qu'il y a encore un État aujourd'hui en Syrie ?
L'armée a apparemment massivement déserté. Les unités les plus craintes, la quatrième division de Maher al-Assad, le frère, et la Garde républicaine ont disparu. Ce sont surtout ces deux corps qui ont commis beaucoup, beaucoup de crimes. Ils sont partis dans la nature. On les a vus porter des vêtements civils et enlever leurs uniformes. Les fonctionnaires existaient, mais étaient totalement dysfonctionnels. Ils n'étaient plus en capacité de répondre aux besoins de la population : l'éducation, la santé, apporter de quoi se réchauffer pour les Syriens. Ce n'était pas une vie pour les Syriens qui fuyaient massivement la zone d'Assad jusqu'à maintenant. On espère aujourd'hui que les choses vont un peu s'arranger pour pouvoir tourner cette page de la terreur.
Compte tenu du profil du nouvel homme fort Abou Mohammed al-Joulani, ancien djihadiste, les Syriens ne risquent-ils pas très rapidement de déchanter ?
Peut-être... Les premières scènes de liesse et de joie à Hama puis à Alep ont été aussi peut-être une confiance envers les hommes d'Al-Joulani, les combattants de Hayat Tahrir al-Sham. Ils ont vu la prise d'Alep où il n'y a pas eu une seule exaction contre les civils. C'est à noter. Jusqu'à maintenant, il n'y a pas d'exactions. Il faut le comparer avec la prise d'Alep par le régime d'Assad et les milliers de morts. Les convois humanitaires, sous l'égide de l'ONU, étaient bombardés. Les hommes étaient descendus des bus, ils ne pouvaient pas fuir et étaient mitraillés. Cette comparaison est rassurante. On a envie d'y croire.
Si vous deviez comme militant des droits de l'homme, entrer en Syrie demain, est-ce que vous seriez en confiance ?
Je vais voir sa réaction dans les semaines et mois à venir. Il n'est pas le seul aujourd'hui. Sa puissance politique est atténuée par le fait que toute la Syrie s'est soulevée. Le Sud a été libéré par les rebelles de l'Armée syrienne libre et aussi par les combattants druzes. L'Est s'est libéré par les tribus arabes. Toute cette myriade aujourd'hui est, d'un côté, très rassurante parce que le poids politique de Al-Joulani va être un peu atténué, mais, de l'autre, c'est aussi inquiétant que tout ce monde se retrouve avec des armes. Assad a laissé une quantité d'armes phénoménale. Il n'avait pas de quoi nourrir sa population, mais, par contre, il avait de quoi acheter des armes. C'est une forte source d'inquiétude.
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