: Reportage "Je suis alaouite, mais j'ai honte de le dire" : dans le fief de la dynastie Assad en Syrie, la minorité alaouite craint de "payer le prix"
En Syrie, le groupe islamiste radical Hayat Tahrir al-Sham (HTS) multiplie les déclarations rassurantes à l’adresse des différentes communautés qui composent le pays et promet un gouvernement inclusif. S'il est une minorité dont l'inquiétude est maximale, c'est bien celle de la minorité alaouite, dont était issu le président syrien. À Lattaquié, le fief de la dynastie Assad situé dans l'ouest du pays, les Alaouites retiennent leur souffle.
"Terreur", "honte"...
"Je suis alaouite", murmure l’un d'eux en pressant le pas, "mais j’ai honte de le dire", confie-t-il. En quelques jours leur vie a été bouleversée. "Ce fut un choc. Après l’effondrement du régime nous avons vécu dans la terreur pendant deux jours, c’est indescriptible. Des coups de feu, le chaos, et on ne sait pas où tout cela va nous mener", témoigne cet homme croisé lors de sa promenade dominicale et qui préfère ne pas donner son nom. Il insiste toutefois pour affirmer que tous à Lattaquié se félicitent de la chute du dictateur.
"Je vais vous parler franchement : il n’y a pas de loyauté envers Assad dans les cœurs ou les âmes. Il ne représentait rien pour nous. Il n’y a qu’une chose qui nous préoccupe aujourd’hui c’est la 'fitna'."
Un Alaouite, à Lattaquiéà franceinfo
La fitna : des violences entre les communautés. Les Alaouites redoutent d’en être la cible, explique l’une de ses amies. "Tout ce que nous demandons, c’est qu’on ne nous fasse pas payer le prix des méfaits d’Assad parce que nous sommes des Alaouites, que l’on ne se venge pas sur nous."
Victimes aussi d'Assad
Car ces méfaits, ils en ont souffert eux aussi, pauvreté, privations, absence de liberté, "nous n’étions pas des privilégiés", assure sa femme. "Nous, les Alaouites, sommes épuisés. Sous l’ancien régime nous vivions nous aussi dans la peur. Nous espérons que les prochains jours seront différents, que cela ira mieux pour la liberté d’expression mais aussi dans la vie de tous les jours."
Son amie intervient. "Je veux vous demander, si mon fils est au service militaire y est-il de son plein gré ? Mon fils Samuel a un problème de santé. Nous sommes allés voir le médecin de l’armée pour qu’il lui fournisse un certificat mais il a réclamé une pièce d’or", assure-t-elle. Elle n’a pu payer, il a donc dû partir alors qu’il est malade. Ces sacrifices pour l’armée ont aussi nourri le ressentiment des Alaouites. Mais va-t-on les croire ? Ils ne sont pas sûrs de prendre le risque.
"Beaucoup d’entre nous attendent juste que le bureau de l’immigration ouvre pour obtenir un passeport. Nous avons tous cette idée de partir, avant c’était peut-être 20% des Alaouites, mais maintenant c’est 90%."
Une femme à Lattaquiéà franceinfo
À l’entrée de la ville, où la statue d’Assad père a été déboulonnée, retentit la promesse des nouveaux dirigeants : un seul peuple, pas de discrimination. Reste à en convaincre les Alaouites.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.