Reportage "Tu nous entends, tu nous comprends ?" : maltraités ou torturés, d'anciens prisonniers du régime de Bachar al-Assad ont basculé dans la folie

Parmi les nombreux prisonniers libérés des geôles du régime al-Assad, certains ont basculé dans la folie à cause de mauvais traitements infligés pendant leur détention. Des familles venues rechercher leurs proches à l'hôpital ont du mal à les identifier.
Article rédigé par Aurélien Colly
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 2min
Ce prisonnier, désormais libre, a, lui aussi, perdu la raison. Les yeux écarquillés, le regard perdu, il reste mutique face à son cousin qui lui tend des images de son passé. (AURELIEN COLLY / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

En Syrie, chaque jour qui passe depuis la chute du régime al-Assad semble apporter son lot d’horreur. Des centaines de prisonniers ont été libérés, en particulier de la prison de Saydnaya, symbole de la barbarie du régime. Ils sont transportés dans des hôpitaux, où leurs familles peuvent venir les chercher si leur état de santé le permet. 

Pour certains d’entre eux, les recherches sont plus difficiles, car les mauvais traitements, la torture, la malnutrition les ont fait basculer dans la folie. Et les femmes n’étaient pas épargnées.

Trop faible pour parler

Ils sont trois dans la chambre de cet hôpital. Trois prisonniers dans un état terrifiant. Allongé sur un lit, les phalanges coupées, la jambe gauche surinfectée, un homme d'une cinquantaine d'années. Quand on lui demande comment il s'appelle, c'est presque un râle qui sort de sa bouche. Il est beaucoup trop faible pour parler.

À deux mètres, dans un fauteuil roulant, il y a le deuxième prisonnier. Crâne rasé, joues creusées mais peau lisse. On comprend en fait que c'est une femme quand elle se met à parler. "Donne-moi mon sac, donne-le moi, je le prends, je veux mon rouge à lèvres." Elle répète en boucle les mêmes mots en hochant la tête.

"Regarde ce qu'ils ont fait des prisonniers"

Au fond de la pièce se trouve le troisième prisonnier libéré, c'est un jeune homme assis sur un lit. Ses habits sont en lambeaux. Lui aussi a perdu la raison. Les yeux écarquillés, le regard perdu, il est mutique. "Bachar est parti, il est parti !", lui dit une femme pour essayer de le rassurer. "Tu nous entends, tu nous comprends ?", ajoute-t-elle, avant d'insulter l'ancien dictateur. "Regarde ce qu'ils ont fait des prisonniers... Est-ce qu'il avait violé sa femme Asma pour mériter ça ?"

Dans la pièce, des dizaines de Syriens défilent, regardent les prisonniers à la recherche d'un proche. Et puis soudain : "Mon cousin Abdallah !", lance un homme en montrant la photo d'un adolescent souriant sur son téléphone. "C'est la forme de son nez. Et les sourcils aussi. C'est lui, c'est lui !"

Après avoir essuyé ses larmes, l'homme finalement raconte. "On vient de l'ouest de la Ghouta, on a été assiégés. Il y a eu les attaques chimiques en 2013 et il a disparu depuis, poursuit-il. On demande à l'ONU de ramener Bachar al-Assad ici. Qu'on lui montre le massacre, qu'on le juge et qu'on le pende en Syrie."

Le reportage d'Aurelien Colly à Damas

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.