Côte-d'Or : comment la mise en examen d'un enseignant dans un dossier terroriste a pu échapper au rectorat
Un professeur d'anglais remplaçant a été brièvement recruté dans un collège de l'académie de Dijon alors qu'il avait été arrêté trois mois plus tôt devant un établissement du Lot-et-Garonne.
Il n'a enseigné que quelques heures. Un professeur d'anglais remplaçant a été précipitamment écarté d'un collège de l'académie de Dijon (Côte-d'Or), mardi 12 septembre. Officiellement parce que son dossier administratif n'était pas complet. Officieusement parce que l'information de sa mise en examen en juin, dans un dossier de filière jihadiste, est parvenue jusqu'aux oreilles du rectorat de Dijon. Comment ? Le rectorat n'en dira pas plus, indiquant seulement à franceinfo avoir été en contact avec le ministère de l'Education nationale au moment des faits.
A-t-il fallu la parution d'un article dans le quotidien local Le Bien public (article réservé aux abonnés), au lendemain de son éviction, pour que le dossier de cet intervenant extérieur se mette à clignoter ? "Le fait que l'article paru ce [mercredi] matin mette les parents en émoi, le collège en émoi (...) nous conforte" dans la décision de "ne pas maintenir" cet enseignant contractuel, reconnaît à demi-mot une porte-parole du rectorat.
Une circulation de l'information balbutiante
Dans son édition du mercredi 13 septembre, le journal révèle que ce trentenaire a été interpellé le 29 mai dernier devant le collège Sainte-Marie de Casteljaloux, dans le Lot-et-Garonne, son département d'origine, où il devait effectuer un remplacement en anglais. Selon une source proche du dossier, cet enseignant faisait partie de l'entourage d'un ancien détenu de Guantanamo, soupçonné d'avoir encouragé des gens partis faire le jihad en Irak ou en Syrie. Il lui est principalement reproché de lui avoir mis une salle à disposition. Il a ainsi été mis en examen le 2 juin pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste puis placé sous contrôle judiciaire, a confirmé une source judiciaire à franceinfo.
Le rectorat de Bordeaux (Gironde), qui avait validé le dossier de ce candidat au casier judiciaire vierge, a-t-il été informé par la suite de cette mise en examen ? Sollicité par franceinfo, il n'a pas donné suite. L'information est-elle remontée rue de Grenelle ? Le ministère n'a pas répondu sur ce point.
En matière de terrorisme et de radicalisation, la circulation de l'information au sein de l'Education nationale semble encore balbutiante. Depuis une circulaire du 13 mai 2016, un référent radicalisation est présent dans chaque académie et dans chaque département. Il est censé être présent dans les cellules de suivi préfectorales où sont abordés ces dossiers sensibles. Mais comme le confie une source judiciaire à franceinfo, leur présence est loin d'être systématique et varie selon les départements.
Les infractions sexuelles mieux encadrées
Depuis la mi-2016, le procureur de la République a l'obligation d'informer l’inspection académique des condamnations, des mises en examen et de certaines mesures de contrôle judiciaire prononcées à l’encontre des personnes exerçant une activité en contact avec des mineurs. Mais cette obligation, prévue par la loi dite "Villefontaine", en référence à une affaire de pédophilie qui avait secoué le monde de l'éducation en mars 2015, vise surtout les crimes et délits de nature sexuelle, même si les actes de terrorisme, dont l'association de malfaiteurs, font partie des infractions qui doivent être signalées par le parquet.
Reste que dans ce type d'affaires, c'est le parquet de Paris qui est compétent. L'information doit donc redescendre au niveau du parquet local, avant d'être transmise à l'inspection académique. Et quand bien même : si le rectorat de Bordeaux a fini par être informé de la mise en examen du professeur d'anglais, comment anticiper sa candidature dans une autre académie, celle de Dijon ? Les rectorats n'ont pas vocation à communiquer entre eux.
"On fait appel à des contractuels dans l'urgence"
"Le problème, c'est qu'il n'y a plus de candidats pour devenir profs dans certaines matières, déplore Isabelle Cheviet, du syndicat enseignant le SNES, auprès de France Bleu Bourgogne. En anglais, dans l'académie [de Dijon], 28% des postes sont non-pourvus. Résultat, on fait appel aux titulaires en zone de remplacement pour les pourvoir, et quand il y a des remplacements à faire, on fait appel à des contractuels dans l'urgence, sans forcément prendre le temps tout de suite de faire toutes les vérifications."
"Le recrutement des personnels non-titulaires est toujours effectué avec la plus grande rigueur, tant sur le plan pédagogique qu'administratif, conformément à la réglementation", souligne au contraire le rectorat dans son communiqué.
En réalité, l'académie de Dijon a bien vérifié les antécédents judiciaires de l'intéressé au FIJAISV, le Fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes, indique le ministère de l'Education à franceinfo. Cette possibilité est entrée en vigueur en même temps que la loi Villefontaine. Mais ce fichier ne répertorie pas les procédures en matière de terrorisme.
Des vérifications élargies ?
Après cette affaire, les vérifications de l'Education nationale, en amont des recrutements, vont-elles pouvoir être étendues au domaine du terrorisme et de la radicalisation ? Actuellement, elle ne fait pas partie des administrations qui bénéficient des services du SNAES, le Service national des enquêtes administratives de sécurité, créé au printemps dernier.
En consultant des fichiers judiciaires comme le TAJ (antécédents judiciaires) ou ceux du renseignement, comme le FPR (Fichier des personnes recherchées, qui comprend les fameuses fiches S) ou le FSPRT (Fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste), le SNAES passe au crible les accrédités et intervenants pour les grands évènements, notamment sportifs, ainsi que certains candidats à l'embauche dans les transports publics et de matières dangereuses. Dans le secteur du nucléaire, c'est le Commandement spécialisé pour la sécurité nucléaire (CoSSeN), également créé cette année, qui veille au grain.
Pour les établissements scolaires, le repérage continue, pour l'instant, à se faire a posteriori. Comme l'indiquait Najat Vallaud-Belkacem, alors ministre de l'Education nationale, en août 2016 sur Europe 1, des professeurs ou des agents radicalisés, parfois fichés S, ont déjà été signalés par le biais du ministère de l'Interieur. Une dizaine d’enseignants, sur les 800 000 qui exercent en France, étaient concernés à l'époque, selon des chiffres révélés par la radio. "Notre réponse est simple, indiquait alors la ministre : suspension immédiate et procédure disciplinaire en vue d’une exclusion définitive de l’Education nationale." Celle-ci n'intervient, normalement, qu'à l'issue de la procédure, afin de respecter la présomption d'innocence.
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