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Turquie : "On est à nouveau entré dans un cycle de violences" (spécialiste)

Une marche pour la paix a terminé en bain de sang à Ankara samedi. Dans le cœur de la capitale en Turquie, un double attentat dans un rassemblement pro-kurde a fait au moins 95 morts et 250 blessés. L’analyse de Didier Billion, spécialiste de la Turquie.
Article rédigé par franceinfo
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  (Des milliers de personnes ont honoré dimanche à Ankara les victimes de l'attentat le plus meurtrier de l'histoire du pays, qui a fait au moins 95 morts, et accusé le pouvoir de la montée des tensions à trois semaines des élections © REUTERS/Umit Bektas)

La Turquie avait jusqu’ici l’image d’un pays en paix, plutôt prospère. L’image d’un pays tampon entre l’Europe et les guerres en Syrie et en Irak. Aujourd’hui, la Turquie est en deuil, déstabilisée. Un pays où, à trois semaines d’élections législatives anticipées, la violence meurtrière qui s’est exprimée hier à Ankara a mis un coup d’arrêt au débat démocratique. Comment en est-on arrivé là ? Qui sont les Kurdes qui ont été visés hier ? Que va-t-il se passer le 1er novembre ?

France Info a posé la question à Didier Billion, spécialiste de la Turquie, directeur-adjoint de l’institut de relations internationales et stratégiques (Iris)

La politique "dangereuse" d'Erdogan pour son propre pays

"*L’explication principale est, je pense, l’acharnement du président Erdogan à vouloir absolument s’ingérer dans les affaires syriennes et, depuis maintenant plus de quatre ans, à exiger sans cesse le départ de Bachar al-Assad. Cet objectif politique a entraîné son pays, la Turquie, à avoir quelques formes de complaisance à l’égard des groupes djihadistes au cours de ces dernières années.

 

Si désormais il n’y a plus de rapports, plus de liens, plus de complaisance avec l’Etat islamique, c’est un fait, il n’empêche que le fait que la Turquie se soit insérée, et pas de la meilleure façon, dans le conflit syrien, a évidemment des conséquences, au sein même de la Turquie.

 

Et, facteur supplémentaire, ce pays qui a 900 kilomètres de frontières avec la Syrie, a recueilli plus de deux millions de réfugiés, ce qui est un facteur de déstabilisation supplémentaire. Mais de ce point de vue, il faut rendre hommage à la Turquie d’avoir accepté autant de réfugiés et fait autant d’efforts pour les accueillir dans des conditions à peu près décentes.

 

Tous ces phénomènes, ces facteurs se conjuguant, amènent potentiellement, et on l’a vu tragiquement hier, à une déstabilisation du pays* ."

 

Il y a "une rupture incontestable avec l’Etat Islamique" mais la politique menée par Erdogan reste "ambigüe". L’analyse de Didier Billion.
 

La question kurde au centre de crispations depuis près d'un siècle

"*Ces Kurdes, c’est environ 25 millions d’individus répartis sur la Turquie, mais aussi sur l’Irak, sur la Syrie et dans une moindre mesure l’Iran. Il y a en Turquie depuis de très nombreuses années, on peut même dire depuis les débuts de la république de Turquie proclamée en 1923, un problème kurde. Entre 15 et 20% de la population turque est d’origine kurde et veut défendre une forme d’identité kurde. L’état turc, qui est très centralisé, très centralisateur, très jacobin, a toujours refusé d’accorder la moindre reconnaissance à cette demande d’identité kurde.

 

Cette situation s’est cristallisée au cours des dernières années et malheureusement sous les plus mauvaises formes puisqu’il y a un parti, le fameux Parti des Travailleurs du Kurdistan, le PKK, qui a engagé une lutte armée contre l’Etat turc depuis 1984 et cette situation s’est aggravée incontestablement.

 

Toutefois, et c’est très important, le gouvernement de monsieur Erdogan, alors qu’il était encore Premier ministre, avait initié, entamé, un processus de négociations avec le PKK fin 2012. On avait eu alors quelques espoirs qu’enfin cette question kurde puisse se régler politiquement, diplomatiquement, donc pacifiquement.

 

Malheureusement ces pourparlers n’ont pas donné les résultats escomptés. Malheureusement depuis un autre attentat, l’attentat de Suruç à la fin du mois de juillet, le processus est rompu et les autorités turques ont décidé de procéder à des bombardements assez massifs sur les positions du PKK. Donc on est entré de nouveau dans un cycle de violences, d’affrontements, d’exacerbation des tensions.* "

 

 

Didier Billion : "Ankara a les meilleures relations du monde avec les kurdes d’Irak, et par contre de relations exécrables, voire de affrontements militaires avec les kurdes de Syrie et de Turquie, incarnés par le PKK."
 

Des élections législatives anticipées sous haute tension 

"Au vu de la dégradation de la situation depuis déjà plusieurs semaines, aggravées par la tragédie de l’attentat de samedi, ces élections vont avoir du mal à se tenir. Elles vont probablement se tenir, à moins que le président décide de changer leur date, c’est peu probable. Mais l’état de tension extrême qui existe, le fait qu’il y ait un climat de quasi-insurrection dans une partie du pays, ne permet pas un débat démocratique serein et sain pour décider de l’avenir de la Turquie. "

 

 

Ecoutez l’intégralité de l’Interview de Didier Billion, directeur-adjoint de l’Iris, l’Institut de relations internationales et stratégiques et spécialiste de la Turquie. Il répond à Jules Lavie.

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