Turquie: des accidents miniers qui ne sont pas le seul fruit du hasard
Le Premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, a été hué par plusieurs dizaines d’habitants quand il s’est rendu à Soma le 14 mai, certains criant «gouvernement démission». Les manifestants ont donné des coups de pieds dans son véhicule. Au-delà, le drame a provoqué une nouvelle vague de fièvre anti-gouvernementale dans le pays. A Ankara, la police a dispersé un rassemblement estudiantin avec des grenades lacrymogènes. Et d'autres manifestations sporadiques ont été organisées dans les grandes villes.
D’ores et déjà, le drame s’est déplacé sur le terrain politique. Selon les médias locaux, trois semaines auparavant, le Parlement avait refusé de former une commission d’enquête parlementaire sur la sécurité des mines de Soma, à la demande du Parti républicain du peuple (CHP, opposition) Une demande refusée par le Parti de la justice et du développement (AKP) du Premier ministre. Pour celui-ci, l'opposition tentait, par ce biais, de détourner l'agenda politique. «Je vais renouveler (…) cette demande d'enquête parlementaire. Si le gouvernement a été averti de la situation et n'a rien fait, les gens vont être en colère, évidemment. L'opposition avait prévenu. Mais il règne une léthargie incroyable dans ce domaine», a précisé le député CHP, Hursit Günes.
Lors de son intervention à la mairie de Soma, Recep Tayyip Erdogan a balayé les critiques. Tout en donnant des exemples d'accidents survenus dans plusieurs pays occidentaux et asiatiques au XIXe et XXe siècle.
Pour autant, les drames miniers sont assez fréquents en Turquie : entre 2002 et 2012, plus d’un millier de personnes y ont perdu la vie, selon les chiffres de l’Organisation internationale du travail cités par Reuters. En mai 2010, un coup de grisou avait entraîné la mort de 30 mineurs à Zonguldak (nord), plus grand bassin de charbon du pays. Visitant Zonguldak après le drame, Recep Tayyip Erdogan avait expliqué que la mort «appartenait au destin des mineurs», rapporte le journal turc Hurriyet. En 1992, un autre coup de grisou avait tué 263 personnes dans la même région.
«Promouvoir les vastes réserves de charbon»
Ceci explique-t-il cela ? Le gouvernement du pays entend développer l’exploitation du charbon qui fournit près de 30% de la production électrique du pays. «Fortement dépendante du gaz importé pour soutenir son économie en plein développement, la Turquie prend des mesures pour promouvoir ses vastes réserves de charbon auprès d’entreprises énergétiques étrangères», explique le site officiel invest. Des réserves estimées à 13 milliards de tonnes.
«Les secteurs des mines et de l’énergie offrent de nombreuses occasions en Turquie. Pour y percer, la formule est assez simple : il suffit de viser tout ce qui peut aider à diminuer le déficit commercial du pays ou à augmenter sa productivité», confirme (de manière très directe…) le site de la banque britannique HSBC. En 2011, ce déficit commercial s’élevait à 106 milliards de dollars en 2011, «dont la moitié (...) imputable à l’importation de ressources énergétiques», précise le site de HSBC.
«Les méthodes opérationnelles du secteur privé»
La mine de Soma, où travaillent 6500 mineurs, est exploitée par la compagnie privée turque Soma Holding depuis 1984. "Dans un communiqué, cette dernière parle d’un «accident tragique». Celui-ci «est survenu malgré un maximum de mesures de sécurité et des inspections. Mais nous avons réussi à intervenir rapidement», affirme-t-elle. Une position apparemment partagée par le ministre de l’Energie, Tanez Yildiz. Visitant le site de Soma il y a neuf mois, il avait vanté «la qualité des mesures de sécurité et la qualité des technologies conçues en Turquie et utilisées dans les fosses d’extraction» de la mine, selon Hürriyet,
Cependant, «beaucoup (de gens) accusent les compagnies minières d’augmenter leurs profits au détriment de la sécurité de leurs salariés», rapporte le journal turc. Les accidents sont particulièrement nombreux dans les mines du secteur privé, constate l’AFP.
De fait, le critère de rentabilité semble avoir joué un rôle déterminant dans la gestion du site de Soma. Dans une interview publiée en 2012, le président du conseil d’administration de Soma Holding, Alp Gürka, «proche de l'AKP» (selon Le Monde), expliquait que son groupe avait réussi à faire passer de 130-140 dollars à 23,8 dollars le coût d’exploitation d’une tonne de charbon. Et ce «grâce aux méthodes opérationnelles du secteur privé». Il précisait par ailleurs que les privatisations du secteur minier avaient largement profité au conglomérat. «L'industrie minière, comme le BTP ou les chantiers navals, sont des secteurs récemment privatisés au profit de l'AKP», rapporte Le Monde.
L'attente des proches à la mine de Soma
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