Etats-Unis : un an après l'arrivée au pouvoir de Joe Biden, le bilan contrasté d'un président qui donne "le sentiment de décevoir"
Malgré le vote de plusieurs plans d'investissement pour relancer l'économie américaine, le président démocrate est à la peine dans les sondages. Franceinfo dresse le bilan de sa première année de mandat.
La "lune de miel" a duré jusqu'à l'été. Depuis août 2021, la popularité du président américain Joe Biden n'a cessé de chuter, jusqu'à atteindre 41,9% d'opinions favorables mercredi 19 janvier, selon l'agrégateur de sondages du site FiveThirtyEight*. Un an après son investiture, le démocrate reste plus populaire que son prédécesseur, Donald Trump, à ce stade de son mandat. Mais en lisant certains titres de la presse américaine, on pourrait croire que l'actuel locataire de la Maison Blanche a jusqu'ici suscité plus de dépit que d'enthousiasme.
Début décembre, un politologue se demandait ainsi dans une tribune publiée par le New York Times* "pourquoi la présidence de Biden donne tant le sentiment de décevoir". Au même moment, Le Monde rapportait que "le sommet pour la démocratie de Joe Biden a déçu". Sur l'immigration ? "Il a déçu", assure Vox*. Même constat concernant le projet de réforme de la Cour suprême*, sur la question de la fermeture du camp de détention de Guantanamo*, la protection des droits civiques* ou encore la lutte contre la crise climatique*.
Un président "normal", fidèle à son programme
Le président américain a-t-il vraiment désappointé tout le monde au cours de sa première année de mandat ? "La question est biaisée : on ne peut être déçu que si on avait des espoirs infondés", juge Célia Belin, politologue et chercheuse invitée à la Brookings Institution de Washington. "Joe Biden a été élu sur la promesse de remettre de l'ordre à Washington et de rétablir le fonctionnement des institutions."
"Il a fait campagne sur l'idée du retour à un président 'normal', qui fait ce qu'on attend de lui, à l'inverse du président de rupture qu'était Donald Trump."
Célia Belin, politologueà franceinfo
De ce point de vue, il "reste fidèle à lui-même et à son engagement", estime cette spécialiste des Etats-Unis. Mais est-ce suffisant pour satisfaire les électeurs ? "Il a lui-même fixé les critères pour évaluer sa politique en listant quatre priorités lors de son discours d'investiture : économie, Covid-19, lutte contre l'injustice raciale et climat, rappelle David Smith, correspondant du quotidien britannique The Guardian à Washington. Sur les deux derniers dossiers, les résultats ne sont pas encore là."
Sur le premier volet en revanche, le démocrate peut se féliciter du vote de deux textes historiques au Congrès : un plan de relance de 1 900 milliards de dollars (qui a notamment servi à financer la vaccination contre le Covid-19) et un plan d'investissement de 1 000 milliards de dollars pour rénover les infrastructures du pays. Le taux de chômage était par ailleurs de 3,9% en décembre*, contre 6,4% un an plus tôt. "Cela a été une année de défis mais aussi une année d'énormes progrès", s'est vanté Joe Biden lors d'une conférence de presse à la veille du premier anniversaire de son investiture, mercredi 19 janvier.
Mais il reste des ombres au tableau. Un troisième plan d'investissement, chiffré à 1 750 milliards et qui prévoit des réformes en matière de santé, d'éducation et d'écologie, semble voué au naufrage parlementaire. Le sénateur démocrate de Virginie occidentale, Joe Manchin, a déjà annoncé qu'il voterait contre. Pour contourner ce blocage, Joe Biden s'est engagé mercredi à faire passer "de larges pans" du plan en le scindant en plusieurs projets d'investissement.
Le président estime qu'il s'agit là du meilleur remède contre l'inflation, qui a atteint 7% en décembre*. "Elle assombrit le bilan économique de Joe Biden, parce qu'elle rend la reprise moins perceptible pour la population. Les Américains sont inquiets de voir les prix de l'essence et des biens de première nécessité augmenter", analyse John Della Volpe, directeur des sondages à l'Institut de sciences politiques de l'université Harvard.
Le Covid et l'Afghanistan, deux revers pour Biden
Sur le plan de la pandémie, la vaccination n'a pas empêché deux nouvelles vagues de contaminations liées aux variants Delta et Omicron*. "En un sens, c'est une autre forme de Covid long : les Américains sont en quête d'un retour à la normale, à un sentiment de contrôle sur leur quotidien", appuie John Della Volpe.
"Ils espéraient que la crise se résoudrait plus vite, mais les variants ont prouvé que la pandémie allait encore durer. Cela pèse sur leur moral, et sur leur perception de l'action présidentielle."
John Della Volpe, politologueà franceinfo
Le décrochage de Joe Biden dans les sondages s'est ainsi produit durant l'été, alors que coïncidaient un rebond épidémique et le retrait précipité des troupes américaines d'Afghanistan. "Une immense majorité de l'opinion publique soutenait ce départ mais voulait voir les soldats rentrer sous les applaudissements, avec honneur et dignité", relève Célia Belin. Au lieu de cela, les Américains "ont été horrifiés"par les images de milliers d'Afghans massés aux portes de l'aéroport de Kaboul, ou s'accrochant désespérément au train d'atterrissage d'un avion dans l'espoir de fuir le retour au pouvoir des talibans.
"Le retrait d'Afghanistan est probablement l'un des pires échecs de Joe Biden jusqu'ici, ajoute David Smith. Il avait fait campagne sur l'image d'un politicien expérimenté, compétent sur les affaires étrangères et empathique. Des qualités dont il a semblé manquer pendant la débâcle du départ de Kaboul."
Pas de quoi ébranler le démocrate. "Il était déjà favorable au retrait d'Afghanistan lorsqu'il était vice-président de Barack Obama, rappelle la politologue Célia Belin.Il est aussi moins sensible que d'autres au temps politique, aux fluctuations de l'opinion. Il n'a pas peur d'être impopulaire : sa priorité, c'est d'avancer sur son programme."
La stratégie du temps long
Comme il s'y était engagé pendant sa campagne, Joe Biden a donc commencé à reconstruire les relations diplomatiques avec les alliés historiques des Etats-Unis dans le Pacifique et en Europe (malgré des tensions avec Paris après la crise des sous-marins australiens). En parallèle, il s'est engagé dans un bras de fer avec deux autres superpuissances : la Russie et la Chine. Après avoir annoncé le boycott diplomatique des JO d'hiver à Pékin, il a interdit l'import de produits manufacturés dans la région du Xinjiang*, où des Ouïghours sont internés dans des camps de travaux forcés.
"Il est engagé dans ce qu'il considère être une lutte de valeurs entre les Etats-Unis et la Chine, entre la démocratie et l'autocratie, poursuit Célia Belin. Rester en Afghanistan ne lui servait à rien dans cette lutte. Ce dossier lui a coûté beaucoup politiquement, mais il ne regrette pas pour autant cette décision."
Car le président américain a d'autres objectifs en vue. Après plus de 40 ans de carrière en politique, Joe Biden "connaît probablement mieux que quiconque les arcanes du pouvoir et le fonctionnement des institutions", selon John Della Volpe. "Il a un projet à long terme pour les Etats-Unis et garde la stratégie qui lui a réussi jusqu'ici : jouer le temps long, respecter le processus parlementaire et mettre en œuvre son programme sans fonder ses décisions sur les sondages."
Dépenser son "capital politique" en début de mandat
Le président a ainsi placé l'économie en tête de ses priorités, quitte à irriter certains de ses soutiens. Progressistes et associations de défense des droits civiques reprochent à la Maison Blanche de ne pas avoir avancé sur le front de la protection du droit de vote, alors qu'au moins 19 Etats ont adopté des lois durcissant les conditions d'accès aux urnes, selon une étude citée par USA Today*. Des restrictions qui visent les électeurs noirs ou issus de minorités.
Début janvier, Joe Biden a mis la pression sur le Sénat pour tenter de relancer sa réforme électorale. "Je soutiens un changement des règles du Sénat, quel qu'il soit, pour empêcher une minorité de sénateurs de bloquer l'avancée sur l'accès au droit de vote", s'est-il emporté*, visant les républicains. Moins d'une semaine plus tard, il leur a lancé une nouvelle pique. "Je n'ai pas fait de promesses trop grandes, a-t-il affirmé aux journalistes mercredi 19 janvier. Je n'avais pas anticipé qu'il y aurait un tel effort partisan [des républicains] pour s'assurer que le président Biden ne puisse accomplir quoi que ce soit".
Blâmer l'opposition ne suffira pas à faire remonter la cote de popularité du président. Mais "il vaut mieux se trouver bas dans les sondages lors de la première année de son mandat qu'à la toute fin", analyse Célia Belin. "Barack Obama, lui aussi élu en pleine crise en 2008, avait suivi une évolution similaire : il avait dépensé son capital politique durant ses deux premières années à la Maison Blanche et regagné la confiance des électeurs les deux suivantes." Cette stratégie avait néanmoins valu au parti démocrate de perdre les élections de mi-mandat.
Cette situation pourrait se reproduire en novembre 2022, privant Joe Biden de la très courte majorité dont il dispose à la Chambre des représentants comme au Sénat. D'autant que le démocrate est handicapé par "un déficit de communication", selon David Smith. "Pendant quatre ans, Donald Trump a tweeté tout ce qu'il pensait, rappelle le journaliste du Guardian. La nouvelle administration a voulu revenir à une prise de parole plus institutionnelle, pour éviter de concentrer les critiques sur le président."
"Joe Biden donne très peu d'interviews et de conférences de presse. Ça le protège, mais ça l'empêche aussi de défendre son action et de mettre en avant ses succès."
David Smith, correspondant du "Guardian"à franceinfo
Le démocrate l'a lui-même reconnu, mercredi, promettant d'être "beaucoup plus sur le terrain". Pour John Della Volpe, le président américain a encore un espoir de remobiliser ses électeurs. "Dans un contexte autre qu'une pandémie mondiale, on estimerait sûrement qu'il a accompli plus que beaucoup de ses prédécesseurs dans les mêmes délais, rappelle le directeur des sondages de l'Institut d'études politiques de Harvard. Il n'est d'ailleurs pas impossible qu'on commence à voir les effets de toutes ces mesures sur sa cote de popularité courant 2022." Patience, donc. Même s'il n'est pas certain que l'éternel optimisme de Joe Biden lui permette, cette fois, de mener ses projets à bien.
* Ces liens renvoient vers des articles ou des contenus en anglais.
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