Meurtre du rappeur Tupac : comment la justice a fini par inculper un suspect, 27 ans après les faits
C'est la première fois que des poursuites sont engagées dans l'enquête sur ce meurtre qui a marqué l'histoire de la musique. L'ancien chef de gang Duane Davis a été arrêté et inculpé, vendredi 29 septembre, à Las Vegas (Etats-Unis), dans l'enquête sur le meurtre du rappeur Tupac Shakur, abattu en septembre 1996. Presque trente ans après les faits, le gangster surnommé "Keefe D" est accusé d'avoir commandité l'assassinat et fourni l'arme du crime.
C'est un grand jury qui a prononcé l'inculpation pour "meurtre à l'aide d'une arme mortelle" en lien avec un gang, a annoncé Marc DiGiacomo, procureur adjoint du comté de Clark. "En vertu de la loi du Nevada (…), vous pouvez être inculpé d'un crime que vous soyez directement impliqué ou que vous soyez complice", a précisé le procureur, Steve Wolfson. Et pour remonter jusqu'à Duane Davis, les enquêteurs n'ont eu qu'à l'écouter. Explications.
Une star du rap assassinée
La police a retracé, lors d'une conférence de presse, les rivalités qui ont débouché sur les événements de la nuit du 7 septembre 1996, fatale à Tupac Shakur. A l'époque, le rappeur de 25 ans est à la fois une star et un protagoniste central de la fameuse rivalité entre les scènes rap de la côte ouest et la côte est des Etats-Unis. Natif de New York, il incarne le hip-hop "West Coast" après avoir déménagé adolescent en Californie avec sa famille. Ses titres California Love et All Eyez On Me, sortis quelques mois plus tôt, sont des hits.
Ce soir-là, à Las Vegas, le rappeur assiste à un combat de boxe de Mike Tyson, en compagnie notamment de Suge Knight, fondateur du label musical Death Row Records. Suge Knight est aussi lié au gang Mob Piru de Los Angeles, un gang ennemi des South Side Compton Crips, dont le chef n'est autre que Duane Davis. En 2019, ce dernier se vantait dans ses mémoires d'avoir géré pendant plusieurs années un trafic national de stupéfiants ayant rapporté "des millions de dollars", comme l'a rapporté le Guardian.
Après le combat, des membres de Death Row Records passent à tabac, dans les couloirs de l'arène, un neveu de Duane Davis, Orlando Anderson. Plus tard dans la soirée, arrêté à un feu rouge dans une BMW conduite par Suge Knight, Tupac Shakur est touché par quatre balles tirées depuis une Cadillac blanche. Il succombe à ses blessures six jours plus tard.
Le dernier survivant
Près de 30 ans après les faits, il n'y a plus beaucoup de doute sur le rôle de Duane Davis : après avoir "récupéré une arme auprès d'un proche associé", le gangster, assis à l'avant de la Cadillac, "a tendu l'arme à l'un des deux passagers à l'arrière", selon la police, citée par CNN. Pour le procureur Marc DiGiacomo, le gangster est donc bien "le commanditaire sur site" qui a "ordonné la mort" de Tupac Shakur et la tentative de meurtre de Suge Knight, qui conduisait le véhicule dans lequel se trouvait le rappeur.
Duane Davis avait déjà admis qu'il était présent au moment du meurtre, mais assuré qu'il n'en était que témoin. En 2009, il avait reconnu avoir eu un "rôle" dans le meurtre, selon un enquêteur cité par CNN. Mais il était alors protégé par un accord d'immunité : les informations utiles qu'il révélait à la police ne pouvaient pas être utilisées comme preuve contre lui.
Le gangster est par ailleurs le dernier passager de la Cadillac encore vivant. Ils étaient quatre à bord : Duane Davis, le neveu frappé quelques heures auparavant, Orlando Anderson, ainsi que DeAndre Smith et Terrence Brown.
Une affaire "personnelle"
S'il n'avait pas participé à un documentaire Netflix en 2018 et publié ses mémoires l'année suivante, l'ex-chef de gang n'aurait peut-être plus jamais été inquiété par la justice américaine dans cette affaire. Car ce sont bien ses propres révélations, proférées alors que son accord d'immunité était expiré, qui l'ont conduit tout droit en prison en attente d'un verdict.
Il a ainsi confirmé à plusieurs reprises qu'il se trouvait dans la Cadillac blanche, et suggéré publiquement qu'il était plus impliqué qu'il ne l'avait reconnu jusque-là. "Quand on entendait dire qu'il y avait une récompense d'un million de dollars pour les têtes de Tupac Shakur et Suge Knight, c'était du business. Mais quand ils ont agressé mon neveu, c'est devenu sinistrement personnel", écrit-il aussi dans son livre, cité par Rolling Stone.
Les déclarations de Duane Davis sont "tout à fait cohérentes avec les preuves" du dossier, a conclu le lieutenant Johansson, de la police de Las Vegas, vendredi. Une question demeure : qui a appuyé sur la détente ? A ce sujet, Duane Davis n'a jamais été très clair. Il écrit dans son livre qu'il s'agit "d'un de ses gars", mais a aussi, à d'autres moments, incriminé son neveu, Orlando Anderson.
Attendu devant un tribunal dans les prochains jours, Duane Davis risque une lourde peine, le grand jury ayant réclamé une sentence supplémentaire de 20 ans de réclusion pour cause de lien avec l'activité d'un gang criminel. "On dit souvent 'justice différée, justice refusée'", a déclaré vendredi le procureur de district Steve Wolfson, lors d'un point presse. "Dans cette affaire, la justice a été retardée, mais la justice ne sera pas refusée", a-t-il assuré.
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