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Mort de George Floyd : les sept témoignages qui ont marqué le procès de Derek Chauvin, reconnu coupable de meurtre

Article rédigé par Valentine Pasquesoone
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 12min
Derek Chauvin (à droite) et son avocat Eric Nelson (à gauche) lors du procès de l'ancien policier à Minneapolis (Etats-Unis), le 19 avril 2021.  (AP / SIPA)

Au cours des trois semaines d'audiences, 45 témoins se sont succédé à la barre du tribunal de Minneapolis. Trente-huit ont été convoqués par l'accusation, sept seulement par la défense de l'ancien policier.

Coupable. Après dix heures de délibération au tribunal de Minneapolis (Minnesota, Etats-Unis), les 12 jurés ont rendu leur verdict, mardi 20 avril. Ils ont reconnu l'ancien policier blanc Derek Chauvin, âgé de 45 ans, coupable d'avoir tué George Floyd, en maintenant l'Afro-Américain de 46 ans à terre, un genou sur son cou, lors de son arrestation le 25 mai 2020. Coupable de "meurtre". Coupable "d'homicide involontaire". Coupable de "violences volontaires ayant entraîné la mort". Les trois chefs d'inculpation pour lesquels l'ex-agent de police était jugé depuis trois semaines.

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L'accusation avait ouvert le procès en diffusant la vidéo de l'agonie de George Floyd, devenu le symbole des brutalités policières contre les minorités aux Etats-Unis. Neuf minutes et 29 secondes au cours desquelles la phrase "Je ne peux pas respirer" est répétée 27 fois. Après l'énoncé du verdict, franceinfo revient sur les moments les plus marquants des audiences, rythmées par 38 témoignages parfois accablants côté accusation, contre sept seulement pour la défense.

1L'adolescente qui a filmé toute la scène

Quand l'accusation l'appelle à la barre, mardi 30 mars, Darnella Frazier vient de célébrer ses 18 ans. La jeune femme, Afro-Américaine, était donc mineure lorsqu'elle a été témoin de la mort de George Floyd. Elle est l'auteure d'une vidéo qui a montré au monde entier la violence de cette scène, déclenchant une vague de protestation internationale inédite.

Ce soir de mai 2020, la lycéenne emmène sa petite cousine de 9 ans à l'épicerie de quartier qu'elle connaît si bien, pour lui offrir des en-cas. Darnella Frazier a fait ce trajet "des centaines, des milliers de fois", raconte-t-elle. Une scène l'interpelle. Elle s'empresse de diriger sa cousine vers l'intérieur du magasin, craignant que l'enfant n'aperçoive cet "homme terrifié, suppliant pour qu'on le laisse en vie". L'Américaine sort son téléphone, pour garder une trace de ce qu'elle voit. 

"J'ai entendu George Floyd dire : 'Je ne peux pas respirer, s'il vous plaît, lâchez-moi'. Il a pleuré, a appelé sa mère, comme s'il savait que sa vie était finie. C'était absolument un appel au secours."

Darnella Frazier

lors du procès de Derek Chauvin

Au tribunal, Darnella Frazier décrit la voix tremblante "la souffrance" de l'homme qu'elle a vu mourir. "Quand je pense à George Floyd, je vois mon père, mes frères, mes cousins, mes oncles, lance-t-elle. Ils sont tous Noirs. Cela aurait pu être l'un d'entre eux." 

Le drame résonne en elle depuis près d'un an. "Certaines nuits, je reste éveillée et je m'excuse auprès de George Floyd, pour ne pas avoir fait davantage, pour ne pas avoir sauvé sa vie", lâche la jeune femme. Avant d'ajouter, à l'égard de l'accusé : "Ce n'est pas moi qui aurait dû le faire. C'est lui."

2La secouriste empêchée d'intervenir 

Elle a aussi a été témoin, sans pouvoir agir. Genevieve Hansen, 27 ans, a apporté son témoignage les 30 et 31 mars. Pompière et secouriste, l'Américaine était de repos lorsqu'elle a vu George Floyd maintenu à terre par Derek Chauvin. Il avait le visage enflé, "comme écrasé sur le sol", dit-elle à la barre.

Au tribunal, la secouriste assure s'être présentée "immédiatement" pour délivrer les premiers secours à George Floyd. "J'ai vu que son niveau de conscience était altéré", raconte-t-elle. Ce dernier "ne bougeait pas", "ne réagissait pas au stimulus douloureux" qu'était la pression exercée sur son cou. Derek Chauvin, lui, "semblait très à l'aise avec la majorité de son poids sur le cou de Monsieur Floyd".

Genevieve Hansen tente d'intervenir, en vain. "Les policiers ne m'ont pas laissé passer", accuse-t-elle. "L'officier Tou Thao [l'un des agents impliqués] m'a dit que si j'étais vraiment une pompière de Minneapolis, je saurais qu'il valait mieux ne pas intervenir."

"Un homme était en train d'être tué et j'aurais pu prodiguer des soins, du mieux que je pouvais. Ce droit lui a été refusé."

Genevieve Hansen, pompière et secouriste

lors du procès de Derek Chauvin

Maintenue à distance, la secouriste a tenté de guider les policiers pour qu'eux-mêmes viennent en aide à l'homme arrêté. "Je leur ai dit que s'il n'avait pas de pouls, il fallait commencer des compressions thoraciques", a-t-elle relaté à la barre. "Cela n'a pas été fait."

Genevieve Hansen, pompière et secouriste, témoigne au procès de Derek Chauvin, le 30 mars 2021 à Minneapolis (Etats-Unis).  (AP / SIPA)

3La compagne de "Floyd" depuis trois ans

Sa rencontre avec George Floyd, au cœur de l'été, "est l'une des histoires que je préfère raconter", a souri avec émotion Courteney Ross, au quatrième jour du procès. Ce soir d'août 2017, cette habitante de Minneapolis, "née et élevée ici", rend visite au père de ses enfants à l'Armée du Salut, lorsqu'elle croise la route d'un homme "à la voix fantastique, une voix grave et rauque du Sud". "Floyd", comme Courteney Ross l'appelle, est agent de sécurité au sein de l'association. Il perçoit la détresse de cette femme et "m'a demandé s'il pouvait prier avec moi", relate-t-elle.

De cette attention naît une relation de près de trois ans. Le couple se voit "autant que possible", aimant marcher dans le jardin des sculptures de Minneapolis ou "dîner dehors". George Floyd "aimait manger et moi aussi", plaisante Courteney Ross, dans un moment furtif de légèreté.

"Avec lui, c'était toujours une aventure." 

Courteney Ross, compagne de George Floyd

lors du procès de Derek Chauvin

Ses souvenirs heureux dressent le portrait intime de l'homme derrière la victime. Un père aimant profondément ses deux filles, un "fils à sa maman", comme Courteney Ross le comprend dès les premiers instants, "brisé" par la mort de sa mère. Le couple, rompu aux épreuves de la vie, souffre aussi d'une addiction aux opiacés.

"Notre histoire est l'histoire classique des personnes qui deviennent dépendantes, décrit cette Américaine de 45 ans. Nous souffrions tous les deux de douleurs chroniques, moi dans le cou et lui dans le dos." "A de nombreuses reprises", le duo tente de vaincre cette addiction. Face à une défense voulant prouver une mort par overdose, Courteney Ross reconnaît une rechute au printemps 2020. L'addiction de George Floyd, souligne-t-elle, était "la lutte de toute une vie"

Courteney Ross, la compagne de George Floyd, au procès de Derek Chauvin à Minneapolis (Etats-Unis), le 1er avril 2021.  (POOL VIA COURT TV / AFP)

4Le légiste qui a conclu à un homicide

Son témoignage était primordial pour l'accusation, face aux arguments d'une mort par overdose ou liée à des faiblesses cardiaques portés par la défense. Andrew Baker, médecin légiste officiel du comté de Hennepin, est apparu face aux jurés le 9 avril. Il est l'homme qui a autopsié George Floyd et conclu, une semaine après sa mort, à un "homicide". Son "arrêt cardiaque", avait-il alors estimé, était la conséquence de la "pression" exercée sur son cou par Derek Chauvin.

George Floyd avait "un cœur hypertrophié" et souffrait "d'une maladie cardiaque très sévère", a convenu Andrew Baker. "Son cœur [avait] déjà besoin de plus d'oxygène du fait de sa taille", a développé le médecin légiste. Mais c'est son interpellation, le fait d'être plaqué au sol et "la douleur d'avoir sa joue contre le bitume" qui l'ont "fait basculer".

"L'adrénaline va demander à votre cœur de battre plus vite et à votre corps de fournir davantage d'oxygène. La maîtrise de George Floyd, sa retenue et la pression sur son cou était plus que ce qu'il ne pouvait supporter."

Andrew Baker, médecin légiste

lors du procès de Derek Chauvin

Questionné par la défense sur la consommation d'opiacés de George Floyd, le témoin est resté clair sur la cause première de sa mort à ses yeux. "Oui", la présence de substances comme le fentanyl ou la méthamphétamine dans son organisme "a joué un rôle" dans sa mort. "Si Monsieur Floyd avait été seul, chez lui, dans une résidence fermée sans trace de traumatisme (...) alors oui, j'aurais certifié sa mort comme lié à la toxicité du fentanyl, a reconnu l'expert. Mais aujourd'hui, je classerais toujours ce décès comme un homicide."

Andrew Baker, médecin légiste officiel du comté de Hennepin en charge de l'autopsie de George Floyd, témoigne au procès de Derek Chauvin, le 9 avril 2021 à Minneapolis (Etats-Unis).  (AP / SIPA)

5Le chef de la police intransigeant

Il se souvient "presque mot pour mot" du message qui lui a été adressé le soir du 25 mai 2020, peu avant minuit. "Avez-vous vu la vidéo de votre agent étranglant et tuant cet homme ?" Moins de 24 heures plus tard, Medaria Arradondo renvoyait Derek Chauvin et les trois autres policiers impliqués dans la mort de George Floyd. Un décès qu'il qualifie de "meurtre" le mois suivant. Le chef de la police de Minneapolis s'est exprimé avec la même intransigeance au tribunal le 5 avril, livrant un des rares témoignages de violences policières par un policier américain. 

Interrogé sur les règles encadrant l'usage de la force, Medaria Arradondo a insisté sur le caractère sacré de la vie, un "pilier absolument vital" guidant l'action des policiers. "Et quand nous parlons de ce cadre, de nos principes et de nos valeurs, cette action [commise par Derek Chauvin] est contraire à tout ce que l'on nous enseigne", a-t-il insisté. Maintenir son genou sur le cou de George Floyd aurait pu être légitime "lors des premières secondes" de son interpellation, a expliqué Medaria Arradondo. Jamais pendant 9 minutes et 29 secondes.

"Continuer d'exercer ce niveau de force sur une personne à terre et menottée, alors qu'il n'y avait plus aucune résistance de sa part et que Monsieur Floyd ne réagissait plus, cela ne fait certainement pas partie de notre éthique ni de nos valeurs."

Medaria Arradondo, chef de la police de Minneapolis

lors du procès de Derek Chauvin

A plusieurs reprises, d'une voix posée mais le ton ferme, l'ancien supérieur de Derek Chauvin a affirmé que le policier avait "violé" les règles. 

Le chef de la police de Minneapolis, Medaria Arradondo, témoigne lors du procès de Derek Chauvin, le 5 avril 2021 à Minneapolis (Etats-Unis).  (STR / AFP)

6L'expert qui a justifié l'usage de la force 

Son témoignage a contrasté, le 13 avril, avec ceux des policiers condamnant sans détour les actions de Derek Chauvin. Barry Brodd, ancien agent de police et expert en usage de la force, est l'un des sept témoins à avoir été invités à s'exprimer par la défense.

Selon lui, l'usage de la force par Derek Chauvin lors de l'interpellation de George Floyd était "justifié". "Il a agi de manière raisonnable, en suivant les règles du département de la police de Minneapolis et les normes en vigueur en matière de maintien de l'ordre", a défendu cet expert, déjà appelé à la barre pour le procès d'un policier blanc en 2018, accusé de la mort d'un adolescent noir.

"Il est facile de juger le comportement d'un policier depuis son bureau. Il est plus difficile de se mettre à sa place, d'évaluer les choses à travers ce qu'il sent et ressent, la peur qu'il a, et ensuite de prendre une décision."

Barry Brodd, expert en usage de la force

lors du procès de Derek Chauvin

Barry Brodd a également estimé que le fait de placer et maintenir George Floyd à terre était "objectivement raisonnable". Ce n'était pas, à ses yeux, un recours à la force. Mais les paroles de cet ex-policier ont choqué. Quatre jours après son audition, l'ancienne maison de l'expert a été la cible d'un acte de vandalisme. Du sang et une tête de cochon ont été projetés à l'entrée de la résidence. 

L'ancien policier et expert en usage de la force Barry Brodd, au procès de Derek Chauvin à Minneapolis (Etats-Unis), le 13 avril 2021.  (AP / SIPA)

7Le procureur qui ne trouve "aucune excuse" à Derek Chauvin

Il a été le dernier à s'exprimer face aux jurés, lundi 19 avril. L'avocat de Derek Chauvin, Eric Nelson, a appelé le jury populaire à déclarer son client "non-coupable", et ainsi à l'acquitter. L'accusation, a-t-il défendu, a échoué à prouver "au-delà du doute raisonnable" la culpabilité du policier dans la mort de George Floyd. "Les policiers sont des êtres humains et ils peuvent faire des erreurs dans des situations très stressantes", a toutefois convenu Eric Nelson, demandant aux jurés de ne pas juger "ce que l'agent aurait dû faire ou faire différemment dans ces circonstances".

Un appel à la clémence qui a contrasté avec l'ultime charge de l'accusation. "C'était un meurtre, l'accusé est coupable des trois chefs d'accusation et il n'y a aucune excuse", a plaidé le procureur Steve Schleicher.

"George Floyd a supplié jusqu'à ce qu'il ne puisse plus parler. Il fallait juste un peu de compassion et personne n'en a montré ce jour-là."

Steve Schleicher

lors du procès de Derek Chauvin

Son collègue, Jerry Blackwell, a quant à lui défendu que le cœur trop grand de George Floyd n'était pas la cause de sa mort : "C'est le cœur trop petit de Derek Chauvin qui est la raison de la mort de George Floyd."

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