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"On se demande si la Noire est perdue, si elle fait du repérage pour venir voler" : à Bagneux, des habitants témoignent du racisme quotidien dont ils sont victimes

La mort de Georges Floyd aux Etats-Unis et l’affaire Adama Traoré en France, ont fait resurgir la question des violences policières et du racisme. À Bagneux, dans les Hauts-de-Seine, Bobolo, Boubakar, Ghislaine et Salamite témoignent avec lassitude de ce quotidien qu’ils ont intégré, malgré eux.

Article rédigé par franceinfo - Boris Loumagne
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Ghislaine est arrivée en France il y a trente ans mais est confrontée quotidiennement au racisme. (FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

Des manifestations contre le racisme ont désormais lieu quasiment tous les jours en ce moment en France. La mort de Georges Floyd aux États-Unis, l’affaire Adama Traoré en France, ont fait resurgir également la question des violences policières.

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Dans ce quartier populaire de Bagneux, dans les Hauts-de-Seine, la première chose marquante quand on discute avec Bobolo et Boubakar, assis au pied de leur immeuble, c’est leur résignation. Les contrôles de la police sont quasi quotidiens. À cause de leur couleur de peau ? Évidemment, selon les deux hommes.

Je suis beaucoup plus contrôlé que mes amis blancs. C’est devenu normal, pour moi. Ce n’est même pas une question que je me pose : on a grandi dans cette ambiance.

Bobolo

à franceinfo

"Moi j’ai plein d’amis français blancs : ils ne se sont jamais fait contrôler dans l’année, ajoute Boubakar. Là où la même personne, arabe ou black, qui est entre guillemets quelqu’un de visiblement étranger, va se faire contrôler quinze ou vingt fois dans l’année. Pas pour excès de vitesse, pour rien : juste pour contrôle." "On a peur de la police, soupire Bobolo. Parce qu’on ne veut pas se retrouver dans des situations à problèmes. Pas forcément à cause de ce qu’on fait, mais à cause de ce qu’on est."

Des vies rangées, à une diffèrence près

Bobolo 35 ans, en recherche d’emploi. Boubakar, 42 ans, employé à la mairie de Bagneux. Des vies rangées, la famille, les amis, quelques sorties le week-end, comme tout le monde. À une différence près, toujours la même, leur couleur de peau. "À l’époque, se souvient Boubakar, quand j’allais en boite de nuit, si t’étais un Black, même accompagné de ta copine, tu rentrais pas." "Si on est dix ou douze et qu’on veut louer une maison pour les vacances, complète Bobolo, si on met un nom comme Cissé ou Sékou, on est sûr que ça va être refusé. On est obligé d’emprunter le nom d’un ami à nous qui s’appelle par exemple Jean-Charles ou Jean-Philippe pour avoir un peu plus de chances d’être accepté."

Pour nous c’est normal. Mais je pose la question : est-ce que les autres trouvent cela normal ?

Bobolo

à franceinfo

Les discriminations, le racisme, pour ceux qui en sont victimes, ce n’est pas seulement au travail ou pour trouver un logement, c’est aussi dans la vie de tous les jours. Et il suffit parfois d’un regard posé sur soi pour sentir que l’on est de trop. Salamite et Ghislaine habitent le même immeuble. Très vite cette question du regard a émergé dans la conversation. "Dans les grands magasins de luxe, ces choses comme ça, on nous regarde un peu de travers, note Salamite. On se demande si on va faire quelque chose de mal." "On se demande si la Noire est perdue, si elle fait du repérage pour venir voler après… alors qu’on est là pour acheter !", ajoute Ghislaine. Alors Salamite et Ghislaine évitent les beaux quartiers parisiens, quitte à ne jamais vraiment sortir de leur banlieue.

Je suis plus à l’aise dans ma petite banlieue. A part pour aller travailler, j’évite d’aller sur Paris...

Salamite

à franceinfo

"À Paris, on est souvent mal accueillis, ajoute Ghislaine. Quand on va dans un bar pour passer un petit moment, c’est à peine si on veut bien nous accorder une table. Qu’est-ce qu’ils font là ? Est-ce qu’ils vont vraiment s’asseoir ? Limite, on les agace ! On ne nous accueille pas de façon polie et on a presque envie de partir…"

Ghislaine a quitté le Cameroun il y a 30 ans. Et depuis, son parcours est émaillé d’épisodes de racisme. Elle a son bac, deux ans d’université. Un emploi depuis des années à la mairie de sa ville. Et pourtant, quand elle a voulu postuler il y a quelques mois pour un nouveau travail, mais cette fois à l’accueil de cette même mairie, problème. "J’ai postulé dès le mois de décembre et je n’ai pas eu de réponse, indique-t-elle. La même offre est revenue en janvier, en février. J’ai postulé, puisque j’ai les compétences pour ce poste, et je n’ai jamais eu de réponse."

On se demande ce qui ne va pas, on en vient à douter de soi, de ses compétences. Alors quand on postule, on essaie de raser les murs, de ne pas trop en demander, de ne pas viser trop haut. Mais même là, ça ne passe pas.

Ghislaine

à franceinfo

Et puis il y a la question du logement. Ghislaine est en CDI, son mari également. Malgré cela, difficile de trouver plus grand que leur petit appartement HLM, dans ce quartier où la plupart des voisins sont des personnes de couleurs. "Il y a comme un délit de faciès : ils sont noirs, on va les loger là… Non ! On voudrait être logés le mieux possible, que nos enfants aient accès à de bonnes écoles…" Être une femme noire dans notre société, cela rend la vie plus difficile, selon Ghislaine. "J’espère que pour les prochaines générations, ce ne sera pas le cas, qu’on donnera les mêmes chances à tout le monde…" Alors quand elle observe les manifestations en ce moment en France contre le racisme, Ghislaine se dit que oui, peut-être, les choses sont en train de changer.

Ecoutez le témoignage de Ghislaine, au micro de Boris Loumagne

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