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#OscarsSoWhite: la question noire s'invite à Hollywood

La 88e cérémonie des Oscars, qui se tient le 28 février 2016, est placée sous le signe de la controverse. Plusieurs voix se sont élevées pour dénoncer l'Académie qui les décerne car, ces dernières années, elle semble ignorer de plus en plus les talents noirs. La polémique n'est pas nouvelle et devrait conduire Hollywood à faire sa révolution en matière de diversité.
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 16min
25 février 2016. Des répliques des Oscars veillent sur l'entrée du tapis rouge en attendant la grand messe du cinéma qui se tient le 28 février 2016 à Los Angeles, Etats-Unis.  (ROBYN BECK/AFP)

La discrimination dont sont victimes les Afro-Americains et le malaise qui en découle ont envahi la sphère culturelle aux Etats-Unis. La prestation du rappeur Kendrick Lamar à la dernière cérémonie des Grammys s’est faite toute aussi engagée pour la cause noire que le dernier opus de Beyoncé, Formation, et sa prestation à la mi-temps du Superbowl. 

Ces performances artistiques font écho à la controverse qui entoure les Oscars 2016 rebaptisés par son hôte, l'humoriste afro-américain Chris Rock, les «BET Awards (crées par la chaîne américaine BET pour distinguer les Afro-Américains et les minorités dans l'industrie du divertissement, NDLR) pour les Blancs». De nombreux Afro-Américains lui ont d'ailleurs demandé de renoncer à la présentation de l'évènement.


Boycott
En plein Black History Month (mois de l'histoire des Noirs), la 88e cérémonie des Oscars qui se tiendra dimanche 28 février 2016 à Los Angeles sera ainsi assombrie par la controverse portée par le hashtag #OscarsSoWhite. Un appel au boycott a été lancé depuis la publication des nominations où aucun Noir ne figure.

En tête du mouvement, pour lequel aucun d'eux n'a jamais utilisé le terme de boycott, le réalisateur afro-américain Spike Lee (récent récipiendaire d'un Oscar d'honneur) et l'actrice Jada Pinkett Smith, la compagne de Will Smith dont une nomination pour son rôle dans Concussion était espérée.

Ce n'est pas la première fois qu'un vent de boycott souffle sur les Oscars. Mais en 2015 le mouvement, qui serait l'une des explications des mauvaises audiences de la cérémonie, est porté par des voix plus anonymes. La polémique #OscarSoWhite a pris corps avec un tweet (posté le 21 février 2015, heure américaine) par la critique afro-américaine April Reign. C’est alors la première fois depuis 1995, à l'exception de 1997, qu’aucun Afro-Américain n'est nommé dans les principales catégories. Beaucoup estimaient que la prestation du comédien britannique David Oyelowo, qui interprète Martin Luther King dans Selma, méritait qu'il soit en lice pour une statuette. A l’instar de la réalisatrice du film Ava DuVernay dans sa catégorie.


Les nominations pour les Oscars 2016, deuxième année consécutive où aucun Noir n'est nommé dans les catégories relevant de l'interprétation, semblent être la goutte d'eau qui ont fait déborder le vase. D'autant que seuls les scénaristes blancs de Straight Outta Compton (réalisé et joué par des Afro-Américains), qui raconte l’histoire du célèbre groupe de rap afro-américain NWA formé par Ice Cube, ont décroché une nomination. L’œuvre est pourtant considérée comme un succès critique et populaire. 

De même, c'est Sylvester Stallone qui interprète un second rôle dans Creed, réalisé par Ryan Coogler et dont l'acteur principal est Michael B. Jordan (tous deux Afro-Américains), qui a été nommé. Pas de trace non plus du comédien britannique Idris Elba dans la liste des prétendants à l'Oscar. Sa performance dans Beasts of No Nation a été pourtant acclamée.

Les 20 acteurs et actrices nommés aux Oscars 2016 (REUTERS/Staff/Files TPX IMAGES OF THE DAY)

Une Académie «trop blanche»
Des siècles après la l'abolition de l'esclavage et des décennies après la conquête de leurs droits civiques, les Afro-Américains en sont encore à s'interroger sur leur place dans la société, au moment où un autre hashtag focalise de façon dramatique le débat, #BlackLivesMatter. Réagissant à la polémique #OscarsSoWhite, le président Barack Obama a estimé qu'elle était «l'expression d'une problématique plus large», celle de savoir si l'Amerique assure à chacun de ses citoyens l'accès aux mêmes opportunités. 

Pour Ana-Christina Ramon, directrice adjointe du Bunche Center (Université de Californie, UCLA), qui publie chaque année une étude sur la diversité et l'égalité des genres au cinéma et à la télévision, il n’y a rien d’étonnant à ce que le hashtag #OscarSoWhite ait refait surface. «La majorité des membres de l’Académie des arts et sciences sont des hommes blancs dont l’âge moyen tourne autour de la soixantaine. Par consequent, il n’est pas surprenant que les nominations soit le reflet de cette composition», fait-elle remarquer sur le site de UCLA

The Washington Post  souligne que le manque de diversité est d'emblée perceptible dans l’organe qui dirige l’Académie («board of Governors»). Cheryl Boone Isaacs, la première noire à présider l'institution, et le directeur de la photographie Daryn Okada sont les seules personnalités non-blanches d'un bureau exécutif composé de 51 personnes. 

L'Académie et sa présidente ont réagi promptement à la polémique en annonçant des «mesures historiques» d'ici 2020 afin que les femmes et les minorités soient mieux représentées. L'institution, composée de 6.261 votants sur un total de 7.152, devrait alors compter 48% de femmes et plus de 14% de personnes issues des minorités ethniques. «Des chiffres qui indiquent que les membres de l'organisation phare d'Hollywood est pour l'instant à 76% masculine et 93% blanche», note l'AFP. L'Académie n'avait jusqu'ici donné aucune information sur sa démographie. Mais cette dernière suffit-elle à expliquer le manque de reconnaissance des talents noirs même si, constate The Economist, les nominations et les Oscars attribués aux minorités reflètent en apparence la démographie américaine?  

La diversité s'apparente à un investissement risqué à Hollywood
«L’industrie (...) suppose de façon erronée que seuls les films qui parlent d’hommes blancs hétérosexuels attireront les spectateurs. Apparemment, c’est pour les affaires et je le comprends parfaitement. Mais, en même temps, "Stars Wars: le réveil de la force", qui a déjà engrangé plus d’un milliard de recettes et qui est l’un des plus gros succès du box-office de tous les temps, a pour personnages principaux une femme et un Noir (la première bande-annonce où l’on voyait d’ailleurs uniquement ce personnage noir avait suscité des commentaires racistes, NDLR). Alors ne me dites pas que les personnes de couleur, que les femmes ne peuvent pas remplir les salles. Stars Wars a prouvé le contraire», répond la responsable du site BroadwayBlack.com April Reign à l'orgine du hashtag #OscarsSoWhite, dans les colonnes du Los Angeles Times

Cependant, à Hollywood, les préjugés ont la vie dure. Parmi les critères qui prévalent au financement d'une oeuvre, «il y a l'idée, non prouvée, que les films avec seulement des acteurs noirs ne peuvent pas connaître une carrière internationale», confiait  l'acteur afro-américain Don Cheadle le 18 février 2016 au Festival du film de Berlin où il présentait son premier film, Miles Ahead, un biopic sur le musicien Miles Davis. «Avoir un acteur blanc dans ce film est vraiment devenu un impératif  financier», a expliqué l'acteur cité par l'AFP. 


Les minorités absentes des lieux de pouvoir
Pour beaucoup, la diversité à Hollywood renvoie à une question de pouvoir et d’opportunités. Pour Spike Lee qui s'exprimait sur la chaîne ABC, rapporte Culturebox, «la "vraie bataille" de la diversité au cinéma et à la télévision ne se joue pas à l'Académie des Oscars mais "dans les bureaux des décideurs des studios de Hollywood et des chaînes télévisées"». «La vérité, c'est que nous ne sommes pas dans ces bureaux et jusqu'à ce que les minorités y soient, les nominés aux Oscars resteront blancs», conclut-il.

«Environ 87% des acteurs principaux, 87% des réalisateurs et 92% des scénaristes des 163 films en tête du box-office en 2014 sont blancs», d'après la nouvelle enquête du Bunche Center, citée par The Washington Post. «Par ailleurs, le nombre de personnes de couleur dans ces professions ont baissé de 4% entre 2014 et 2013».

Ces projets ont été validés par des responsables qui ont la même couleur de peau, poursuit le Washington Post. «Ce sont des Blancs qui dirigent les six plus grands studios d’Hollywood, à l’exception de Kevin Tsujihara, président de la Warner Bros. Et ce sont 39 hommes blancs, 15 femmes blanches et six personnes de couleur qui occupent des postes de responsabilité dans ces studios. Le journal, citant des membres de l'Académie des Oscars, conclut néanmoins: «Tous ces cadres prendraient moins leurs décisions en s’appuyant sur la couleur de la peau que par peur de parier sur la nouveauté».

Futur enjeu économique
Si nouveauté doit rimer avec diversité, l'audience est déjà prête et ne réclame que des héros qui lui ressemblent. Car les minorités restent encore invisibles dans le cinéma américain alors qu’elles constituent environ 40% de la population américaine. Selon l'édition 2016 de l'enquête du Buncher Center, les films qui ont les meilleurs retours sur investissement sont pourtant ceux dont le casting reflète la multiculturalité des Etats-Unis. En outre, la moitié des spectateurs les plus fréquents (qui vont au cinéma au moins une fois ou plus par mois) sont issues des minorités, selon les statistiques 2014 de la Motion Picture Association of America (la MPAA réunit les six plus grands studios américains). Ils ne représentent que 11% de la population mais ont acheté plus de la moitié des tickets vendus en 2014. Et les Latinos constituent le quart de ces spectateurs assidus contre 10% pour les Afro-Américains.

La communauté hispanophone est pourtant fortement négligée à Hollywood et à la télévision. Sur le petit écran, les Noirs sont sur-représentés en comparaison des Latinos, souligne le Hollywood diversity report 2015 du Bunche Center. En 2013, les personnages afro-américains représentaient 17,4% de l’échantillon examiné alors que leur proportion était de 13,2% dans la population américaine. Contrairement aux Latinos: 5,6% à la télévision contre 17,1% dans les données démographiques. 

Les séries télévisées manquent toutefois moins de couleur que les salles obscures. Les chaînes ont une longueur d'avance. En particulier ABC qui vient de remplacer Paul Lee, patron de sa branche divertissement et à qui l'on doit la diversité actuelle sur ses écrans par une Afro-Américaine, Channing Dungey. Cette dernière fait figure de pionnière car c'est la première fois qu'un Noir occupe ce poste dans l'un des trois reseaux hertziens (ABC, NBC et CBS). ABC n'en est pas à son premier coup en matière de diversité. Ainsi, les soirées du jeudi de la chaîne (TGIT pour «Thanks God It’s Thursday») sont exclusivement consacrées à la créatrice et productrice de séries afro-américaine Shonda Rhimes. Scandal et Grey’s Anatomy, qu'elle a créées, encadrent How to Get Away with Murder qu’elle produit. Par le biais d'ABC, Shonda Rhimes est devenue l'une des ces «voix», issues des minoritéscapables à la fois de leur faire la part belle tout en s'adressant à un large public. Les bonnes performances de ses productions le démontrent. 

Evolution de la diversité et de l'égalité des genre entre 2011 et 2014 aux Etats-Unis (Source : édition 2016 du rapport sur la diversité publié par le Bunche Center). Le tableau 12 renvoie à la diversité, eu égard aux minorités, dans les rôles principaux au cinéma, le tableau 13 revient sur la répartition des rôles principaux selon le genre et le tableau 14 classe les films selon leur niveau de diversité (minorités).   (2016 Hollywood Diversity Report (Bunche Center, UCLA))

D'autant que l'entrée de Scandal dans la grille de la chaîne généraliste américaine en 2012 marque une révolution. C'était la première fois qu'une Afro-Américaine avait le rôle principal dans une série diffusée sur un grand network depuis Julia (série proposée entre 1968 et 1971 sur NBC) où la comédienne Diahann Carol incarnait, une première également, un personnage noir non stéréotypé. En 2013, Kerry Washington obtient pour la première fois en dix-huit ans une nomination aux Emmys (les trophées de la télévision américaine) pour une comédienne noire dans la catégorie meilleure actrice dans une série dramatique.

C'est finalement Viola Davis qui recevra cette distinction en 2015 pour son interprétation dans How to Get Away with Murder, devenant la première Afro-Américaine à décrocher la récompense.  «La seule chose qui sépare les femmes de couleur de n'importe qui d'autre, ce sont les opportunités (...) On ne peut pas gagner un Emmy pour des rôles qui n'existent tout simplement pas», déclare-t-elle alors. Le propos peut s'appliquer à tous les groupes aujourd'hui discriminés à Hollywood:  les minorités, en particulier les Afro-Américains, et les femmes. 

La dernière enquête du Bunche Center sur la diversité souligne qu'il n'est plus tenable, notamment d'un point de vue économique, pour Hollywood de faire l'impasse sur cette question. «La plupart des tickets d'entrée des 4 premiers films du top 10 des meilleurs entrées (y compris le numéro 1) en 2014 ont été achetées par des personnes issues des minorités».

L'étude conclut qu'il faudra une approche multidimensonnelle pour s'attaquer au problème parce que tous les acteurs de l'industrie cinématograpique sont responsables de cette situation : «des studios aux chaînes de de télévision», en passant par les différentes agences («qui ne recrutent majoritairement que des Blancs») et les académies (cinéma et télévision) «constituées majoritairement  d'hommes blancs», aux créateurs et aux producteurs («qui s'entourent souvent de gens qui leur ressemblent»).

«Le propos de#OscarsSoWhite, résume April Reign dans le Los Angeles Timesn’est pas de dire qu’il faut une personne de couleur dans chaque catégorie. Il s’agit de s’assurer que les meilleurs ont la possibilité de se présenter à des auditions, d’écrire des histoires et de réaliser des films, ce qui leur donnera la possibilité d’obtenir des nominations (aux Oscars).» 




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