L'année où Donald Trump s'est fâché avec la Terre entière
Trump est le Jason Bourne des trolls : un surhomme, une armée infatigable à lui tout seul. Cet homme se sert de ses meetings comme on se sert d'armes et change chaque tweet en grenade." Cette comparaison, dressée en octobre par un journaliste du site Politico, illustre bien l'impression que laisse le président des Etats-Unis, qui fête, samedi 20 janvier, le premier anniversaire de son investiture : celle d'un chef d'Etat au discours incendiaire, guerrier. "On dirait que son credo, c'est : 'il y a tellement de gens à attaquer et si peu de temps' [pour le faire]", résume Peter Wehner, un ancien conseiller de George W. Bush, cité par le New York Times.
Ainsi, en douze mois à la Maison Blanche, l'ancien magnat de l'immobilier a menacé la Corée du Nord d'une guerre nucléaire, méprisé le jeu d'actrice de Meryl Streep et malmené un sénateur républicain, comparé à "un employé de la fourrière". Bref, il a appliqué à sa présidence le mantra des candidats de téléréalité qu'il a longtemps côtoyés du temps où il présentait "The Apprentice" : "Je ne suis pas venu ici pour me faire des amis. Je suis venu pour gagner." Gagner quoi ? La guerre qu'il mène contre (presque) le reste du monde.
Donald Trump contre les anti-Trump
Le Congrès, les tribunaux, les démocrates, les républicains, le ministère de la Justice, Hollywood, l'armée, les agences de renseignements, les acteurs d'une comédie musicale et de l'émission humoristique "Saturday Night Live", les athlètes professionnels... "Dans sa courte carrière de président, monsieur Trump s'en est pris virtuellement à toutes les institutions de la vie américaine", a listé le New York Times en septembre. S'il est fréquent qu'un candidat au poste suprême soit vindicatif lors de sa campagne, afin de mobiliser sa base, rares sont ceux qui attisent le feu de la division une fois assis dans le bureau ovale. Or "en privé, le président et ses proches collaborateurs admettent sans détour qu'il est engagé dans une guerre culturelle au côté de sa base, la classe populaire blanche", explique une source du quotidien.
Cette "guerre culturelle", théorisée outre-Atlantique dans les années 1990, consiste à opposer l'Amérique multiculturelle et progressiste, "eux", à l'Amérique blanche conservatrice, "nous". Elle se mène sur le terrain de la communication avec, sur le front, ses soldats : les électeurs de Trump se reconnaissant dans "l'alt-right". Une guerre des mots... jusqu'à l'épisode Charlottesville.
Le 12 août, des dizaines de personnes, essentiellement de jeunes hommes blancs, défilent dans les rues de cette ville de Virginie, torches à la main. Emmenés par un leader suprémaciste, Richard Spencer, ils scandent : "Vous ne nous remplacerez pas !" Les manifestants protestent contre une décision de la municipalité de démonter une statue du général Lee, l'homme à la tête des armées des Etats confédérés (favorables à l'esclavage) pendant la guerre de Sécession.
Le lendemain de cette procession, où les drapeaux sudistes côtoient les svastikas, des heurts violents éclatent avec des militants antiracistes. Un sympathisant de l'alt-right fonce en voiture dans la foule et tue Heather Heyer, une manifestante de 32 ans. Dix-neuf personnes sont blessées. Aussitôt, Donald Trump blâme "les deux côtés", refusant d'incriminer les seuls néo-nazis (parmis lesquels on trouve "des gens bien", assure-t-il).
Au lendemain de cette prise de position controversée, le New Yorker s'interroge : "L’Amérique se dirige-t-elle vers un nouveau genre de guerre civile ?" Pour le conservateur Peter Wehner, elle est pourtant bien l'expression de la stratégie clivante appliquée par le chef de l'Etat : "Jamais nous n'avons eu un président qui s'applique autant à entretenir la haine et l'animosité entre Américains, d'une manière si jubilatoire, si répétée. Et quand il n'y a pas de cible désignée [par l'actualité], il va s'en créer une." La preuve ? En une phrase, le président des Etats-Unis est parvenu à liguer une partie de la population contre un nouvel (et inattendu) ennemi : la NFL, le championnat de football américain, et ses stars.
L'attaque est venue de nulle part, vendredi 22 septembre. En meeting dans l'Alabama, face à un parterre de supporters sudistes, le président des Etats-Unis interpelle : "Vous n'aimeriez pas que, quand un joueur manque de respect au drapeau, le dirigeant de son club dise : 'Sortez-moi ce fils de pute du terrain ! Il est viré ! Il est viré !' ?" L'assemblée le comprend immédiatement, Donald Trump fait référence à Colin Kaepernick, un joueur métis qui, la saison dernière, avait posé le genou à terre pour protester contre les violences policières contre les Noirs aux Etats-Unis.
La remarque soulève un tonnerre d'applaudissements dans la salle et une salve d'indignations chez les anti-Trump. Par solidarité, une partie de l'Amérique met un genou à terre : des joueurs de football, puis d'autres athlètes, des artistes et des personnalités (même Mulder et Scully de la série X-Files) adoptent la posture. En face, une autre partie des Américains boycottent les stades ou sifflent ceux qui adoptent cette posture, les accusant d'antiaméricanisme.
Les Américains semblent en revanche plutôt d'accord pour dire que leur président est clivant. Un sondage publié le 24 septembre rapporte que 66% d'entre eux considèrent que Donald Trump œuvre davantage à diviser le pays plutôt qu'à l'unifier (c'est 11 points de plus que le maximum jamais obtenu par Barack Obama ou George W. Bush).
Donald Trump contre le "quatrième pouvoir"
Comme vous le savez, je suis en guerre contre les médias. Ils sont les gens les plus malhonnêtes que je connaisse", rappelle Donald Trump, trois jours seulement après son élection, lors d'une allocution devant le personnel de la CIA. Car, en cette première année de service à la tête des Etats-Unis, le milliardaire a ardemment combattu ses autres "ennemis" de l'intérieur : les journalistes. A peine installé à la Maison Blanche, le président s’écharpe avec le "quatrième pouvoir" au sujet du nombre de spectateurs venus assister à sa cérémonie d'investiture, qu’il estime scandaleusement sous-évalué. Devant la presse, son porte-parole, Sean Spicer, martèle qu’aucune investiture n’a connu une telle affluence. Et quand les images tournées par les caméras de télévision montrent le contraire, Kellyanne Conway, conseillère du président, s'en sort par une pirouette : selon elle, la Maison Blanche ne ment pas, elle propose des "faits alternatifs".
Cette défiance vis-à-vis des médias n’est pas nouvelle pour les conservateurs américains. Mais selon Politico, elle est carrément le ciment du "trumpisme" : "Pour la droite, les médias jouent le rôle que jouait l’Union soviétique pendant la Guerre froide : un adversaire commun d’une extrême importance, capable de fédérer contre lui", analyse le site. S’adressant à sa base à travers les réseaux sociaux, Donald Trump entretient cette flamme, retweetant par exemple un montage dans lequel il met K.O. un homme dont la tête a été remplacée par le logo de CNN. Une incitation à la violence qui inquiète du côté de la chaîne d’information où, en juillet, on craint "que quelqu’un ne soit blessé". "C'est assez incroyable que la liberté de la presse, qui est non seulement un pilier de la Constitution mais aussi une valeur défendue par les Etats-Unis depuis toujours, soit attaquée par le président lui-même," s'alarme le haut-commissaire des Nations unies aux Droits de l'homme, en août.
Décidée à snober les médias critiques vis-à-vis de sa présidence, Trump fait le tri : en un an, il ne s'est exprimé que deux fois sur NBC ou MSNBC, une fois sur CBS, une fois sur ABC News et n'a accordé aucune interview à CNN. La chaîne conservatrice Fox News, elle, a reçu 18 fois le président, selon le décompte publié en octobre dernier par un journaliste spécialisé de CBS. Sur le plateau de son média favori, il se félicite d'ailleurs "d'avoir lancé ce mouvement contre les 'fake news'. (...) Je suis très fier d'avoir su convaincre les gens que tout était fabriqué". En effet, 46% des électeurs américains pensent désormais que les médias inventent une partie des informations qu'ils délivrent au sujet du président. (A l'inverse, le blog du Washington Post consacré au fact checking a calculé que Trump lui-même avait fait plus de 2 000 déclarations fausses et/ou trompeuses en 365 jours de mandat.)
Pour Donald Trump, les médias "abîment l'esprit des Etats-Unis". "Mauvais pour le pays", écrit-il sur Twitter en découvrant, le 11 octobre, un reportage de NBC sur la volonté du président d'augmenter l'arsenal nucléaire des Etats-Unis. "Les chaînes d'information sont devenues si partisanes, elles déforment la vérité et mentent tellement que leur autorisation d'émettre devrait être réexaminée, voire révoquée", tweete-t-il encore, sans cacher son désir de museler les avis divergents. De quoi échauder une presse américaine qui, soucieuse de "faire son travail, pas la guerre", selon l'expression employée par le patron du Washington Post, se retrouve à jouer le rôle d'opposition que devrait assumer le Parti démocrate, toujours pas remis de la défaite d'Hillary Clinton.
Donald Trump contre ses collègues républicains
Bizarrement, le parti républicain et ses alliés peinent à se remettre de la victoire de Donald Trump. La preuve avec cette photo, prise huit jours après l'investiture. Le président est photographié dans le bureau ovale, au téléphone avec le président russe, Vladimir Poutine. Face à lui, cinq personnes. Ses plus proches conseillers et collaborateurs. Sept mois plus tard, quatre d'entre eux ont déjà quitté la Maison Blanche. En fait, "plus d'une douzaine d'employés de l'exécutif ont été brusquement écartés, ont dû démissionner ou ont rapidement changé de poste", détaille Business Insider, huit mois après l'investiture. Si tous n'ont pas quitté le navire en raison d'une brouille avec le président, CNN juge durement ce turnover, signe d'une "administration désordonnée, assaillie de toute part et qui ne sait pas où elle va".
Car depuis son élection, les règlements de comptes sont légion autour du président. Tout juste nommé pour donner un nouvel élan, dès le mois de juillet, au mandat de Donald Trump, Anthony Scaramucci est écarté onze jours plus tard après, notamment, avoir traité le chef de cabinet de la Maison Blanche, Reince Priebus, de "putain de paranoïaque" et insulté Steve Bannon, alors conseiller, dans The New Yorker. Les deux autres hommes lui emboîtent le pas en juillet et en août. Des sources internes citées dans la presse évoquent des tensions intenables entre Steve Bannon, le créateur du site d'extrême droite Breitbart, et un autre conseiller de Trump, son gendre Jared Kushner. En juillet, c'est Rex Tillerson qui a failli claquer la porte. Selon trois sources internes, le secrétaire d'Etat a craqué, qualifiant le président de "débile" à l'issue d'une réunion. Il finit par démentir et Donald Trump crie à la fake news. "Mais s'il l'a dit, je pense qu'il faudra comparer nos tests de QI. Et je peux vous dire qui va gagner", tacle quand même le président américain.
Le chaos estival a conduit Donald Trump à se tourner vers l'ancien général réputé John Kelly pour remettre de l'ordre à la Maison Blanche. Nommé chef de cabinet en août, il est un des rares militaires à occuper ce poste stratégique. Mais, selon le magazine Vanity Fair, lui aussi envisagerait de démissionner. "Malheureux dans son boulot, il ne reste que par sens du devoir afin d'empêcher Trump de prendre une décision désastreuse", confient deux pontes républicains cités par le mensuel. Mais c'est encore Bob Corker, qui décrit le plus cruellement le fonctionnement de la Maison Blanche. Dans un tweet, ce sénateur républicain, qui a soutenu le milliardaire pendant la campagne, décrit "une garderie pour adulte". "Il m'inquiète. Il inquiéterait quiconque se soucie de la nation", confie-t-il au New York Times.
Comme le vétéran John McCain, malade, ou George W. Bush, qui n'a guère plus d'aspiration politique au sein du Parti républicain, ceux qui s'élèvent contre Donald Trump dans son propre camp ne briguent pas de nouveaux mandats. Pour l'historien et éditorialiste conservateur Max Boot, les autres ont été pris en otage par le président et sont "atteints du syndrome de Stockholm", se désole-t-il dans Foreign Policy. Le journaliste Geoff Bennett, qui couvre la Maison Blanche pour la radio NPR, a interrogé des élus républicains à ce sujet : "Les sénateurs républicains qui souhaitent être réélus doivent plaire à cette même coalition d'électeurs que celle qui a élu Donald Trump. Parce que ces électeurs ont été attirés en partie par la personnalité du candidat, plus que pour des raisons idéologiques. Ils [les sénateurs] ne savent pas du tout ce qu'ils doivent faire", résume-t-il pour expliquer le silence du camp du président.
Donald Trump contre le reste du monde
Pour ce qui est de ses relations avec le reste du monde, le président américain a donné le ton quelques jours après son investiture en décrétant le controversé "travel ban". Partant du postulat que les citoyens de certains pays à majorité musulmane représentent une menace potentielle pour les Etats-Unis, ce décret – contesté en justice – leur interdit l'entrée sur le territoire. "America first", a promis Donald Trump, même s'il doit se froisser avec la communauté internationale. Pas diplomate pour un sou, il a limité le budget du ministère des Affaires étrangères pour gonfler celui de la Défense. Le message : l'Amérique ne discute pas, elle agit. Quitte à exaspérer quelques alliés et à se lancer dans une escalade verbale sur fond de guerre nucléaire.
La première crise internationale majeure de l'ère Trump commence un 4 juillet, jour de la fête nationale américaine. Forte d'un malin sens du timing, la Corée du Nord tire avec succès son premier missile intercontinental susceptible d'atteindre l'Alaska, dans le nord-ouest des Etats-Unis ("Un cadeau pour ces salauds d'Américains", dixit Kim Jong-un). "Ce type n'a rien de mieux à faire de sa vie ?" commente aussitôt le président américain sur Twitter. S'il fait encore preuve d'une certaine retenue, son mode opératoire commence à inquiéter les experts. Et si son utilisation massive de Twitter et son sens de la formule mettaient de l'huile sur le feu ? Cela le rend-il "dangereux", comme le martèle son ancienne rivale, Hillary Clinton ?
Leurs craintes se confirment un mois plus tard. "La Corée du Nord ferait mieux de ne plus menacer les Etats-Unis", lance Donald Trump, sans quoi, elle fera face à une puissance de "feu et de fureur telle que le monde n'en n'a jamais vu". Menaces, insultes... Le président continue de répondre aux nombreuses provocations de celui qu'il appelle désormais "Rocketman" (d'abord sur Twitter, puis à la tribune de l'ONU quelques jours plus tard). Et quand Rex Tillerson, son "merveilleux secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères", part en Chine en catastrophe pour tenter de désamorcer la crise, le président tweete, le 1er octobre : "Je lui ai dit qu'il perdait son temps à essayer de négocier avec le petit 'Rocketman'. Garde ton énergie Rex. On fera ce qu'on aura à faire !"
Non content d'imposer son style, Donald Trump a aussi détricoté les efforts diplomatiques les plus significatifs de son prédécesseur. En juin d'abord, il annonce son retrait de l'accord de Paris sur le climat. Désormais, la liste des pays non-signataires se résume aux Etats-Unis et à la Syrie. Enfin, en octobre, Donald Trump met en péril l’accord sur le nucléaire iranien conclu en 2015 par Barack Obama avec l'Iran, l'Allemagne, la Chine, la France, le Royaume-Uni et la Russie. Contre leurs avis, il menace d'"annuler" cet accord en vertu duquel Téhéran a accepté de brider son programme nucléaire en échange d'une suspension des sanctions occidentales et onusiennes. Finalement, seuls deux pays se félicitent de cette décision, Israël et l'Arabie saoudite, en conflit avec l'Iran.
Dans un article publié dans le magazine Foreign Policy et titré "La pire première année de politique étrangère", un historien fustige cette nouvelle politique. "En dénigrant des accords-clés, et des alliances telles que l'Alena et l'Otan, Trump a marqué de son empreinte une stratégie visant à mépriser les valeurs et les relations qui constituent la base de l'image internationale des Etats-Unis depuis des générations", commente-t-il. La stratégie de l'"Amérique d'abord" ternit-elle l'image du pays de l'oncle Sam et de son président ? Plus d'un an après l’élection de Donald Trump, près de neuf Européens sur dix (86%) assuraient avoir une mauvaise image du président américain, selon un sondage Odoxa-Dentsu Consulting. Soit 10 points de plus qu’en janvier dernier. En juin, une autre enquête indiquait que 49% d'entre eux déclarait avoir une bonne opinion de l'Amérique, contre 64% quelques mois auparavant.