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Charlottesville : pourquoi Donald Trump a-t-il autant de mal à condamner les suprémacistes ?

Article rédigé par Louis San
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Donald Trump lors d'une conférence de presse à la Trump Tower, à New York, le 15 août 2017. (DREW ANGERER / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP)

Après avoir été critiqué pour son manque de fermeté, et après avoir finalement déclaré que "le racisme, c'est le mal", le président américain a fait un nouveau revirement, mardi, estimant que les torts étaient "des deux côtés".

"Vous aviez un groupe d'un côté qui était agressif et vous aviez un groupe de l'autre côté qui était aussi très violent." Donald Trump a renvoyé dos à dos, mardi 15 août, manifestants d'extrême droite et antiracistes après les violences de Charlottesville (Virginie) qui ont coûté la vie à une femme, samedi. Un nouveau revirement du président américain après une ferme condamnation, qui était arrivée de façon tardive.

Pour y voir plus clair, franceinfo explique pourquoi le milliardaire a tant de mal à condamner les suprémacistes blancs.

Parce qu'il est soutenu par l'extrême droite américaine

Expulser des millions de clandestins, construire un mur pour arrêter l'immigration illégale en provenance du Mexique... Avec ces propositions radicales, Donald Trump n'a cessé, pendant la campagne présidentielle, de faire du pied à l'alt-right. Ce terme désigne la droite "alternative" américaine qui fédère des groupes nationalistes, suprémacistes, antisémites et racistes. CNN (en anglais) recense quelque 900 "groupes haineux" aux Etats-Unis.

"Le terme alt-right a été inventé par Richard Spencer [président du think tank National Policy Institute] pour tenter de dédiaboliser l'extrême droite américaine classique, pour faire plus moderne", explique à franceinfo Corentin Sellin, professeur d'histoire et spécialiste des Etats-Unis, auteur de Trump, candidat des pauvres, président des riches ?. Mais derrière ce nom, l'alt-right ne s'écarte pas des fondamentaux : c'est "un mouvement fondé par des idéologues qui croient en la supériorité des Blancs sur les Noirs", résumait Slate en 2016. "Nous ne sommes pas d'accord avec l'idée répandue en Occident selon laquelle toutes les races sont égales", a ainsi déclaré à La Tribune de Genève Jared Taylor, l'un des leaders de ce mouvement.

En novembre, Richard Spencer et d'autres nationalistes américains ont célébré la victoire de Donald Trump en lançant "Hail Trump, Hail notre peuple, Hail la victoire". Ce "Hail" (de "to hail", saluer en anglais) rappelle évidemment le "Heil Hitler" du IIIe Reich. Il a été suivi de saluts nazis.

"Voter contre Donald Trump serait trahir votre héritage", avait notamment déclaré David Duke, l'emblématique ancien chef du Ku Klux Klan. Un soutien à peine désavoué par le candidat républicain : "Vous ne voudriez pas que je condamne un groupe [le Ku Klux Klan] dont je ne connais rien. Il faudrait que je me renseigne", avait-il dit.

Mardi, David Duke a salué le dernier revirement de Donald Trump sur Twitter. "Merci président Trump pour votre honnêteté et votre courage de dire la vérité sur Charlottesville et de condamner les terroristes de gauche de BLM [Black lives matter]/antifa", a écrit l'ancien chef du Ku Klux Klan, qui a pris ses distances avec le mouvement à la fin des années 1970, mais reste une figure de l'extrême droite américaine, à travers ses thèses racistes, son révisionnisme et ses attaques répétées contre les juifs.

Pour Marie-Cécile Naves, chercheuse spécialiste des Etats-Unis à l'Institut de relations internationales et stratégiques, Donald Trump "veut garder le soutien de l'extrême droite suprémaciste". "Contrairement à lundi, où il s'exprimait à la Maison Blanche, où il lisait un prompteur, hier [mardi], sa déclaration aux journalistes se passait chez lui, à la Trump Tower à New York, et cela a du sens. Cela veut dire qu'il redevient le Donald Trump de la campagne, le Donald Trump défenseur de l'identité blanche de l'Amérique", analyse-t-elle au micro de franceinfo.

On est dans une légitimation du racisme de sa part.

Marie-Cécile Naves, spécialiste des Etats-Unis

à franceinfo

Parce qu'il ne veut pas se mettre à dos une partie de son électorat 

Donald Trump est soutenu par l'alt-right mais son électorat est bien plus large. Le président joue donc les équilibristes entre cette frange extrémiste et l'électorat républicain plus modéré, plutôt blanc, de classe moyenne et plus aisé.

"Donald Trump a désavoué le Ku Klux Klan et les suprémacistes, mais il a souligné qu'il y avait des gens fréquentables lors de la manifestation qui a dégénéré samedi, relève Corentin Sellin. L'alt-right est minoritaire. Ses membres sont peu nombreux, ce sont surtout des activistes. Mais certaines thèses identitaires de l'alt-right ont infusé dans la société américaine et ont permis à Donald Trump de séduire un électorat blanc et populaire, vers les Grands Lacs, qui votait plutôt démocrate."

Des supporteurs de Donald Trump à Mannheim (Pennsylvanie, Etats-Unis), le 1er octobre 2016. (MANDEL NGAN / AFP)

En clair, Donald Trump ne peut pas se permettre de condamner trop fermement les violences de Charlottesville car nombre de ses partisans, sans être des extrémistes, sont sensibles à des idées venues de l'alt-right.

Parce qu'il s'est entouré de figures de l'"alt-right"

Arrivé à la Maison Blanche, Donald Trump a nommé un entourage controversé. Parmi ces proches figurent trois grands conseillers "qui sont des champions de la ligne nationale identitaire", selon Corentin Sellin.

Steve Bannon. Il a décroché le poste de conseiller stratégique du président après avoir été le patron du site d'extrême droite Breitbart News. La ligne éditoriale de ce site, qui est le porte-voix de l'alt-right, se résume en quelques mots : racisme, antisémitisme, complotisme et sexisme. Comme l'avait montré L'Express, cette nomination avait fait l'unanimité chez les suprémacistes.

Sebastian Gorka. L'actuel conseiller adjoint de Donald Trump avance dans l'ombre de Steve Bannon puisqu'il a été rédacteur en chef de Breitbart News. Selon le magazine américain The Atlantic (en anglais), il a été épinglé pour avoir porté l'insigne d'une organisation, appelée Vitez, qui a collaboré avec les nazis en Hongrie. Des accusations balayées par Sebastian Gorka, qui a expliqué avoir porté cette médaille en mémoire de son père décoré pour avoir combattu le communisme dans ce pays d'Europe centrale. Lui aussi féroce anticommuniste, Sebastian Gorka s'illustre avec des déclarations à l'emporte-pièce sur les questions de sécurité et le contre-terrorisme.

Sebastian Gorka, conseiller adjoint de Donald Trump, à la conférence d'action politique conservatrice à National Harbor, dans le Maryland, le 24 février 2017. (ALEX WONG / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP)

Stephen Miller. Désormais plume de Donald Trump, il a été conseiller de Jeff Sessions, l'ancien sénateur conservateur de l'Alabama et actuel ministre de la Justice, rappelle Courrier international. Originaire d'une famille juive, aisée et démocrate de Santa Monica (Californie), il a rejeté son parcours après avoir lu Guns, Crime and Freedom (Armes, crime et liberté), un ouvrage de Wayne LaPierre, vice-président de la National Rifle Association, raconte Le Figaro (article abonnés). Proche des milieux d'extrême droite, il est notamment connu pour être l'inspirateur, avec Steve Bannon, des premières mesures anti-immigration de Donald Trump.

Stephen Miller, plume de Donald Trump, à la Maison Blanche, à Washington (Etats-Unis), le 2 août 2017. (RON SACHS / DPA / AFP)

Pour Corentin Sellin, Donald Trump ne compte pas se séparer de ces conseillers. "Il déteste faire ce que le microcosme lui conseille de faire. La presse américaine estimait depuis ce week-end qu'il devait se séparer de Steve Bannon, il l'a conforté", analyse-t-il. Sans oublier que Donald Trump doit beaucoup à Steve Bannon. Ce dernier est l'un des artisans de sa victoire, puisqu'il a repris en main sa campagne dans les derniers mois. Reste à savoir si cette reconnaissance va durer.

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