"La France est un endroit triste" : mais quel est le problème de Donald Trump avec la France ?
Entre amour, haine ou fascination, franceinfo a tenté de comprendre la relation complexe que Donald Trump entretient avec notre pays.
Donald Trump a accepté sans hésiter l'invitation d'Emmanuel Macron. A Paris, jeudi 13 et vendredi 14 juillet, les deux présidents célèbrent la fête nationale française, ainsi que le centenaire du déploiement des troupes américaines sur le sol hexagonal, en 1917, lors de la première guerre mondiale. Au menu : un passage en revue des personnels militaires et civils américains en poste en France, un tête-à-tête à l'Elysée, un dîner avec leurs épouses au restaurant Jules-Verne de la tour Eiffel (classe !) et, le lendemain matin, une place aux premières loges pour le traditionnel défilé militaire du 14-Juillet.
Symbole, faste et cérémonial... La France met les petits plats dans les grands pour accueillir "The Donald", un chef d'Etat qui, de tweets en meetings, n'a pourtant cessé de critiquer la France et sa politique. Cible privilégiée des attaques et moqueries du chef d'Etat américain, la France tient, en effet, une place très particulière dans le cœur du milliardaire. Et comme la plupart de ses obsessions, elles reposent sur un mélange de curiosité et de répulsion.
"La France n'est plus ce qu'elle était"
"Il m’a longuement parlé de la France et a souligné qu’il était venu de nombreuses fois à Paris", se souvient André Bercoff. En février 2016, alors que Donald Trump est encore candidat à l'investiture du parti républicain, le journaliste et polémiste est le seul Français autorisé à s'entretenir avec lui, dans son fastueux bureau de la Trump Tower, sur la 5e avenue, à New York. Nous sommes trois mois après les attentats qui ont frappé Paris, le 13 novembre 2015. Le milliardaire s'enflamme.
La France n'est plus ce qu'elle était, et Paris non plus. Il y a des quartiers dont on a l'impression qu'ils sont devenus hors la loi.
Donald Trumpdans "Valeurs Actuelles", février 2016
En mars 2017, il persiste et signe devant un parterre de conservateurs venus l'écouter à Washington : son ami "Jim", qui visitait tous les étés Paris en famille, boude désormais la capitale, assure le président fraîchement investi. "Paris n'est plus Paris !", aurait assuré Jim "l'ex-francophile", selon Donald Trump. A l'époque, The New Yorker tente de retrouver ce mystérieux touriste, afin d'en savoir plus. En vain. Le magazine ne trouve personne parmi les soutiens, amis et même anciens camarades de fac du président pour défendre la thèse d'un Paris infréquentable. A moins qu'il ne faille regarder du côté de Fox News, la chaîne conservatrice que Donald Trump regarde religieusement. En 2015, un intervenant y délivrait sans sourciller une expertise erronée, selon laquelle Paris étaient parsemé de "no go zones" interdites aux non-musulmans.
Un détracteur opportuniste
Pour André Bercoff, ces déclarations ne sont pas une preuve d'animosité. De la déception, tout au plus. "Quand je l'ai rencontré, le message de Trump, c'était plutôt : 'J'aime la France, mais je ne comprends pas que vous ne vous défendiez pas davantage', corrige le polémiste. Pour lui, un peuple qui ne sait pas défendre ses frontières et ses valeurs est un peuple perdu." Un exemple ? La tuerie du Bataclan, qui a fait 90 morts. "Votre police et votre gendarmerie ont fait un beau travail, mais entre-temps, c'était open bar pour le massacre. C'était le tir aux pigeons", aurait-il expliqué au journaliste français.
Un "French bashing" au service de ses desseins politiques. Depuis janvier 2015 et les attentats de Charlie Hebdo et de l'Hyper Casher, le candidat républicain se saisit des tragédies françaises pour appuyer ses idées en matière d'immigration et de sécurité. Pro-arme, il ironise dans un tweet daté du 8 janvier 2015 sur nos lois "les plus restrictives sur les armes à feu". Le lendemain des attentats du 13-Novembre, il scande "Personne n'avait d'armes ! Personne", devant une foule de Texans conquis. "La France est un endroit triste", accuse-t-il encore au cours d'un autre meeting, en juin 2016, mettant en doute la sécurité de l'Euro. Un mois plus tard, après l'attaque au camion de la promenade des Anglais, il remet ça.
La France est infectée par le terrorisme. Et c'est de leur faute. Parce que [les Français] ont laissé ces personnes entrer sur le territoire.
Donald Trump
Déjà, il vante ce qui deviendra le travel ban, une restriction de la remise de visa à l'encontre d'une poignée de pays musulmans. Une liste noire à laquelle la France et l'Allemagne ont échappé de justesse.
Traditionnellement, les Républicains aiment taper sur les "Frenchies". Ils gardent notamment en travers de la gorge le refus de Paris de soutenir l'offensive de 2003 en Irak. Pas étonnant donc que, pour les séduire, Donald Trump ait adopté cette rhétorique anti-Français. Dans le même registre, quand il sort de l'accord de la COP21, le président américain déclare avoir été élu "pour les habitants de Pittsburg, pas de Paris" et se félicite qu'une manifestation anti-Paris soit organisée face à la Maison Blanche.
Des rendez-vous manqués avec la France
Au-delà du calcul politique, Donald Trump nous déteste-t-il vraiment ? Nous, Français ? A-t-il eu de mauvaises expériences lors de ses visites ? Pourtant, notre pays, numéro un du secteur du luxe, dispose d'atouts pour lui plaire : le président américain aime les dorures, les lustres et les chérubins. Il a choisi un style inspiré du château de Versailles pour décorer ses chez-lui tant aimés : son luxueux penthouse New Yorkais et sa villa de Mar-a-Lago, en Floride. "Les hommes puissants à travers le monde ont tendance à avoir une affinité pour le style baroque Français", nous apprend le magazine Quartz.
En fouillant dans ses biographies, on trouve peu de références à la France dans son parcours d'homme et de businessman. Cité par le Boston Globe sur ses années d'étudiants, Donald Trump déclare, méprisant, au sujet d'une femme qui l'a éconduit, qu'"elle sortait avec des types de Paris, des Français de 35 ans, la totale". Sa biographie la plus récente, Trump Revealed : An American Journey of Ambition, Ego, Money, and Power accorde un paragraphe à une autre brève histoire de rivalité. En 1989, il décide d'investir dans l'organisation d'une course cycliste aux Etats-Unis, "présentée comme la réponse de l'Amérique au Tour de France". Ce "Tour de Trump" (c'est son vrai nom) s'achève à l'ombre de l'hôtel Trump Plaza, à Atlantic City pendant deux éditions, avant de changer de main et de disparaître.
Exhumé par L'Express, un article du magazine VSD daté du 13 juin 1996 donne, de son côté, un aperçu de feu les ambitions du milliardaire en France. "Il envisage alors de faire de la rénovation de grande envergure ou de bâtir une tour dans la capitale, se voyant même accueillir par le maire d'alors, Jean Tibéri, et son équipe", résume L'Express.
Paris est l'une des plus belles villes au monde. Si j'y trouve un bon produit, je l'achèterai. Et je mettrai mon nom dessus.
Donald Trumpdans "VSD", 1996
Mais dans un pays qui ne raffole pas vraiment des buildings, le nom de Trump ne s'est finalement affiché que sur la coque de son yacht, le Trump Princess. Racheté en 1987 à un prince saoudien à Boston avant d'être amarré à Antibes, le navire (qui a servi de décors au James Bond Jamais plus jamais, en 1983) est revendu en 1991. Entre-temps, pas sûr que le milliardaire ait profité de la French Riviera. Les seules photos de lui à bord, datées de 1988, ont été prises à New York.
Contrairement à sa première épouse, Ivana, laquelle était encore il y a quelques mois en train de sabrer le champagne à Saint-Tropez avec un frère Bogdanoff et le jetsetter septuagénaire Massimo Gargia, "Trump est fondamentalement Américain. New York c’est son alpha et son omega, pointe André Bercoff. Ce n’est pas un Abramovitch ou un Qatari qui va venir en France pour acheter le PSG. Ce n'est pas ce genre de milliardaire."
Une angoisse nucléaire viscérale
Dans son bestseller The Art of the Deal (1987), Donald Trump se souvient pourtant d'avoir fait de bonnes affaires "grâce" à la France. "En 1981, nous avons assisté à une arrivée soudaine d'acheteurs français. Je n'étais pas certain de savoir pourquoi, puis j'ai compris que c'était en raison de l'élection de François Mitterrand. Quiconque de riche et intelligent a compris qu'il abîmerait l'économie française", analyse-t-il. Pourtant, ce n'est pas une divergence politique qui explique la haine de Donald Trump pour le président français.
Ce n'est pas juste qu'il était socialiste et qu'il a commencé à nationaliser des entreprises. C'est surtout qu'il s'est avéré être un homme très dangereux qui vendait la technologie nucléaire au plus offrant. On ne peut pas s'abaisser plus bas.
Donald Trumpdans son livre "The Art of the Deal", 1987
Car s'il existe quelque chose que Donald Trump déteste bien de la France, c'est sa culture de l'atome.
En 1987, l'entrepreneur en discute avec le journaliste américain Ron Rosenbaum. Dans son article, récemment traduit par Slate.fr, l'Américain écrit "Trump a un problème avec la France". Et de citer le businessman, chaud comme un réacteur : "Leur président [François Mitterrand, donc] est un type arrogant, totalement stupide, qui essaie de regagner du terrain en vendant sa technologie nucléaire à tout le monde et c’est une honte, une honte."
La question nucléaire n'a jamais cessé de nourrir la méfiance de Donald Trump à l'égard de la France. En 1999 et en 2000, alors qu'il hésite à se présenter une première fois à l'élection présidentielle, il met en garde : à vouloir vendre "l'arme nucléaire à n'importe qui leur offrirait 10 cents de plus que le premier qui leur a fait la demande", la France est "un allié faible". Les Français "ont été des partenaires horribles pendant des années. Ils sont très déloyaux et je pense qu'ils doivent apprendre le respect [...] je le dis car personne ne l'a fait avant".
Ron Rosenbaum, anti-Trump convaincu, n'est pas certain que cette question nucléaire soit à l'origine d'une éventuelle haine de la France. Pas plus que la question terroriste ou l'opportunisme du "French bashing" : "Lui prêter des motivation de ce genre, c'est se tromper sur sa vraie nature égoïste. Peut-être qu'il s'est vraiment intéressé à la prolifération nucléaire, assure-t-il à franceinfo. Mais il est trop ignorant et soucieux de transformer ces intérêts en contrats d'armement. En fait, je ne crois pas qu'il sache tout simplement penser."
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