"Nid d'espions", soupçons de vol de propriété intellectuelle... On vous raconte ce qu'il s'est passé au consulat chinois à Houston, au cœur des tensions entre la Chine et les Etats-Unis
L'ordre du gouvernement américain de fermer le consulat chinois de Houston mardi, sur fond d'accusation d'espionnage, a exacerbé les tensions entre les deux puissances. En représailles, la Chine a ordonné vendredi la fermeture d'une mission diplomatique américaine.
Des puissances qui en espionnent d'autres, ce n'est pas nouveau. Que ces puissances-là soient la Chine ou les Etats-Unis, c'est encore moins étonnant. Ce qui l'est beaucoup plus, c'est la décision de Washington, qui est tombée comme un coup de tonnerre : mardi 21 juillet, le gouvernement américain a ordonné la fermeture du consulat chinois de Houston (Texas), accusant justement Pékin d'"espionnage massif" et de vol de données. Menaçant les Etats-Unis de "représailles", la Chine finit, elle aussi, par ordonner de fermer le consulat américain à Chengdu, dans la province de Sichuan, vendredi 24 juillet. Ce bras de fer cristallise des tensions déjà très vives entre les deux pays, accentuées par la pandémie de coronavirus. Que s'est-il passé dans cette mystérieuse ambassade ? Eléments de réponse.
Deux hackers chinois inculpés par la justice américaine
Tout commence par la publication, mardi 21 juillet, d'un communiqué du ministère américain de la Justice (lien en anglais).
Il annonce la mise en examen de deux Chinois, Xiaoyu Li et Jiazhi Dong, dans une affaire de piratage d'une centaine d'entreprises de haute technologie, d'institutions et d'administrations diverses sur plus de dix ans, dans 11 pays dont les Etats-Unis. Certains des organismes touchés par ce piratage sont engagés dans la lutte contre le Covid-19 et tentent de développer des vaccins.
Quelques heures plus tard, le gouvernement américain ordonne alors à la Chine de fermer dans les 72 heures son consulat dans cette ville du Texas. Le motif invoqué par Morgan Ortagus, porte-parole du département d'Etat : "protéger la propriété intellectuelle et les informations privées des Américains". Elle ajoute : "Les Etats-Unis ne toléreront pas les violations de notre souveraineté et l'intimidation de notre peuple par la Chine".
Alors en visite au Danemark, le secrétaire d'Etat américain Mike Pompeo accuse la Chine de s'être engagée dans "un espionnage massif" de données secrètes. Sans évoquer directement le dossier du consulat de Houston, il fait allusion à la mise en examen des deux hackers chinois. Après cette annonce, des médias locaux et riverains texans déclarent voir de la fumée s'échapper de la cour du consulat chinois. Des documents y auraient été brûlé.
This video shared with us by a viewer who lives next to the Consulate General of China in #Houston shows fire and activity in the courtyard of the building.
— KPRC2Tulsi (@KPRC2Tulsi) July 22, 2020
DETAILS SO FAR: https://t.co/2cOeKoap96 pic.twitter.com/0myxe6HIlC
"C'est la première fois depuis 1979 et le rétablissement des relations entre la Chine et les Etats-Unis qu'un consulat chinois est ordonné de fermer", pointe à franceinfo Valérie Niquet, responsable du département Asie à la Fondation pour la recherche stratégique. Celui de Houston est d'ailleurs le premier à avoir été implanté aux Etats-Unis.
Houston, nid d'espions ?
"Le consulat de Houston est l'épicentre du vol de données", avance au New York Times (article payant, en anglais) mercredi 22 juillet David Stilwell, responsable de la diplomatie américaine pour l'Asie orientale. "Il a toujours été connu pour avoir un 'comportement subversif'". Il cite l'exemple du consul Cai Wei et de deux autres diplomates qui ont été surpris après avoir utilisé de fausses pièces d'identité pour escorter des voyageurs chinois jusqu'à la porte d'entrée d'un vol, à l'aéroport George Bush, le 31 mai.
Toujours selon le New York Times, qui a eu accès à un document des forces de l'ordre américaines, plusieurs enquêtes du FBI sont liées à ce consulat, notamment sur des tentatives de transferts illégales de recherches médicales.
Sur Twitter, le sénateur de Floride Marco Rubio fustige le consulat de Houston, l'accusant d'être le "nœud central du vaste réseau d'espions et d'opérations d'influence du Parti communiste aux Etats-Unis".
#China’s consulate in #Houston is not a diplomatic facility. It is the central node of the Communist Party’s vast network of spies & influence operations in the United States. Now that building must close & the spies have 72 hours to leave or face arrest.
— Marco Rubio (@marcorubio) July 22, 2020
This needed to happen.
La ville de Houston est d'autant plus une cible qu'elle est réputée pour être un pôle économique important des Etats-Unis, où sont basées des entreprises sensibles comme la Nasa. De plus, un grand complexe médical de Houston, qui compte l'université Baylor College of Medicine ou encore l'hôpital Houston Methodist, aurait été l'une des cibles des deux hackers chinois inculpés mardi 21 juillet.
La Chine riposte et menace de représailles
La réaction de la Chine ne se fait pas attendre. Face à ces accusations, Wang Wenbin dénonce, mercredi, une "provocation politique" "lancée unilatéralement par la partie américaine, qui viole gravement le droit international". Menaçant Washington de "représailles" si aucune action n'est prise rapidement, le porte-parole de la diplomatie chinoise ajoute que "la Chine condamne fermement cette action scandaleuse et injustifiée". Il assure que le gouvernement chinois est un "fervent défenseur de la cybersécurité".
"L'Amérique de Trump est peut-être plus ferme vis-à-vis de la Chine que celle des autres présidents, mais elle répond aussi à l'évolution politique du pays", analyse Valérie Niquet. Alors que les précédents gouvernements souhaitaient collaborer avec Pékin et nouer des accords, "on s'est aperçu, et cela a été exacerbé avec la crise du Covid-19, que la Chine de Xi Jinping a choisi une stratégie de repli et de plus grande agressivité".
Ces accusations d'espionnage ne sont pas nouvelles. Mais si les Etats-Unis ont décidé de fermer le consulat de Houston, c'est pour envoyer à la Chine un signal ou une sanction.
Valérie Niquetà franceinfo
Les Etats-Unis dénoncent ouvertement la politique intérieure et extérieure de la Chine, qu'il s'agisse de la loi controversée sur la sécurité nationale à Hong-Kong ou de la répression des Ouïghours dans le Xinjiang. Ils n'hésitent pas à prendre des mesures punitives contre elle. La fermeture du consulat de Houston serait l'une d'entre elles.
Lors d'une conférence de presse, Donald Trump annonce même qu'il est "toujours possible" qu'une autre mission chinoise soit fermée.
Malgré l'injonction, le consul chinois de Houston, Cai Wei, fait savoir, mercredi, dans une interview à Politico, qu'il refuse de fermer le consulat.
"Monde libre" versus "tyrannie communiste"
Le ton monte des deux côtés du Pacifique. Deux jours après l'ordre des Etats-Unis de fermer l'ambassade de Houston, Mike Pompeo reprend la parole. "Le monde libre doit triompher de la nouvelle tyrannie" que constitue Pékin, lance-t-il. "La Chine d'aujourd'hui est de plus en plus autoritaire à l'intérieur du pays, et plus agressive dans son hostilité face à la liberté partout ailleurs".
Réitérant les accusations contre le consulat de Houston d'être une "plaque tournante de l'espionnage et du vol de propriété intellectuelle", il présente à plusieurs reprises la Chine comme "une menace".
En réponse, la diplomatie chinoise dénonce une "calomnie malveillante" qui "démolit le pont d'amitié entre les Chinois et les Américains". La contre-attaque chinoise arrive vendredi. Pékin ordonne aux Etats-Unis la fermeture de leur consulat à Chengdu, dans la province du Sichuan. C'est "une réponse légitime et nécessaire aux mesures déraisonnables des Etats-Unis", estime dans un communiqué le ministère chinois des Affaires étrangères.
Pour Valérie Niquet, la réaction chinoise aurait pu être pire. "Si la Chine avait demandé à fermer le consulat de Hong Kong, cela aurait été symboliquement plus grave" au regard de la crise actuelle dans l'île. La ville de Chengdu est certes importante pour les intérêts américains car elle est proche du Tibet, mais ici "le signal n'est pas particulièrement dur".
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