Pourquoi les relations entre la Chine et les Etats-Unis se sont-elles autant dégradées ?
Dernier avatar d'une tension croissante, la fermeture du consulat chinois de Houston et du consulat américain à Chengdu.
"Je voudrais remercier le président chinois Xi Jinping", "les Etats-Unis apprécient grandement les efforts et la transparence de la Chine [dans la lutte contre le Covid-19]". En janvier, Donald Trump usait encore de politesse avec son homologue chinois Xi Jinping sur Twitter. L'époque est révolue et les échanges moins courtois, maintenant que les deux puissances se livrent un bras de fer diplomatique. Donald Trump ordonné à Pékin, mardi, de fermer le consulat chinois de Houston, accusant ses agents d'espionnage massif. En réaction, la Chine a fait fermer le consulat américain de Chengdu, vendredi 24 juillet.
Franceinfo vous explique pourquoi Washington et Pékin en sont arrivés là.
Parce que les Etats-Unis accusent la Chine de les espionner
Soupçonnant Pékin de vol de données et d'espionnage massif, les Etats-Unis ont exigé, mardi, la fermeture du consulat chinois à Houston, au Texas. Le secrétaire d'Etat américain le justifie par la nécessité de "protéger la propriété intellectuelle américaine et les informations privées des Américains". Mike Pompeo affirme que le consulat chinois de Houston est "une plaque tournante de l'espionnage".
Quelques heures plus tôt, deux ressortissants chinois avaient été inculpés par la justice américaine pour piratage informatique. Ils ont été accusés de voler des données d'une entreprise travaillant sur un vaccin contre le Covid-19.
La fermeture du consulat chinois de Houston est d'autant plus symbolique qu'il a été le premier à ouvrir aux Etats-Unis en 1979, l'année de rétablissement des relations diplomatiques entre les deux puissances.
C'est l'accusation de trop pour la Chine, qui dénonce "une provocation lancée unilatéralement par la partie américaine", "scandaleuse et injustifiée". Pékin réplique vendredi 24 juillet en ordonnant la fermeture du consulat américain de Chengdu, dans le centre du pays. C'est "une réponse légitime et nécessaire aux mesures déraisonnables des Etats-Unis", a déclaré le ministère chinois des Affaires étrangères, dans un communiqué.
Parce que Washington et Pékin s'accusent d'avoir mal géré la pandémie de Covid-19
Pour Donald Trump, "la Chine doit être tenue entièrement responsable" de la propagation du Covid-19 dans le monde. Dans un discours prononcé à l'occasion de la fête nationale américaine, le 4 juillet, le locataire de la Maison Blanche accuse Pékin d'avoir gardé le secret, trompé et dissimulé des informations sur le début de l'épidémie à Wuhan.
Le président américain affuble régulièrement le Covid-19 du sobriquet stigmatisant "virus chinois", voire de "kung-flu", jeu de mot raciste mêlant l'art martial chinois du kung-fu et le mot "flu", "grippe" en anglais. Il va jusqu'à affirmer que le virus a été créé "sciemment" à l'Institut de virologie de Wuhan, bien que l'Organisation mondiale de la santé rappelle qu'il est d'origine naturelle.
La Chine n'est pas en reste. En réponse aux accusations de Donald Trump, dès le mois de mars, le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères avait laissé entendre sur Twitter que le Covid-19 avait tout à fait pu être importé en octobre 2019 par des soldats américains en visite à Wuhan.
2/2 CDC was caught on the spot. When did patient zero begin in US? How many people are infected? What are the names of the hospitals? It might be US army who brought the epidemic to Wuhan. Be transparent! Make public your data! US owe us an explanation! pic.twitter.com/vYNZRFPWo3
— Lijian Zhao 赵立坚 (@zlj517) March 12, 2020
Ces attaques par déclarations interposées se sont matérialisées autour de l'OMS. Donald Trump a ainsi annoncé, le 15 avril, suspendre le financement américain de l'institution mondiale, alors que les Etats-Unis en sont le premier contributeur. Raison invoquée : il la juge trop favorable à la Chine et l'accuse d'être "sa marionnette". Après avoir déploré l'"égoïsme" des Etats-Unis, le gouvernement chinois a annoncé un mois plus tard qu'il donnerait deux milliards de dollars à l'OMS (1,7 milliard d'euros).
"Chaque fois que Trump retire les Etats-Unis de la scène mondiale, Xi annonce que la Chine fera un pas en avant", résume Ryan Hass, spécialiste de la Chine à la Brookings Institution et ancien membre du Conseil de sécurité nationale de Barack Obama, pour le New York Times (en anglais). "Xi Jinping a fait preuve d'un opportunisme impitoyable en cherchant à exploiter l'abandon par l'Amérique du leadership mondial".
Parce que les Etats-Unis critiquent la politique intérieure de la Chine
La situation de Hong Kong a conduit Donald Trump à taper du poing sur la table. Pékin a imposé le 1er juillet une loi sur la sécurité nationale qui réduit radicalement les libertés individuelles sur le territoire. En conséquence, le gouvernement américain a choisi de mettre fin, le 14 juillet, au traitement préférentiel accordé à Hong Kong et signé une loi, le "Hong Kong Autonomy Act", pour condamner les individus qui participent à la "perte d'autonomie du territoire". En premier lieu, Han Zheng, le responsable du Parti communiste chinois (PCC) chargé des affaires de Hong Kong, et la cheffe de l'exécutif local Carrie Lam.
Interdictions d'entrer sur le territoire, gels d'actifs : ces mesures sont inédites. "Il s'agit de dispositions du niveau des sanctions adoptées après la répression de Tiananmen, en 1989", compare Eric Sautedé, politologue installé à Hong Kong, interrogé par franceinfo. "Elles montrent la volonté américaine d'une rupture franche et sans appel vis-à-vis de Pékin", selon l'expert, qui rappelle que "Hong Kong était un bastion extrêmement important pour les Etats-Unis, avec de très nombreux binationaux, et beaucoup d'entreprises américaines." Des médias étaient aussi installés à Hong Kong, "à défaut de pouvoir exercer en Chine continentale". C'était le cas du New York Times qui a commencé à transférer son bureau régional à Séoul.
La répression des Ouïghours dans la région du Xinjiang a également conduit Washington à adopter des mesures punitives après la révélation, en 2019, de plus de 400 documents officiels chinois par le New York Times (en anglais) attestant de l'existence de camps de concentration. Le "Uyghur Human Rights Policy Act", signé le 17 juin, et l'extension du "Global Magnitski Human right Act" sanctionnent ainsi les cadres du Xinjiang responsables de l'internement massif de cette minorité musulmane chinoise.
Ces mesures sont perçues comme des "provocations" par Pékin, selon Eric Sautedé. "La Chine accueille ces sanctions comme une nouvelle ingérence pour déstabiliser l'Etat", affirme-t-il. Elle n'a d'ailleurs pas tardé à répliquer, en annonçant des sanctions (non précisées) contre trois parlementaires républicains parmi les plus critiques du régime chinois : les sénateurs Marco Rubio (Floride) et Ted Cruz (Texas), et le représentant Chris Smith (New Jersey).
Parce que les deux pays s'affrontent sur la 5G
Tout connecter, partout et tout le temps : telle est la promesse de la 5G qui pourrait révolutionner les infrastructures et les industries, jusqu'aux voitures autonomes. Une innovation clé dans la course économique qui oppose la Chine aux Etats-Unis, d'autant plus que le géant chinois Huawei est devenu un leader incontournable de cette nouvelle technologie.
"À en croire l'administration Trump, si Huawei obtient le leadership mondial sur les équipements 5G, le levier économique de puissance de la Chine serait tel qu'il rendrait dérisoire des sanctions économiques prises par les Etats-Unis", affirme à franceinfo Mark Corcoral, chercheur au Centre de recherches internationales (Ceri) de Sciences Po.
Washington est donc passé à l'offensive en 2019 avec un décret contraignant toutes les entreprises américaines, dont Google, à suspendre toute coopération avec le géant chinois. Motif invoqué : l'accusation d'espionnage pour le compte de la Chine qui pourrait exploiter une faille potentielle de la 5G. "Pour atteindre un niveau de réactivité très élevé, en 5G il est possible de distribuer l’intelligence du réseau au plus près des antennes-relais. Dans ces conditions, il est plus difficile de se prémunir contre un potentiel piratage de données à grande échelle", résume Mark Corcoral.
Dernière victoire en date pour les Etats-Unis dans ce combat contre Huawei : la Grande-Bretagne a à son tour a décidé de bannir l'entreprise chinoise de l'exploitation de la 5G sur son territoire.
Parce qu'ils se défient aussi dans l'espace
Sur un front généralement dominé par les Américains, la Chine tente elle aussi de s'imposer. Alors que le premier vol spatial chinois habité ne remonte qu'à 2003, soit plus de 70 ans après les Etats-Unis, Pékin a investi des milliards dans ses programmes spatiaux pour rattraper son retard. Elle a lancé, jeudi 23 juillet, une sonde en direction de Mars pour en analyser sa surface.
Si le robot n'arrivera qu'en 2021, c'est avant tout un message fort pour la Chine, toujours dans le contexte tendu avec les Etats-Unis. "Si [la mission] réussit, ce serait la première fois dans l'histoire qu'un atterrisseur et qu'un robot téléguidé non-américains fonctionnent sur Mars", explique à l'AFP Chen Lan, analyste pour le GoTaikonauts.com, spécialisé dans le programme spatial chinois. Avec cette mission martienne, la Chine prouve au monde "qu'elle est au niveau" des Etats-Unis et des Russes, pointe Sylvain Bouley, planétologue et professeur au laboratoire Géosciences de l'université Paris-Sud à Saclay (Essonne), et qu'elle peut sans problème concurrencer les autres puissances spatiales.
Preuve que Mars est un enjeu scientifique et politique pour les Américains et les Chinois, les Etats-Unis devraient lancer eux aussi une sonde spatiale, baptisée Mars 2020, vers la planète rouge, le 30 juillet.
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