Présidentielle américaine 2024 : après le passage de l'ouragan Hélène, les théories complotistes soufflent sur la campagne électorale

Article rédigé par Elise Lambert
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7 min
Donald Trump visite un centre d'accueil pour les victimes de l'ouragan Hélène aux Etats-Unis, à Evans (Etat de Géorgie), le 4 octobre 2024. (EVAN VUCCI / AP / SIPA)
Donald Trump et ses soutiens relaient de nombreuses fausses informations sur la réponse fédérale apportée aux victimes de l'ouragan. Ces propos ont effrayé certains sinistrés qui n'osent plus demander de l'aide et inquiètent le camp démocrate, à moins d'un mois du scrutin.

Un déluge de fausses informations. Une semaine après le passage dévastateur de l'ouragan Hélène dans le sud-est des Etats-Unis, qui a fait plus de 200 morts à travers une demi-douzaine d'Etats, la reconstruction des communes dévastées est entachée par la propagation de théories du complot. Relayées par Donald Trump et ses soutiens, celles-ci affirment que le président américain, Joe Biden, refuse d'apporter son aide aux sinistrés républicains, ou que les aides seraient détournées pour être versées aux migrants.

Face aux attaques, la candidate démocrate à l'élection présidentielle, Kamala Harris, a fustigé "des escrocs, des acteurs de mauvaise foi" qui "veulent semer le chaos parce qu’ils pensent que cela sert leurs intérêts politiques", cite le New York Times . Des attaques loin d'être anodines, puisque la Caroline du Nord et la Géorgie, très durement touchées par la catastrophe, font partie des Etats clés de ce scrutin, où les deux candidats sont au coude-à-coude à moins d'un mois du vote, le 5 novembre. Et convaincre ces électeurs indécis pourrait s'avérer déterminant dans la course à la Maison Blanche.

Les fake news sur l'aide aux sinistrés

La désinformation a commencé le 30 septembre, au lendemain du passage de l'ouragan. En visite dans la ville de Valdosta (Géorgie), dévastée, Donald Trump a affirmé que le gouverneur de cet Etat, le républicain Brian Kemp, avait tenté d'appeler Joe Biden pour demander de l'aide, mais qu'il n'avait "pas réussi à le joindre", relate CNN. Brian Kemp a toutefois précisé plus tard à des journalistes qu'il avait bien parlé au président américain, et que c'était lui qui avait manqué un appel de la Maison Blanche. Sur son réseau social Truth Social, le candidat républicain a également prétendu que le gouvernement fédéral "faisait tout son possible" pour ne pas "aider les gens dans les zones républicaines" de Caroline du Nord. Interrogé sur ses allégations par un journaliste de MSNBC, Donald Trump n'a fourni aucune preuve à l'appui.

Donald Trump visite la ville dévastée de Valdosta (dans l'Etat américain de Géorgie) après le passage de l'ouragan Hélène, le 30 septembre 2024. (EVAN VUCCI / AP / SIPA)

La plupart des accusations de Donald Trump se concentrent sur la Federal Emergency Management Agency (Fema), l'agence gouvernementale chargée de gérer les situations d'urgence. Le 3 septembre, lors d'un meeting dans le Michigan, le milliardaire a accusé Kamala Harris d'avoir alloué l'argent de cet organisme pour loger des migrants illégaux, que les démocrates "veulent voir voter pour eux". Or, le vote des étrangers à la présidentielle américaine est... interdit. Le lendemain, il a répété qu'"un milliard de dollars" avait été "volé" à la Fema pour être alloué aux migrants.

Sur son site, la Fema a été contrainte de dédier une page spéciale pour répondre à ces rumeurs et assure qu'"aucun fonds destiné à la réponse aux catastrophes n'a été détourné". Le Congrès a bien alloué 650 millions de dollars (environ 591 millions d'euros) pour 2024 à un programme d'aide aux migrants administré par la Fema, mais il est distinct du budget réservé aux sinistrés de catastrophes naturelles, souligne CNN. "Le camp républicain fait feu de tout bois, le climat est un thème comme un autre pour eux", analyse pour franceinfo Ludivine Gilli, directrice de l'observatoire de l'Amérique du Nord à la Fondation Jean-Jaurès.

"Une catastrophe naturelle avec de nombreuses personnes affectées est une occasion rêvée pour les républicains pour blâmer le camp démocrate."

Ludivine Gilli, spécialiste des Etats-Unis

à franceinfo

"Ce type de déclarations risque davantage de rebuter les électeurs modérés qui pourraient voter républicain, que de les convaincre, estime Ludivine Gilli. Le but n'est pas d'élargir leur électorat, mais de surmobiliser leur base."

Le camp Trump multiplie les rumeurs 

D'autres fake news sont partagées par les soutiens de Donald Trump et l'"alt-right" américaine. La trumpiste complotiste Marjorie Taylor Greene affirme par exemple que Washington a utilisé "la technologie de contrôle météorologique" pour orienter l'ouragan Hélène vers les électeurs républicains. Sur X, l'élue l'assure : "Oui, ils peuvent contrôler le climat". Et elle accuse la Fema de "détester les chrétiens". Le premier message affiche 42 millions de vues.

Le célèbre complotiste Alex Jones, détenteur de la chaîne de propagande Infowars et suivi par 2,8 millions de personnes sur X, développe dans une vidéo ce qu'il présente comme "l'histoire secrète" des "armes météorologiques" utilisées lors de l'ouragan Hélène. Il accuse la Fema de n'octroyer que 750 dollars (environ 682 euros) aux sinistrés. Or, il s'agit du montant de l'aide immédiate mais d'autres subventions existent, souligne l'agence.

La républicaine Marjorie Taylor Greene lors d'un discours devant le Capitole, à Washington, le 28 avril 2022. (BONNIE CASH / UPI / SHUTTERSTOCK / SIPA)

Une autre fausse information prétendant que le gouvernement fédéral voudrait s'emparer de la ville sinistrée de Chimney Rock, en Caroline du Nord, afin de raser complètement la commune, a été largement relayée sur X, tout comme la rumeur que l'administration Biden voudrait y extraire du lithium, développe le site de la radio publique nationale, NPR. Elon Musk lui-même, propriétaire de X et fervent soutien de Donald Trump, a assuré auprès de ses quelque 200 millions d'abonnés que les vols de secours privés vers la Caroline du Nord étaient bloqués par l'administration fédérale. "Personne ne ferme l'espace aérien", a contredit le secrétaire aux Transports démocrate, Pete Buttigieg, cité par CNBC.

La "complosphère" et "l'Etat profond"

De fausses images de dévastation, créées avec l'intelligence artificielle, ont aussi proliféré sur les réseaux sociaux. Des influenceurs conservateurs ont partagé la photo factice d'une enfant en pleurs tenant un chiot mouillé. Une autre montrait un Donald Trump combatif, portant un gilet de sauvetage dans une rue inondée par l'ouragan.

Cette désinformation s'ajoute à une confusion déjà existante, notamment au sein des communautés sinistrées dans les zones rurales, où les habitants privés d'électricité et de réseau sont contraints de se fier aux rumeurs, explique le Washington Post. Le 5 octobre, en déplacement à Charlotte (Caroline du Nord), Kamala Harris a assuré que le gouvernement fédéral était "là pour longtemps", rapporte PBS, et a qualifié deux jours plus tard Donald Trump d'"incroyablement irresponsable" pour avoir répandu des fake news, cite ABC News.

"Avant même d'entrer en politique, Donald Trump s'est fait connaître pour ses mensonges. L'une de ses premières controverses était sur le lieu de naissance de Barack Obama", rappelle Ludivine Gilli. Depuis l'élection du milliardaire en 2016 à la Maison Blanche, le climat et les événements météorologiques ont occasionné d'incessantes "interprétations complotistes" de sa part et de celle de ses soutiens, renchérit Tristan Mendès France, coprésentateur du podcast "Complorama" sur franceinfo. "La complosphère américaine affirme de longue date que l''Etat profond' ["deep state" en anglais] serait capable de contrôler le climat, souligne le membre de Conspiracy Watch, un observatoire du complotisme. Dès qu'il y a un séisme, ils tapent notamment sur la Haarp, un programme de recherche américain sur la ionosphère [une couche de l'atmosphère]."

"Dans l'imaginaire complotiste, il ne peut pas y avoir de hasard. Si l'ouragan Hélène frappe des zones électorales favorables aux républicains, c'est forcément volontaire."

Tristan Mendès France, spécialiste du complotisme

à franceinfo

En 2018, déjà, Majorie Taylor Greene avait assuré qu'une banque tenue par la famille Rothschild était responsable d'un incendie en Californie et avait évoqué la possibilité que des "lasers ou faisceaux de lumière bleue" soient responsables, pointe Associated Press. En 2021, les complotistes assuraient qu'une tempête de neige au Texas avait été créée par le gouvernement démocrate, souligne Reuters

Face au changement climatique, une lecture complotiste

Cette négation de l'amplification des catastrophes naturelles par le réchauffement climatique correspond aussi à l'idéologie de Donald Trump et de la majorité du parti républicain. Le 28 septembre, l'ancien président a qualifié la crise climatique de "l'une des plus grandes escroqueries de tous les temps". Lors d'un débat face au colistier de Kamala Harris, Tim Walz, son alter ego républicain, J.D. Vance, a remis en question "l'idée que les émissions de CO2 sont à l'origine de tout le changement climatique".

Depuis qu'Elon Musk a racheté Twitter en 2022, ces propos climatosceptiques atteignent une audience inédite. Le milliardaire a considérablement réduit la modération de contenus sur X et supprimé l'équipe de curation. Les utilisateurs bannis ont été rétablis et l'audience des comptes payants est favorisée. Or, "ceux qui sont prêts à donner de l'argent à Elon Musk sont en adéquation avec son idéologie", reprend Tristan Mendès France. "On assiste à une forme encore plus décomplexée des propos complotistes."

Au-delà des fake news propagées dans son sillage, l'ouragan Hélène risque d'ores et déjà de perturber le scrutin présidentiel. En Caroline du Nord, de nombreux bureaux de vote ont été endommagés ou réquisitionnés par les secours, rapporte AP. De son côté, la Floride, déjà frappée par Hélène, se prépare à l'arrivée d'une nouvelle perturbation violente, l'ouragan Milton, dès mercredi. Et avec lui, au déferlement redouté d'une nouvelle vague de désinformation.

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