: Reportage Ils ont manifesté au Capitole : rencontre avec des soutiens sans faille de Donald Trump
Deux semaines après les violences perpétrées au Congrès, France Télévisions a interrogé des Américains présents à Washington le 6 janvier. Des supporters indéfectibles du président républicain, méfiants envers les médias et galvanisés par les rumeurs circulant en ligne.
A l'heure où des journalistes de France Télévisions le rencontrent, Brandon Fellows, 26 ans, sait que son arrestation est imminente. Cet Américain de la région d'Albany, dans l'Etat de New York (Etats-Unis), a reçu il y a quelques heures un appel du FBI pour sa présence au Capitole à Washington, l'après-midi du 6 janvier. "Je n'ai rien fait de mal", se défend-il dans une vidéo sur Instagram. "Je suis content de ce que j'ai fait, peu importe ce qui arrive."
Ce jour-là se tient, au Capitole, berceau du pouvoir législatif américain, la session censée confirmer la défaite de Donald Trump à la présidentielle de novembre. Le chef d'Etat sortant choisit de défier le Congrès en réunissant des dizaines de milliers de ses supporters dans la capitale américaine. Certains d'entre eux, dont Brandon, parviennent à pénétrer dans le Capitole. Ils envahissent ensuite les couloirs et les bureaux pendant plusieurs heures. "C'était fou. J'étais sous le choc, émerveillé. Je me suis dit que c'était exactement ce que nos Pères fondateurs avaient fait", lance-t-il à France Télévisions. Cette intrusion était pour lui comme la Boston Tea Party de la révolution américaine, cette journée de 1773 où des Bostoniens se sont introduits à bord de navires britanniques pour jeter leur cargaison de thé. "Il n'était pas question de manquer ça", assume Brandon Fellows. Il voulait être là, pour "l'Histoire".
"Dire merci" à Donald Trump
Avec le recul, Brandon Fellows formule un regret, celui d'avoir fumé dans le bureau d'un sénateur. "Beaucoup de gens dans ma famille n'approuvent pas", concède le jeune homme, lâché par ses proches quelques jours plus tôt. Pour le reste, il se dit sans remords. Il assure ne pas avoir été violent et nie toute velléité d'"insurrection".
"Il n'y avait pas un seul objectif. Ce n'était pas : 'Hé, nous voulons blesser des gens.' Evidemment qu'il y a eu un mauvais côté. Mais nous n'allons pas ne plus rien faire et les laisser piétiner nos droits."
Brandon Fellowsà France Télévisions
Cet Américain est de ceux qui chérissent leurs libertés. Sur les réseaux sociaux comme en interview, il se plaît à répéter cette phrase de la déclaration d'indépendance des Etats-Unis : "La vie, la liberté et la poursuite du bonheur." Brandon Fellows aime sa liberté de posséder une arme à feu ou "de dire à peu près tout ce qu['il] veu[t]". Celui qui a voté avec une casquette "Make America Great Again" ("Rendre sa grandeur à l'Amérique"), le 3 novembre, aime aussi Donald Trump, et est convaincu que ses politiques économiques l'ont aidé à développer son entreprise de cheminées.
Alors, se rendre à Washington le 6 janvier, à 600 kilomètres de chez lui, était une évidence, une manière de "dire merci" à son président.
"Je me disais qu'on devrait y aller pour Trump. Quand il nous a dit de venir à Washington, je me suis dit : 'Oui, j'y vais'. Peu importe mon planning, peu importe le coût."
Brandon Fellowsà France Télévisions
Pendant qu'il rejoignait la capitale, Jake Hiles, lui, arrivait de Virginia Beach, ville côtière de l'Etat de Virginie, un peu plus au sud de Washington. "Je vais peut-être lancer une révolution", s'amusait ce père célibataire quelques heures avant l'intrusion au Congrès, en légende d'une photo publiée sur Facebook. Il portait alors un sweat-shirt "F*** Antifa", message hostile à l'égard des militants antifascistes.
Ce pêcheur de thons et de marlins, vêtu d'une chemise à carreaux masquant de nombreux tatouages, a hésité avant de nous recevoir. De nombreuses personnes présentes ce 6 janvier à Washington et contactées par nos soins n'ont pas répondu à nos sollicitations, ou, après avoir accepté le principe d'une interview, ont finalement refusé. Trop de méfiance à l'égard des médias. D'autres, soupçonnées d'avoir pris part aux émeutes, avaient déjà été arrêtées par le FBI. Alors pour témoigner sereinement, Jake Hiles nous propose de nous éloigner du quartier paisible de Virginia Beach, où il réside. Direction Blue Petes, un restaurant discrètement installé près des bois, où d'imposantes têtes de cerfs servent de décoration.
Jake Hiles se définit comme un "conservateur" qui "aime l'Amérique". "Je prête une grande attention à la politique", confie-t-il. Si le pêcheur assure ne pas apprécier certains tweets du président, il estime que "Donald Trump représente le peuple américain". Le quadragénaire fustige le carriérisme politique. "L'Américain de base", poursuit-il, une bière Budweiser à la main, "a une meilleure vie grâce à lui". Depuis quatre ans, Jake Hiles voit son activité, très liée au tourisme, mieux se porter. Moins de régulation, un diesel bon marché, et des clients au portefeuille plus fourni. Avec Joe Biden, "nous allons perdre notre deuxième amendement, puis notre premier amendement", craint le "patriote".
Portés par des rumeurs de fraude
Jake Hiles s'est rendu à Washington car "beaucoup de gens sur les réseaux sociaux parlaient de la manifestation" initiée par Donald Trump.
"Mes parents étaient inquiets à l'idée que j'y aille. Ils m'ont dit de penser à ma fille. C'est justement à elle que je pensais. Il y a eu des fraudes au cours de cette élection. Et si nous perdons la démocratie, nous allons devenir un régime autoritaire, voire fasciste."
Jake Hilesà franceinfo
Cet électeur ne comprend pas pourquoi son candidat était en tête le soir du 3 novembre et proche d'une défaite le matin du 4. Il assure avoir vu sur les réseaux sociaux "beaucoup de preuves" de fraudes lors du scrutin, "avec les machines de vote, avec les votes par correspondance". Jake Hiles rejette fermement des mouvements complotistes comme QAnon, mais il reste convaincu, "comme des millions de personnes, que quelque chose d'anormal s'est produit".
Etre à Washington le 6 janvier était donc l'occasion "de faire entendre notre message". Il s'y est rendu avec son cousin, un compagnon de pêche et un ami rencontré sur Facebook. En s'avançant vers le Capitole, le groupe entendait au loin "Donald Trump lister des exemples de fraude" pour galvaniser ses soutiens. C'est à son arrivée devant le Congrès que Jake Hiles, qui avait prévu des lunettes de protection, a commencé à voir des tirs de gaz lacrymogène.
A l'approche du Congrès, un temps perché sur un mur peu élevé, le manifestant s'est senti poussé par une foule voulant aller plus loin. "Des centaines de personnes entraient dans le bâtiment. Moi, je voulais rentrer chez moi", lâche-t-il d'une voix grave. Il s'est alors retrouvé dans l'imposante rotonde du bâtiment – un moment qu'il reconnaît comme "incroyable" – avant de traverser plusieurs pièces, où il assure n'avoir vu qu'un seul acte de vandalisme. Vers la sortie, Jake Hiles dit avoir aperçu par terre des traces de sang. Celui d'Ashli Babbitt, ancienne militaire proche de QAnon, abattue par la police alors qu'elle tentait de franchir une porte-fenêtre.
L'air grave, l'Américain dit recevoir menace de mort après menace de mort depuis le 6 janvier. Une douzaine en l'espace d'une semaine, clame-t-il. Jake Hiles assure ne pas être un émeutier, simplement un manifestant arrivé au mauvais endroit, au mauvais moment. "Il y avait de mauvaises personnes sur place", admet-il volontiers. Mais, contrairement aux preuves apportées par les médias, pour lui, "c'était un mélange d'extrême droite et d'extrême gauche". "Mon message a été détruit par cette violence et cette destruction", trop amplifiées à son goût par les journalistes, regrette Jake Hiles, l'air défait. "On m'a qualifié de terroriste. Ce n'est pas ce que je suis."
"Une administration Biden ? Ça n'arrivera pas"
Les violences avérées au Capitole, Chelsea Marie, qui était aussi à Washington ce 6 janvier, les rejette. Coiffée de la célèbre casquette "Make America Great Again", cette femme de 34 ans nous reçoit chez elle, dans le nord-ouest de la Floride. Dans son salon trône un imposant drapeau "Donald Trump 2020", ramené d'une "boutique patriote" des environs, où elle travaillé quelques mois. Pour ce soutien indéfectible du président républicain, les violences sont le fait d'antifascistes "déguisés en supporters de Trump". Des émeutiers arrêtés se revendiquent pourtant de la mouvance QAnon ou du groupuscule d'extrême droite Proud Boys. "Je n'ai pas entendu parler de ça", élude la trentenaire d'un revers de main. A son poignet sont accrochés des bracelets "Trump 2020" et "Storm is upon us", un slogan des QAnon.
Chelsea Marie reste également imperturbable sur les rumeurs de fraude. Le rejet de ces accusations par des dizaines de tribunaux comme par le ministre de la Justice ne change rien à son discours. "Ce sont des pantins, ils sont achetés. Il y a tellement de preuves !" clame celle qui a rejoint Washington en bus avec 56 "patriotes" pour faire entendre leur "vérité".
Serveuse depuis treize ans, la trentenaire a vu son activité diminuer avec l'arrivée du Covid-19. Elle se met alors à faire ses propres "recherches" sur internet. Les théories circulant en ligne sont devenues une partie intégrante de sa vie.
"J'ai eu des petits boulots, et puis j'ai commencé à assembler tous ces éléments qui font la vérité. Cela m'a ouvert les yeux comme jamais."
Chelsea Marieà franceinfo
Chelsea Marie s'en amuse, mais son dos a souffert de "trois semaines passées assise sur [son] lit", les yeux rivés sur son écran. Cela lui a coûté une relation amoureuse. Lui ne suivait que les médias américains, et elle n'en écoute aucun. La jeune femme, qui rejette l'étiquette de complotiste, s'informe uniquement grâce à Donald Trump et ses soutiens. La chaîne de télévision pro-Trump One America News ou le média conservateur Right Side Broadcasting. "Leur couverture est bonne, ce sont des patriotes", estime l'Américaine, convaincue que la CIA contrôle Hollywood et les médias.
Chelsea Marie suit aussi des figures comme les avocats Rudy Giuliani, Sidney Powell ou Lin Wood – tous à l'origine de théories du complot. Sur son iPad ? Twitter, ou des réseaux refuges pour les pro-Trump comme Parler ou Gab. Les comptes aux noms évoquant QAnon défilent. Le mouvement, juge-t-elle, "nous donne des informations que nous n'avions jamais vues auparavant". Comme "l'Etat profond", et la théorie d'une guerre entre Donald Trump et des élites contrôlant la société. Le coronavirus est pour cette habitante de Floride une arme biologique, et l'hydroxychloroquine, le remède que les médias ont voulu cacher.
A l'approche de l'investiture, la trumpiste est sincèrement convaincue que son président va rester au pouvoir. "Une administration Biden ? Ça n'arrivera pas. Ça ne m'étonnerait pas qu'ils organisent une fausse investiture, réplique-t-elle avec confiance. Notre futur est avec Trump, loin de Biden." Envisager l'inverse est impossible. "Avec Joe Biden comme président, nous aurions des émeutes de Black Lives Matter partout, nos villes brûleraient. Ce serait la fin de la classe moyenne, énumère Chelsea Marie. Et nous, soutiens de Trump, on viendrait nous chercher."
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