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Vidéo falsifiée, accréditation suspendue : on vous explique pourquoi l'accrochage entre un journaliste et Donald Trump fait polémique aux Etats-Unis

Jim Acosta a perdu son accréditation à la Maison Blanche, après une conférence de presse mouvementée du président américain. Ses confrères dénoncent une atteinte à la liberté de la presse.

Article rédigé par Camille Caldini
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Une stagiaire de la Maison Blanche tente de prendre le micro à Jim Acosta, journaliste de la chaîne CNN, lors d'une conférence de presse de Donald Trump, le 7 novembre 2018 à Washington. (JONATHAN ERNST / REUTERS)

Suspendu "jusqu'à nouvel ordre". Le journaliste de la chaîne CNN Jim Acosta s'est vu refuser l'accès à la Maison Blanche, après un accrochage, pendant une conférence de presse de Donald Trump, au lendemain des midterms, mercredi 7 novembre. Une sanction dénoncée par l'ensemble de la presse américaine. Franceinfo vous explique le conflit qui oppose Donald Trump à CNN.

Que s'est-il passé à la Maison Blanche ?

Mercredi, au lendemain des élections de mi-mandat, Donald Trump donne une conférence de presse à la Maison Blanche. A cette occasion, Jim Acosta, journaliste de CNN, revient sur un clip de campagne du camp Trump, comparant la "caravane" de migrants d'Amérique centrale en route vers les Etats-Unis à une "invasion". "Cette caravane [de migrants] n'était pas une invasion, c'est un groupe de migrants qui arrive d'Amérique centrale pour franchir la frontière américaine", déclare le journaliste. "Vous devriez me laisser diriger le pays, vous devriez vous occuper de CNN, si vous le faisiez vraiment vous auriez de meilleures audiences", lui rétorque Donald Trump.

Jim Acosta tente alors de poser d'autres questions, tandis que Donald Trump répète : "Ça suffit ! Ça suffit !". "Au sujet de l'enquête russe...", poursuit le journaliste de CNN, quand une jeune femme, présentée plus tard comme "une stagiaire" de la Maison Blanche, essaie de lui reprendre le micro. Jim Acosta résiste, repousse sa main. Donald Trump fulmine. "CNN devrait avoir honte de vous employer", lance le président. "Vous êtes une personne grossière et épouvantable, vous ne devriez pas travailler pour CNN." Un journaliste de la chaîne NBC, avant de poser la question suivante, commence par défendre son confrère, sans succès. "Je ne vous aime pas beaucoup non plus", lui répond Donald Trump.

Quelques heures plus tard, la Maison Blanche suspend "jusqu'à nouvel ordre" l'accréditation permettant à Jim Acosta d'entrer au 1600, Pennsylvania Avenue. "Je viens de me faire refuser l'accès à la Maison Blanche", confirme l'intéressé sur Twitter, mercredi soir.

Qui est Jim Acosta ?

C'est une star de CNN. Jim Acosta, 47 ans, cumule vingt-cinq ans d'expérience, a couvert quatre élections présidentielles ainsi que la guerre en Irak. Avant de rejoindre CNN en 2007, il a travaillé pour des médias locaux et la chaîne CBS. Depuis qu'il est correspondant à la Maison Blanche, il s'est fait plusieurs fois remarquer pour sa pugnacité, qui agace parfois ses confrères, mais surtout l'administration. Mais il ne faudrait pas croire qu'il ne malmène que Donald Trump.

En novembre 2015, lors d'un sommet du G20 en Turquie, il interroge Barack Obama sur la lutte contre l'Etat islamique. "Pourquoi on ne peut pas sortir ces bâtards ?", lance-t-il. Sans sourciller, Barack Obama répond : "Jim, j'ai passé les trois dernières questions à répondre à cette question. Donc je ne sais pas bien ce que vous voulez que j'ajoute, je crois que j'ai bien décrit notre stratégie." Pas d'accrochage, pas de scandale.

Il se fait à nouveau remarquer en mars 2016, à La Havane, lors d'une conférence de presse commune de Barack Obama et Raul Castro. "Pourquoi détenez-vous des prisonniers politiques cubains ? Pourquoi ne les libérez-vous pas ?" demande-t-il au président cubain. "Personne ne lui a pris le micro", rappelle le Washington Post. Il obtient même une réponse de Castro : "Donnez-moi une liste de prisonniers politiques et je les libérerai immédiatement."

Mais depuis la campagne de Donald Trump en 2016, Jim Acosta recueille des réactions franchement hostiles. En mai de cette année, Donald Trump lui lance ironiquement : "Je vous ai regardé à la télévision, vous êtes une vraie beauté." Depuis qu'il est entré à la Maison Blanche, Donald Trump a fait de CNN sa cible préférée. Jim Acosta ne manque pas d'en jouer. 

Lors de la première conférence de presse post-élection, le président élu critique un reportage de la chaîne. "Puisque vous nous attaquez, est-ce que vous pouvez répondre à une question ?", lance alors Jim Acosta, sans attendre qu'on lui donne la parole. "Pas à vous", répond Donald Trump. Le journaliste insiste, coupe la parole à une consœur. "Ne soyez pas impoli. Je ne vous répondrai pas !" rétorque le président élu, agacé. "Les 'fake news', c’est vous !" vocifère-t-il depuis le podium, en pointant Jim Acosta du doigt.

Pourquoi la Maison Blanche est-elle accusée de mentir ?

La Maison Blanche justifie la suspension de l'accréditation du journaliste, non par ses questions insistantes mais par ce qu'elle a présenté comme un comportement déplacé, envers la jeune femme chargée de récupérer le micro. Sarah Sanders, la porte-parole de la Maison Blanche, assure que le reporter a "placé ses mains" sur la jeune femme. Pour appuyer ses propos, la porte-parole publie une vidéo de la scène.

Mais cette vidéo est dépourvue de bande sonore, qui permet d'entendre le journaliste présenter des excuses à la jeune femme. En outre, des analystes et des journalistes estiment que cette vidéo a été manipulée en l'accélérant pour faire croire que le journaliste avait frappé la stagiaire avec sa main. "Je crois que nous avons franchi une nouvelle ligne, parce que la raison donnée pour suspendre l'accréditation d'Acosta est un mensonge", a affirmé Dan Kennedy, professeur de journalisme à la Northeastern University.

La vidéo tweetée par Sarah Sanders ne provient pas directement de la Maison Blanche. La première personne à l'avoir partagée est Paul Joseph Watson, connu, selon le Washington Post, pour ses vidéos conspirationnistes publiées sur le site d'extrême droite Infowars.

"L'ironie, c'est que si la vidéo a été falsifiée, ça prouve que l'administration Trump fait exactement ce dont elle accuse les médias : diffuser de fausses informations", analyse Aly Colon, professeur d'éthique journalistique, dans le Washington Post (en anglais).

Comment la presse américaine réagit-elle ?

La chaîne CNN a sans surprise apporté son soutien à son journaliste et s'est alarmée d'"une menace pour notre démocratie"La presse américaine dénonce quasi unanimement la révocation de l'accréditation de Jim Acosta. "Laissez Jim Acosta faire son travail"plaide la direction de la rédaction du New York Times (en anglais), régulièrement ciblée elle aussi par Donald Trump. L'association de la presse présidentielle appelle la Maison Blanche à annuler une sanction "disproportionnée" et "inacceptable". Le comité des reporters pour la liberté de la presse (RCFP), invoquant le premier amendement de la Constitution des Etats-Unis, qui protège la liberté d'expression et la liberté de la presse, voit dans la sanction "une insulte aux journalistes mais aussi au peuple".

Le plus alarmant est que cela illustre à quel point M. Trump ignore le rôle de la presse libre dans la tradition et la démocratie américaines, ainsi que son devoir de la défendre.

La direction de la rédaction du "New York Times"

Des journalistes montent aussi au créneau. Sur Twitter, Chuck Ross, journaliste pour le site Daily Caller, souvent très virulent avec CNN, estime qu'il y a "beaucoup à critiquer au sujet d'Acosta, mais il n'a pas 'placé ses mains' sur la jeune femme. C'est ridicule."

En revanche, les méthodes du journaliste sont loin de faire l'unanimité au sein de sa profession. "Quand un employé de la Maison Blanche se précipite sur le micro que vous avez en main, rendez-le et laissez l'insistance du président à couper les journalistes (…) parler pour elle-même", conseille l'éditorialiste du Washington Post Erik Wemple. "Je ne pense pas que [les actes de Jim Acosta] justifient la suspension de son accréditation", écrit Sara Gonzales, journaliste du site d'information conservateur The Blaze, "mais il est difficile d'avoir de la sympathie pour quelqu'un qui l'a un peu cherché".

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