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Présidentielle américaine : on est allés dans le comté du Texas qui rêverait de "faire 100% de voix pour Donald Trump"

Article rédigé par Raphaël Godet - Envoyé spécial à Miami (Texas)
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Le jardin de Leslie Ishmael aux couleurs de Donald Trump, le 20 octobre 2020, à Miami (Texas). (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

C'est dans ce comté, où "il y a plus de vaches que d'habitants", que le président sortant avait réalisé son meilleur score national en 2016. Un titre honorifique que les 652 électeurs espèrent bien conserver cette année.

Sur la commode, au milieu de ses quatre enfants et douze petits-enfants, on repère un visage connu. Donald Trump mesure vingt centimètres, porte un costume bleu, une cravate à rayures, a les deux pouces levés et un sourire façon publicité. "Je tenais absolument à le mettre là", s'épanche Leslie Ishmael, la maîtresse des lieux, en serrant le cadre-photo contre sa poitrine. Dans sa maison située Harvey Street, dans le petit comté de Roberts (Texas), "monsieur le président" est également scotché sur la porte d'entrée de la maison, planté dans l'herbe et accroché sur l'appentis. "Il faut bien ça", pense la dame de 58 ans, pour aider son chouchou à rester quatre ans de plus à la Maison Blanche, à l'issue de l'élection présidentielle américaine du 3 novembre.

Localement, tout le monde sait qu'il n'y a pourtant pas vraiment de suspense : c'est dans ce morceau de campagne, où "il y a plus de vaches que d'habitants", que le milliardaire a réalisé en 2016 son meilleur résultat national : 95,3% des voix, soit 524 des 550 bulletins exprimés... Alors, dans ses rêves les plus fous, Leslie Ishmael va jusqu'à imaginer le comté "faire 100% de voix pour Donald Trump" cette fois-ci. "100%... C'est déjà arrivé ailleurs ?", demande-t-elle en démêlant le drapeau "TRUMP" (enfin "PMURT" à cause du vent) qui s'est encore enroulé autour du poteau.

Leslie Ishmael a posé une photo de Donald Trump sur la commode de sa maison de Miami (Texas), le 20 octobre 2020. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

Dans les rues de Miami (un autre, pas celui avec les palmiers et la plage), l'unique village du comté, chacun s'amuse à jouer au sondeur ces derniers temps. "Sur les 652 inscrits sur la liste électorale, combien vont voter pour Donald Trump ?" Le maire Chad Breeding, également propriétaire d'un ranch, voit bien "quelque chose comme 97%". "Plutôt 96", penche le juge Rick Tennant. Et pour Biden ? Des miettes... "Il y avait eu une vingtaine d'électeurs démocrates en 2016, se rappelle-t-il, assis derrière son pupitre du tribunal. Mais il devrait y en avoir encore moins cette année car certains ont déménagé et d'autres sont morts."

"Il dirige le pays comme il faut"

C'est "comme ça" : dans ce coin reculé du Texas, où un ranch fait face à un autre ranch, on naît républicain et on le reste à vie. Bien qu'entourée de "copains démocrates" dans le lycée d'Oklahoma City où elle étudie, la fille aînée du maire, Blayke, 18 ans, réserve ainsi son tout premier bulletin de vote pour Donald Trump, "évidemment". Quant à Leslie Ishmael, elle plaisante à peine en disant qu'elle aurait "sûrement dégagé [s]on mari s'il votait autre chose".

Quatre ans après, le président n'a pas fait de déçus. Enfin si, on trouve qu'il pourrait "moins tweeter" et "parler un peu mieux parfois". Mais à part ça ? "Great job !". "Est-ce que je suis d'accord avec tout ce que Trump fait ? Sans doute", s'enthousiame ainsi Rick Tennant. Le millier d'âmes de ce comté rural aime ce président qui "dit ce qu'il pense", qui "n'a peur de rien", "ce businessman qui n'est pas un politicien", salue Chad Breeding, en ouvrant la barrière de l'enclos à taureaux.

Chad Breeding, le maire de Miami (Texas), dans ses champs, le 20 octobre 2020. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

La vie locale n'a pourtant pas fondamentalement changé depuis le 20 janvier 2017, jour où Donald Trump a posé ses valises à la Maison Blanche. Il y a toujours une dizaine de naissances par an, la densité de population est toujours d'un habitant par kilomètre carré, les joueurs des Miami High School Warriors (l'école de la ville) ne sont pas devenus meilleurs, et il faut toujours faire ses courses à la supérette du coin avant 19 heures sous peine de s'endormir le ventre vide.

"Du mérite d'être démocrate ici"

Un vieux monsieur, qui attend de pouvoir traverser au seul feu rouge de la seule grande rue du comté, nous prévient que "c'est plus facile de trouver de l'essence qu'un électeur démocrate par ici." Pour s'en convaincre, on a dérangé Kathy Thompson, la secrétaire de mairie, qui réglait des factures. On a embêté Diane Wheeler, la secrétaire de la paroisse locale, qui tondait la pelouse autour de l'église. On a interrompu Bob Maddox, attablé devant un morceau de viande au "diner" du coin. On a fait sortir le garagiste Ron Swart de la voiture qu'il réparait. On y a cru quelques secondes quand Danielle, l'employée de la banque locale, a semblé hésiter avant de répondre. C'était simplement qu'elle n'avait pas entendu notre question... Bilan des courses : que des "rouges", que des "republicans".

Rick Tennant, Ron Swart, Danielle et Bob Maddox, le 20 octobre 2020, à Miami (Texas). (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

Comme tout le monde connaît tout sur tout le monde dans le comté de Roberts, on finit par obtenir certains noms de ces mystérieux électeurs démocrates. Patatras : ils ont tous gentiment décliné nos demandes d'interview. Le maire Chad Breeding promet pourtant qu'il n'y a "strictement aucun problème avec eux, et heureusement." En dix ans de mandat, "pas le moindre incident à signaler".

Les électeurs démocrates ont évidemment le droit de vivre ici. Ils ne sont pas méprisés, ils ne sont pas montrés du doigt, ils ne sont pas traités différemment.

Chad Breeding, maire de Miami

à franceinfo

Au contraire, même : on leur trouve "presque du mérite d'être démocrate, ici, au milieu d'un océan de républicains." "Il faut qu'ils se serrent les coudes, rigole le mécano Ron Swart, en train de fixer un pare-choc. Peut-être qu'un jour, ce sera leur tour...". Ce n'est quand même pas pour demain : tous les quatre ans, quel que soit le candidat démocrate, c'est déculottée assurée pour celui qui se frotte aux urnes. John Kerry y a fait 9,07% en 2004, et Barack Obama 8% en 2008 et 5,7% en 2012. Inutile, donc, d'y organiser un déplacement : c'est peine perdue et du temps de gagné.

L'entrée du comté de Roberts (Texas), le 21 octobre 2020. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

"Le socialisme, on a vu ce que ça donnait au Venezuela"

Attention : il ne faudrait "surtout pas croire que l'on est des demeurés parce qu'on vote quasiment tous pour Donald Trump, tient à faire comprendre Diane Wheeler, la secrétaire de la paroisse locale. C'est juste que l'on se retrouve dans les valeurs qu'il défend. La famille, la religion..." A l'image de l'imposante croix blanche posée sur le bord droit de la route, le comté de Roberts est en effet situé en plein cœur de la "Bible belt" (littéralement "ceinture de la Bible"), terme qui désigne la quinzaine d'Etats du sud des Etats-Unis dont la population se réclame d'un fondamentalisme chrétien. "Vous allez me demander ce que je pense de l'avortement, reprend Diane Wheeler. Eh bien je suis contre. Et les démocrates, eux, ils sont pour. Dans la Bible, c'est pourtant écrit que c'est un grand pêché de tuer un bébé."

Et puis "le socialisme, on a vu ce que ça donnait au Venezuela", grince des dents Irène, assise pas très loin, au deuxième rang dans l'église. "Les démocrates vont nous taxer pour aider tout le monde. Moi, je ne suis pas d'accord, peste la petite dame blonde, 74 ans, croix autour du cou. Il y a beaucoup de gens qui ne veulent pas travailler, on va créer un pays de fainéants."

Le "Sage Matt cafe", à Miami, seul restaurant du comté de Roberts (Texas), le 21 octobre 2020. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

"Qu'il perde ? C'est inimaginable"

Ces derniers temps, on n'a pas non plus apprécié "les images d'émeutes, de pillages dans certaines grandes villes". "Quand je vois toutes ces violences à la télé, ces gens qui veulent tuer des policiers, non, non, non..., s'époumonne Leslie Ishmael, qui a enfin réussi à remettre à l'endroit son drapeau "TRUMP". Franchement, comment osent-ils ? Comment osent-ils s'attaquer à notre pays, à notre président ?" Dans le comté de Roberts, où le dernier dossier arrivé sur le bureau du juge Tennant est une conduite en état d'ivresse, l'insécurité n'est pourtant pas le sentiment le plus palpable. "Pour le moment, c'est vrai que ça va. Mais jusqu'à quand ? Avec Biden et les démocrates, ça va être piiiiire", anticipent Steve et Martha Porter, deux retraités, figures locales, qui sont allés jusqu'à apprendre à leur chien Buddy à aboyer dès qu'il entend le nom des candidats démocrates (vidéo ci-dessous).

Buddy, le chien qui aboie quand il entend "Joe Biden"
Buddy, le chien qui aboie quand il entend "Joe Biden" Buddy, le chien qui aboie quand il entend "Joe Biden"

Comme tout le monde, tous les deux préfèrent "ne pas croire" les sondages qui prévoient une défaite du candidat républicain. "Souvenez-vous, il était aussi mal parti il y a quatre ans", disent-ils, comme pour se rassurer. "Que ce soit à l'église ou chez moi, je prie régulièrement pour lui en ce moment", confie Diane Wheeler. "Qu'il perde ? C'est inimaginable. Il a encore tant de choses à nous apporter...", souffle Leslie Ishmael, déjà désespérée par avance. Elle promet en tout cas de ne pas toucher à la photo de Donald Trump sur la commode : "il restera en place, quoi qu'il arrive".

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