Résultats de la présidentielle américaine 2024 : comment expliquer la déroute électorale de Kamala Harris, largement battue par Donald Trump ?
Venus faire la fête sur le campus de l'université de Howard, dans le district de Washington, les partisans de Kamala Harris sont repartis la boule au ventre. Au fil de la nuit du mardi 5 au mercredi 6 novembre, le dépouillement n'a cessé de confirmer l'avance du candidat républicain à l'élection présidentielle américaine, Donald Trump, face à la vice-présidente de Joe Biden. Quatre des sept swing states ont placé l'ancien président en tête, faisant mentir des sondages qui prévoyaient une course plus serrée que jamais.
Donald Trump n'a d'ailleurs pas attendu d'atteindre les 270 grands électeurs nécessaires pour l'envoyer à la Maison Blanche pour revendiquer une "victoire politique jamais vue" dans l'histoire des Etats-Unis. A l'heure du bilan, les démocrates et les commentateurs politiques tentent d'expliquer la débâcle du camp Harris, incapable de mobiliser les électeurs séduits quatre ans plus tôt, face à un adversaire qui assume un discours toujours plus clivant.
Pour expliquer ce ratage, les premiers doigts accusateurs pointent vers Joe Biden. Alors que des observateurs notent dans le Washington Post que "Kamala a fait une bonne campagne", la candidate n'est pas parvenue à combler son déficit de notoriété face à Donald Trump.
Une campagne express
A l'issue d'un débat télévisé catastrophique pour Joe Biden face à Donald Trump, fin juin, le passage de témoin entre le chef de l'Etat et sa vice-présidente a été arraché de haute lutte au sein du camp démocrate, et au prix de plusieurs semaines de tergiversations. Intronisée candidate par son parti en août lors d'une convention euphorique, Kamala Harris n'a eu d'autre choix que de mener une campagne express – du jamais vue – sans programme longuement peaufiné ni stratégie claire. Etre propulsée candidate, Kamala Harris "ne s'y attendait pas", confiait même à franceinfo Nadia Brown, politologue à l'université de Georgetown.
Sur CNN, le journaliste Kevin Liptak, qui suit l'activité présidentielle à la Maison Blanche, prédit "beaucoup de remises en question concernant la décision initiale de Joe Biden de se représenter pour un second mandat, ce que beaucoup de démocrates considéraient comme une erreur en privé". L'échec de Kamala Harris illustre de fait l'incapacité du parti à préparer la "relève" ces dernières années, alors que Joe Biden s'était présenté en 2020 comme un président "de transition".
La candidate elle-même a semblé hésiter à prendre ses distances avec l'héritage politique du président sortant, assurant d'abord qu'il "n'y a pas une seule chose" qu'elle aurait faite différemment durant le mandat écoulé, avant de prendre le contrepied dix jours plus tard, jurant que sa présidence ne serait pas "une continuation" de celle de Joe Biden.
L'incapacité à se démarquer de Joe Biden
"Peut-être Harris aurait-elle pu davantage prendre ses distances avec Joe Biden si elle avait passé plus que 107 jours dans la course", poursuit Kevin Liptak. "Mais, contrainte de mener une campagne extraordinairement brève, il a toujours semblé compliqué qu'elle prenne ses distances vis-à-vis du président dont elle était encore la numéro 2."
D'autant que Joe Biden termine son mandat avec une cote de popularité au plus bas. "La préoccupation numéro un a toujours été l'économie, et en particulier l'inflation. Le bilan économique de Joe Biden tel qu'il est perçu par l'électorat n'était pas bon", analyse Ludivine Gilli, directrice de l'Observatoire de l'Amérique du Nord pour la Fondation Jean-Jaurès. "Kamala Harris a fait campagne sur ces questions, mais manifestement la campagne n'a pas réussi à changer l'avis de l'électorat", convaincu que la vice-présidente n'était "pas la plus à même de résoudre la situation par rapport à son opposant."
Comment se montrer loyale à Joe Biden, mais aussi en rupture avec certaines de ses prises de position ? Comment assumer le bilan décrié d'une administration au sein de laquelle elle a joué un rôle important ? Dépourvue d'un programme taillé sur-mesure faute de temps, Kamala Harris n'a pas su délivrer aux électeurs des messages clairs, que ce soit sur l'économie, le Proche-Orient, l'environnement ou l'immigration. Autant de thèmes synthétisés par le camp Trump en une poignée de slogans immanquables : "drill, baby, drill", sur la reprise des subventions aux forages d'énergies fossiles, des "expulsions de masse" en réponse à l'immigration illégale, la lutte contre des adversaires politiques désignés comme un "ennemi de l'intérieur"...
Des erreurs stratégiques
Sa volonté de séduire les électeurs républicains modérés ont conduit Kamala Harris à s'afficher avec des personnalités du camp opposé, comme la républicaine Liz Cheney, ou encore à renier des positions passées. Mais ces appels du pieds ont aussi entretenu le flou sur ses convictions. Connue pour s'être prononcée lors des primaires démocrates de 2019 pour l'interdiction de la technique de la fracturation hydraulique pour extraire le gaz de schiste, elle est ainsi revenue sur cet engagement. Mais même dans l'Etat industriel de Pennsylvanie, où nombre d'électeurs défendent l'industrie minière, ce revirement soudain n'a pas eu l'effet escompté.
Il n'y a guère que sur la question de la défense du droit à l'avortement, et plus largement de la santé des femmes, que Kamala Harris est parvenue à convaincre. Les électeurs américains n'ont toutefois pas fait de cette question une priorité. D'autant que dans certains Etats où le droit à l'IVG faisait l'objet de consultations locales, ils ont pu se prononcer à la fois pour Donald Trump, et pour garantir le droit des femmes à disposer de leur corps.
En comparant vendredi les spots publicitaires payés par les deux équipes dans la dernière ligne droite, le journaliste du New Yorker Vinson Cunninghal notait : "Le spot, comme la candidate, essaye d'en faire trop. De parler aux parents épuisés et aux seniors inquiets, et puis, surtout, aux femmes soucieuses de préserver leurs droits sur leur propre corps et leur propre vie", listait-il. "Il faut parler des trucs dingues, non ?", en référence aux déclarations outrancières de Donald Trump. "J'imagine que c'est trop dingue pour ne pas figurer dans la pub".
Elle n'a pas réussi à convaincre certains électorats
Entrée en campagne sur le thème de la joie et de l'optimisme, en réponse aux discours belliqueux de son adversaire, la candidate et ses soutiens ont rapidement retrouvé les réflexes hérités de la stratégie de Joe Biden, visant à présenter Donald Trump comme "un danger pour la démocratie". "Kamala Harris a perdu dès lors qu'elle s'est consacrée presque exclusivement à attaquer Donald Trump", analyse sur X le sondeur américain Frank Luntz.
Mercredi, après sa défaite, elle a tenté de faire preuve d'optimisme au moment de clore définitivement sa campagne. "Je sais que de nombreuses personnes ont l'impression de rentrer dans une période sombre de l'Histoire, j'espère que ça n'est pas le cas", mais "si c'est le cas, remplissons le ciel de la lumière de millions d'étoiles", a lancé la candidate devant ses partisans réunis à Washington.
Au final, la stratégie de la démocrate a été sanctionnée par les électeurs, y compris dans des groupes qui avaient fait confiance à Joe Biden en 2020. Selon un sondage de sortie des urnes publié par CNN, les électeurs afro-américains ont par exemple voté à 86% pour Kamala Harris, contre 92% pour son prédecesseur. Quant aux Latino-Américains, ils ne sont que 53% à avoir voté pour elle, contre 65% pour Joe Biden en 2020.
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