Récit "Il parle d'une façon apocalyptique" : la campagne pleine de fureur de Donald Trump pour l'élection présidentielle américaine

Article rédigé par Valentine Pasquesoone - Envoyée spéciale aux Etats-Unis
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Publié Mis à jour
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La campagne de Donald Trump a notamment été marquée par une tentative d'assassinat à Butler, en Pennsylvanie (Etats-Unis), le 13 juillet 2024. (HELOISE KROB / FRANCEINFO)
Le candidat républicain a multiplié les attaques personnelles contre sa rivale démocrate Kamala Harris et abreuvé ses partisans d'un flot de propos xénophobes, accentuant encore la rhétorique extrémiste qui l'a porté au pouvoir en 2016.

Donald Trump veut sa revanche. Quatre ans après une défaite contre Joe Biden qu'il n'a jamais voulu reconnaître, le milliardaire républicain vise la réélection à la présidentielle américaine face à la vice-présidente sortante, la démocrate Kamala Harris. Cette victoire, il entend l'arracher au terme d'une campagne marquée par la violence, nourrie par la peur de l'autre. Alors que s'ouvre cet "Election Day" crucial pour les Etats-Unis, mardi 5 novembre, franceinfo retrace la route chaotique qu'a choisi Donald Trump pour tenter de retrouver la Maison Blanche.

Visé par des tirs lors d'un meeting

Ce samedi 13 juillet, Donald Trump monte au son de God Bless the U.S.A. sur une estrade rouge assortie à sa célèbre casquette "Make America Great Again" à Butler, en Pennsylvanie. "Quelle grande et belle foule !" lance-t-il sous un soleil éclatant, avant de reprendre ses diatribes contre Joe Biden et l'immigration. Dans les sondages, le candidat est en position de force face au président sortant, âgé de 81 ans, après un débat télévisé calamiteux contre celui qui représente encore le Parti démocrate.

Dans la foule, une poignée d'Américains aperçoivent un homme armé sur un toit, à une centaine de mètres. "Regardez, quelqu'un est sur le toit !" lance un homme aux forces de l'ordre, selon NPR. En vain. A 18h11, Donald Trump se tait, touche son oreille droite, se recroqueville derrière son pupitre. Trois tirs résonnent, suivis d'un cri : "A terre !" Des agents du Secret service se ruent sur scène. D'autres tirs suivent, avant qu'une dernière balle atteigne l'assaillant.

"J'ai immédiatement su que quelque chose n'allait pas. J'ai entendu un sifflement, des coups de feu, et j'ai immédiatement senti la balle traverser la peau."

Donald Trump

sur le réseau Truth Social

Ces 42 secondes sont diffusées en direct. Donald Trump vient d'être la cible d'une tentative d'assassinat. Quand il se relève, deux filets de sang coulent sur sa joue. Il lève un poing rageur et harangue la foule : "Combattez !" Une seconde de pur instinct politique. "C'est une image, un moment très émouvant de la politique américaine", constate Jacob Neiheisel, professeur de sciences politiques à l'université de Buffalo. "Dans 25 ou 30 ans, on regardera encore cette image et on se dira qu'elle est vraiment puissante."

Un tournant pour la campagne

Ce moment d'histoire se produit à deux jours d'un événement politique des plus attendus : la convention républicaine qui doit l'introniser comme le candidat du Grand Old Party. Donald Trump y apparaît dès le lundi, pansement à l'oreille et de nouveau le poing levé. "Combattez ! Combattez ! Combattez !" scande une foule qui ovationne longuement son champion. Son discours d'investiture, le 18 juillet, est teinté d'un rare appel à l'unité : le milliardaire se voit devenir "le président de toute l'Amérique, pas de la moitié de l'Amérique".

Donald Trump vilipende pourtant le bilan de Joe Biden et martèle ce qu'il voit comme "la plus grande invasion de l'histoire", menée par des exilés qui "viennent de partout". Joe Biden est "stupide", vocifère-t-il deux jours plus tard à Grand Rapids, dans le Michigan. Les jours suivants, le candidat républicain creuse un peu plus l'écart avec Joe Biden, relève le site FiveThirtyEight.

Mais le 21 juillet, Joe Biden renonce à un nouveau mandat. Poussé vers la sortie par son propre camp, le président sortant adoube Kamala Harris, plébiscitée par les démocrates. Donald Trump doit revoir sa stratégie. Le milliardaire est "désorienté" par cette nouvelle rivale, décrit le New York Times. L'annonce plonge la campagne de Donald Trump dans sa période la plus mouvementée.

Attaques sexistes et misogynes

Ses conseillers l'appellent alors à jouer sur les contradictions de Kamala Harris, à mener la bataille des idées. Donald Trump suit ces conseils par intermittence. En public, il ne dépeint pas seulement la vice-présidente comme une "radicale", mais parle d'une femme "méchante", "corrompue", "démente". En privé, des soutiens entendent "connasse". Les invectives aux accents racistes et sexistes ne tardent pas. "Elle était indienne à fond et, tout d'un coup, elle a changé et elle est devenue une personne noire", lâche-t-il fin juillet.

Sur son réseau social, Truth Social, le candidat partage aussi le message misogyne d'un autre utilisateur, accompagné d'une image de Kamala Harris et Hillary Clinton. Avec cette légende : "Il est marrant de voir comment les fellations ont eu un impact différent sur leurs carrières..." Sa rivale est "bête comme ses pieds", "une vraie ordure", répète-t-il à l'envi – jusqu'à oser "vice-présidente de merde". "L'emploi de gros mots par Donald Trump a augmenté depuis 2021", observe le politologue Daniel Treisman, de l'université de Californie à Los Angeles (UCLA). Il étudie ses discours depuis 2015.

"Donald Trump dit plus de gros mots que n’importe quel autre candidat depuis 1952."

Daniel Treisman, politologue

à franceinfo

La semaine de la convention démocrate, en août, Donald Trump se recentre furtivement sur l'économie. Il défend des baisses d'impôts, parle de déréglementation ou de production nationale de carburant, souligne le New York Times. Les saillies verbales ne sont jamais bien loin. "Est-ce que je dois lancer des attaques personnelles ? Ou les éviter ?" demande-t-il lors d'un meeting en Caroline du Nord. La foule plaide en chœur pour le premier choix. Donald Trump "a toujours eu ce style très improvisé", observe Jacob Neiheisel. "Il se met dans le pétrin, mais cela semble extraordinairement naturel."

Obsédé par l'immigration

Le 10 septembre, à 21 heures, Donald Trump rencontre pour la première fois sa concurrente, lors du premier – et seul – débat télévisé les opposant. Kamala Harris serre la main du républicain, avant d'être rapidement interrogée sur l'économie. L'inflation est au cœur des préoccupations et son rival a l'avantage d'être mieux perçu pour répondre à la hausse des prix. Plutôt que d'insister sur ce point, le milliardaire républicain dévie et dénonce les "millions de personnes qui envahissent notre pays".

Une nouvelle fois, son obsession pour l'immigration domine. Un peu plus tard, Donald Trump va jusqu'à relayer une fausse affirmation raciste à l'encontre d'immigrés haïtiens. "A Springfield, ils mangent des chiens. Ils mangent des chats. Ils mangent les animaux des habitants !" Le journaliste David Muir le reprend et dément la rumeur. L'ancien président, habitué des "fake news", ne veut rien entendre : "Des gens disent à la télévision que leur chien a été mangé." 

Les jours suivants, Donald Trump martèle sans vergogne ce même mensonge, de l'Arizona à son terrain de golf dans le sud de la Californie, pointe NPR. "Nous allons procéder à la plus grande expulsion de toute l'histoire de notre pays. Et nous commencerons par Springfield et Aurora", appuie-t-il, tandis que les alertes à la bombe se multiplient dans la première ville ciblée par ses attaques.

Ces paroles xénophobes et racistes "sont communes" dans sa campagne, analyse l'anthropologue Norma Mendoza-Denton, auteure du livre Le langage à l'ère Trump. Ces derniers mois, "son racisme a été beaucoup plus direct, beaucoup plus franc, remarque la professeure de l'université de Californie. Et c'est un racisme lié au sujet de la masculinité. Il parle d'hommes migrants, qui nous 'envahissent' et qui 'vont attaquer les femmes'. D'hommes 'au comportement animal'." 

Un style décousu qui déroute

Au tournant de l'automne, la campagne de Donald Trump s'accélère. Il faut labourer le terrain, semaine après semaine. Encore plus dans les sept Etats indécis qui feront l'élection. Sa sécurité est à nouveau menacée : mi-septembre, un homme est repéré puis arrêté près du parcours de golf où il jouait en Floride, embusqué avec un fusil semi-automatique dans un buisson. Un autre est interpellé, un mois plus tard, près d'un meeting en Californie.

Donald Trump déroute, jusque dans son propre camp. Le 14 octobre, Donald Trump préfère danser plus de trente minutes aux sons de Luciano Pavarotti et d'Elvis Presley, plutôt que de répondre aux questions des habitants d'Oaks, en Pennsylvanie. Trois jours plus tard en Floride, il voit l'assaut du Capitole comme "un jour d'amour". Donald Trump se perd parfois dans "des discours plus longs et plus vagues", note Norma Mendoza-Denton.

"Il est pointé du doigt pour son incohérence et en fait une stratégie. Il dit qu'il pratique ce 'zigzag' en toute connaissance de cause."

Norma Mendoza-Denton, anthropologue

à franceinfo

Le milliardaire enfile même le tablier dans un McDonald's de Pennsylvanie. L'air enjoué, l'amateur de frites apprend à les cuire et sert plusieurs clients. Une opération de communication savamment orchestrée à l'encontre de Kamala Harris, qui a mis en avant son ancien job d'été au sein du fast-food.

De plus en plus menaçant

A l'approche du 5 novembre, le discours trumpien se fait plus sombre. "C'est très choquant ces jours-ci", commente Daniel Treisman une semaine avant l'élection. "Il parle de la société américaine d'une façon apocalyptique très inhabituelle. C'est devenu un aspect très important de ses discours. (...) Le recours à un vocabulaire violent a clairement augmenté", développe le chercheur. "Il attaque davantage. (...) Son niveau de violence [verbale] se situe entre les discours du Nouvel An de Kim Jong-un et ceux de Fidel Castro pour le 1er-Mai." 

Pour preuve, il évoque ses opposants politiques comme un "ennemi de l'intérieur" contre lequel la Garde nationale pourrait agir s'ils venaient à perturber le scrutin. Donald Trump promet aussi de "virer en deux secondes" et d'expulser Jack Smith, procureur spécial enquêtant sur ses efforts pour renverser les résultats de l'élection en 2020. Même John Kelly, son ancien chef de cabinet à la Maison Blanche, confirme les dérives dictatoriales du candidat. 

"L’ancien président est dans la sphère de l’extrême droite. Il est autoritaire, il admire des dictateurs, il a dit tout cela. Il répond à la définition d’un fasciste, c’est certain."

John Kelly, ancien chef de cabinet de Donald Trump

au "New York Times"

Le 27 octobre, dans le célèbre Madison Square Garden de New York, Donald Trump et ses alliés livrent un condensé de ces paroles sombres. Un comédien dépeint d'abord Porto Rico comme "une île flottante d'ordures", forçant le milliardaire à prendre ses distances avec ces propos. Son conseiller Stephen Miller promet de son côté une "Amérique pour les Américains, pour les Américains seulement", après une élection qui sera "un jour de libération" d'occupants fictifs : les personnes migrantes.

Alors que le vote approche, Donald Trump reprend sa rhétorique de l'"élection volée", qui a fini par convaincre ses partisans. Il dénonce ainsi une "tricherie" à "une échelle jamais vue auparavant" en Pennsylvanie, l'un des sept "swing states". Comme quatre ans plus tôt, la rumeur de "fraude" est amplifiée sur les réseaux sociaux, à grand renfort de vidéos trompeuses, invérifiées ou mensongères. Donald Trump laisse penser qu'il pourrait une fois encore refuser de reconnaître sa défaite s'il était battu. Ce même discours qui avait poussé ses supporters exaltés à prendre d'assaut le Capitole, le 6 janvier 2021, pour tenter d'empêcher la certification de l'élection.

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