Reportage Présidentielle américaine : dans l'Arizona, où des tirs ont visé un local de campagne, les démocrates constatent que "le niveau de violence a augmenté"

Article rédigé par Valentine Pasquesoone - envoyée spéciale en Arizona
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
La vitre d'un local de campagne démocrate à Tempe (Arizona), le 16 octobre 2024. (VALENTINE PASQUESOONE / FRANCEINFO)
A Tempe, près de Phoenix, les vitres d'un QG démocrate portent les stigmates des coups de feu qui l'ont visé. Ces tirs réveillent la crainte de violences politiques à l'approche de l'élection entre Kamala Harris et Donald Trump.

A première vue, l'endroit semble sans histoire. Le local anonyme donne sur l'extérieur d'un centre commercial en banlieue de Phoenix, la capitale de l'Arizona (Etats-Unis). Mais en s'approchant, six impacts de balles se dessinent sur les vitres. A l'intérieur, on aperçoit des pancartes "Arizona pour Harris" et "Kamala" encore accrochées aux murs. A Tempe, le bureau de la campagne démocrate pour l'élection présidentielle a été la cible de tirs à trois reprises ces dernières semaines. Il a fermé ses portes par crainte d'autres attaques, comme l'a rapporté The Arizona Republic vendredi 11 octobre. Tables, chaises... Tout est resté en l'état.

Les coups de feu n'ont causé que des dégâts matériels, mais ils réveillent la crainte de violences politiques. Donald Trump a lui-même été la cible de tentatives d'assassinat ces derniers mois. La course à la Maison-Blanche est marquée depuis des mois par l'extrême polarisation et l'outrance des discours. L'issue du scrutin, qui oppose l'ancien président républicain à la vice-présidente démocrate Kamala Harris, est incertaine. Encore plus dans l'Arizona, l'un des sept "swing states", ces Etats indécis qui pourraient basculer l'élection dans un camp comme dans l'autre. Une incertitude qui tend encore plus le climat politique. 

L'intérieur du local démocrate ciblé par des tirs à Tempe (Arizona), le 16 octobre 2024. (VALENTINE PASQUESOONE / FRANCEINFO)

Le local démocrate de Tempe a d'abord été la cible de balles de pistolet à plomb ou à bille, le 16 septembre, puis de tirs à balles réelles, une semaine plus tard, rapporte ABC News. Les derniers tirs ont eu lieu peu après minuit, le 6 octobre, d'après la police. Pour Janice, qui travaille tout près, les faits s'expliquent par "la colère au sujet de l'élection". "Je ne pensais pas que ce genre de choses pourrait se produire ici", glisse sa collègue. "C'est effrayant. Il y a une garderie à côté", renchérit Hillary, propriétaire de l'école de coiffure voisine. "C'est démoralisant s'il s'agit de raisons politiques", abonde Charlie, un salarié, qui préfère croire à un règlement de comptes, tant la présence de l'équipe démocrate dans le centre commercial est récente et discrète.

"Ils disent que je suis une socialiste radicale"

Depuis ces tirs, les équipes de la campagne démocrate se sont dispersées dans Tempe et travaillent désormais dans des lieux tenus secrets, précise la candidate démocrate Lauren Kuby, en campagne dans cette circonscription pour un siège au Sénat de l'Arizona. L'Américaine de 67 ans ne cache pas son inquiétude : "J'ai eu très peur pour l'équipe, pour les jeunes. Pour certains, il s'agit de leur première campagne." La candidate en est persuadée, cette campagne "est plus violente", la faute à un discours politique qui a "divisé". "Je n'arrive pas à croire que notre pays en soit arrivé là" , déplore-t-elle. 

"Si cela se produit ici, alors cela peut arriver n’importe où."

Lauren Kurby, candidate démocrate à Tempe

à franceinfo

Lauren Kuby, elle-même, a été menacée à plusieurs reprises. "J'ai partagé votre adresse et votre téléphone avec un groupe d'étrangers illégaux, je paye leur nourriture et billets de bus pour qu'ils viennent vous cambrioler", lit-on dans l'un des trois messages qu'elle a reçus. Un autre, d'une violence extrême, évoque un viol collectif. 

Pour la candidate, un texte de blog l'accusant d'être "pour des frontières ouvertes" et "pour le vote des sans-papiers" est à l'origine de cette salve de menaces et d'insultes. "Ils disent que je suis une socialiste radicale", pointe-t-elle. Sur les réseaux sociaux, la républicaine Roxana Holzapfel, sa concurrente pour ce scrutin local, estime que Lauren Kuby est "trop extrême"  et prétend qu'elle défend "l'avortement jusqu'à la naissance". "Elle déclenche ces menaces avec les propos qu'elle a tenus", accuse sa rivale démocrate. Contactée, Roxana Holzapfel n'a pas répondu à nos sollicitations.

"Leurs mensonges radicalisent les gens" 

Jon Ryder, le directeur exécutif du Parti démocrate dans le comté de Maricopa, souligne le caractère tristement "commun" des menaces reçues par e-mail ou téléphone, "encore plus au cours d'une élection". S'il préfère éviter d'entrer dans les détails, les menaces reçues par Lauren Kuby semblent loin d'être une exception.

Des responsables républicains de la région ont eux-mêmes été ciblés ces dernières années, après avoir rejeté les accusations sans fondement de fraudes entourant l'élection présidentielle de 2020. L'un a notamment reçu plusieurs menaces de mort, relève CNN. Un autre, pourtant un fervent soutien de Donald Trump il y a quatre ans, a également été intimidé, rapporte CBS News.

Cette année 2020 reste tristement gravée dans les mémoires de l'équipe locale. Au cours de l'été, le bureau du Parti démocrate a été incendié et entièrement détruit à Phoenix, relate Jon Ryder. "C'était écœurant. Nous n'avions jamais imaginé cela." "J'étais choqué et consterné", appuie son adjoint Eric Limbs.

Le local de campagne démocrate visé par des tirs à Tempe (Arizona), le 16 octobre 2024. (VALENTINE PASQUESOONE / FRANCEINFO)

Pour les deux responsables démocrates, "il y a toujours eu quelques menaces" , mais les tensions ont pris une autre ampleur dans le courant des années 2010. Jon Ryder met en cause la rhétorique du mouvement conservateur Tea Party, lors de la présidence de Barack Obama, puis celle de Donald Trump et de ses soutiens les plus radicaux. "Le niveau de violence a augmenté en grande partie à cause du mouvement Maga [l'acronyme du slogan "Make America Great Again" de Donald Trump]" , fustige-t-il, dénonçant "des mensonges qui radicalisent les gens". Contactés, plusieurs candidats républicains dans la région de Phoenix et Tempe n'ont pas répondu à nos questions.

"Donald Trump parle des démocrates comme des ennemis de l’intérieur. Cette rhétorique peut amener des gens moins attachés à la réalité à faire des choses très graves."

Jon Ryder, responsable du Parti démocrate à Phoenix

à franceinfo

A Phoenix, le nouveau QG des démocrates est désormais un bureau parmi d'autres, dont l'adresse doit rester secrète. "Il y avait des moments par le passé où des gens pouvaient juste venir et proposaient d'être bénévoles. Nous ne pouvons plus faire cela", déplore Jon Ryder. Des mesures sont aussi prises pour protéger les candidats et les citoyens engagés à leurs côtés. "Nous leur parlons sans cesse de sécurité", détaille Gregory Whitten, candidat démocrate pour un siège à la Chambre des représentants. "Nous leur disons que si quelque chose ne semble pas sûr, il ne faut pas le faire. Et les porte-à-porte ont toujours lieu en binôme." Le candidat a bien conscience des risques, pour ses équipes comme pour lui-même. "J'ai un système de sécurité chez moi, je suis toujours en déplacement avec quelqu'un. Je n'aurai jamais pensé avoir des inquiétudes à ce sujet, mais elles sont bien là."

A Tempe, l'enquête se poursuit autour des tirs qui ont ciblé le bureau démocrate. Un homme a été arrêté en lien avec ces faits, a annoncé la police locale le 22 octobre, rapporte AZ Family. Il avait disposé des sacs de poudre blanche autour de pancartes politiques, sur lesquelles on pouvait notamment lire : "Les démocrates mentent", "les démocrates tuent des juifs" et "Jamais Harris"Le lendemain de son arrestation, 120 armes à feu ont été saisies à son domicile, parmi lesquelles des mitrailleuses, ainsi que 250 000 munitions, précise Arizona Republic. L'adresse du local démocrate figurait dans son historique de recherches sur Google, et sa page Facebook comptait de nombreux messages opposés aux démocrates. Pour la procureure Neha Bhatia, les autorités pensent que "cette personne préparait un acte qui [aurait fait] de nombreuses victimes".

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