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Guerre civile, putsch militaire ou négociations : vers quoi s'oriente la crise au Venezuela ?

Article rédigé par franceinfo - Propos recueillis par Louise Hemmerlé
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Une manifestation des partisans de l'opposition, à Caracas, au Venezuela, le 2 février 2019.  (FEDERICO PARRA / AFP)

Pour Temir Porras, ancien directeur de cabinet de Nicolas Maduro, les pays qui ont reconnu Juan Guaido jettent de l'huile sur le feu. Interrogé par franceinfo, il appelle à un dialogue pacifique entre les différents acteurs.

Près de trois semaines après l'auto-proclamation de Juan Guaido à la présidence par intérim du Venezuela, c'est toujours Nicolas Maduro, soutenu par l'armée, qui occupe le palais présidentiel à Caracas. Une manifestation est organisée mardi 12 février par le camp Guaido, afin de maintenir la pression sur les militaires pour qu'ils désobéissent à Nicolas Maduro et laissent entrer l'aide humanitaire dans le pays.

La tension s'est exportée sur la scène internationale : de nombreux États prennent parti, les uns reconnaissant Juan Guaido comme président légitime, les autres restant fidèles à Nicolas Maduro.

Quel rôle jouent ces puissances étrangères dans ce face-à-face entre Maduro et son opposition au Venezuela ? Et quelles sont les clés d'une sortie de crise ? Franceinfo a interrogé Temir Porras, fin connaisseur de la politique vénézuélienne. Cet enseignant à Sciences-Po a été le conseiller en politique étrangère du président Hugo Chavez et directeur de cabinet de Nicolas Maduro.

Franceinfo : Pouvez-vous nous expliquer d'où vient la crise politique actuelle au Venezuela ?

Temir Porras : La polarisation au Venezuela n’a pas commencé la semaine dernière. La contestation de la légitimité de Maduro a démarré le jour où il a été élu, en 2013. Et ce jour là, il n’avait pas encore démontré toute l’étendue de son incompétence et de son autoritarisme. La dégradation des conditions économiques et sociales dans le pays lui a ensuite coûté sa défaite aux législatives de 2015.

Une coalition d’opposition, composée notamment de fractions insurrectionnelles, a alors obtenu une majorité de deux tiers à l’Assemblée nationale. Cela a provoqué une crise de régime, car ces deux tiers donnaient des pouvoirs très larges à l’opposition conservatrice : elle pouvait changer la composition du tribunal suprême, destituer des ministres et même le vice-président de la République. Le tribunal suprême, qui est contrôlé par des alliés de Maduro, a dessaisi l’Assemblée nationale de ces pouvoirs. C’est ça le point de départ de la crise institutionnelle. Et en 2018, l'opposition a refusé de participer à l'élection présidentielle. Résultat : le vainqueur Nicolas Maduro a une légitimité légale, mais pas politique.

Que vient faire Juan Guaido, le président de l'Assemblée nationale, dans cette crise ? Comment s'est-il retrouvé le principal opposant à Nicolas Maduro ?

Juan Guaido est un député conservateur de Voluntad Popular, un parti minoritaire au sein de la coalition qui contrôle l’Assemblée nationale. Cette coalition a mis en place une présidence tournante : 2019 était l'année de Voluntad Popular. Comme les leaders du parti sont soit en prison, soit en exil, c'est Juan Guaido, élu d’un petit État à seulement 35 ans, qui s’est retrouvé à occuper la fonction de président de l’Assemblée en janvier.

L'auto-proclamation de Juan Guaido s'inscrit dans la droite lignée de la tradition insurrectionnelle de Voluntad Popular. Mais dire que cette ligne de confrontation est le fruit d’un consensus de toutes les forces d’opposition au Venezuela est une absurdité. Ainsi, Henrique Capriles [considéré jusqu'à maintenant comme leader de l'opposition à Maduro] a dit qu'il n'était pas au courant que Juan Guaido allait s'auto-proclamer président par intérim. Mais comme il y a un énorme élan derrière lui, beaucoup de leaders de l’opposition vénézuélienne se taisent et attendent de voir comment la situation va évoluer.

Pourquoi certains États ont-ils si rapidement reconnu Guaido comme "président par intérim" ?

C'est le résultat d'une concertation entre la partie la plus à droite de l'opposition vénézuélienne et certains pays : les États-Unis et ceux appartenant au groupe de Lima, un groupe informel de gouvernements conservateurs d'Amérique latine auquel s'est aussi joint le Canada. En fait, tout part de l'élection contestée de Maduro en 2018 par une partie de l'opposition et par ces pays. N'ayant pas reconnu le résultat, ils ont décidé qu'à partir du 10 janvier 2019, date de l'investiture de Maduro, il y avait une usurpation de la présidence. C'est ce qui leur a permis de justifier toutes les actions suivantes, dont l'auto-proclamation de Juan Guaido.

Quel regard portez-vous sur la reconnaissance accordée à Guaido par la France et d'autres pays européens ?

La position des pays européens de donner un ultimatum de huit jours à Maduro pour organiser des élections présidentielles avant de reconnaître Juan Guaido est une position schizophrène et incompréhensible. J'ai essayé de comprendre pourquoi huit jours... Finalement, j'interprète cet ultimatum comme une simple posture pour se démarquer de l'administration Trump et apparaître plus "dialoguants".

Mais l'Union européenne se retrouve désormais dans une configuration un peu "baroque". Comme il n'y avait pas de consensus, la chef de la diplomatie européenne a proposé de mettre sur pied un groupe de contact composé de huit pays européens [qui ont défendu l'ultimatum] et de pays latino-américains. La première réunion va avoir lieu le 7 février, à Montevideo. Le groupe de contact s'est donné 90 jours pour trouver une solution, ce qui me semble bien plus raisonnable que huit jours.

Quel est le poids de la reconnaissance internationale dans le rapport de force entre Maduro et Guaido au Venezuela ?

Celle des pays européens a un poids symbolique car même s'ils représentent une partie minoritaire du monde, ils ont tendance à se croire dotés d'une sorte d'autorité morale supérieure.

En même temps, plus un pays européen mettra de la pression sur Nicolas Maduro, plus il sera perçu comme un néocolonialiste qui veut imposer sa loi. Même des progressistes, qui critiquent Maduro, vont percevoir la position des Européens comme une ingérence.

Temir Porras

à franceinfo

Mais l'impact le plus important est financier. La reconnaissance de l'administration américaine a entraîné de nouvelles sanctions imposées au gouvernement de Maduro. Washington a ainsi annoncé le gel de sept milliards de dollars d'actifs pétroliers dans le but de les transférer à l'administration de Guaido.

Les deux camps sont-ils susceptibles de résoudre ce conflit à la table des négociations ?

Le gouvernement de Maduro a toujours dit être partisan du dialogue politique. Ça, on ne peut pas le nier. Néanmoins, pour l'opposition, ce vœu est une tactique pour gagner du temps à chaque fois qu'il est confronté à une crise. En face, le parti de Juan Guaido n'a jamais été partisan du dialogue. Il pense qu’il a affaire à un gouvernement qui représente le Mal, une vision teintée d’un anticommunisme suranné. De la même manière, vous avez dans des secteurs durs du chavisme des gens qui disent à propos de Guaido : "Nous avons affaire à une bande de fascistes qui veulent imposer une dictature de droite dans notre pays, donc tous les moyens sont bons pour résister à cette évolution".

Si aucune concertation n'a lieu, la perspective d'une guerre civile est-elle à craindre ?

Oui, il y a un risque que cela dégénère. Si le but n'est pas la négociation mais l'escalade des tensions jusqu'à ce qu'on atteigne un point de rupture, notamment au sein de l'armée, alors on a tous les ingrédients pour une guerre civile.

C'est pour ça que je trouve lamentable que des acteurs internationaux jouent avec le feu. Je trouve la position française irresponsable. Le choix qui a été de prendre parti pour la branche la plus extrême de l'opposition vénézuélienne pousse le pays à l'escalade. 

Temir Porras

à franceinfo

La seule chance pour éviter une guerre civile, c'est que les membres de la communauté internationale jouent un rôle constructif, plutôt que d'alimenter les polarisations et les tensions internes.

Pourquoi les regards se tournent-ils vers l'armée ? Et soutient-elle toujours Nicolas Maduro ?

Partout dans le monde, la soumission de l’armée au pouvoir civil est un ressort de pouvoir. C'est un postulat de la légitimité des institutions civiles dans n’importe quel pays, et Maduro peut aujourd'hui s'en targuer. A contrario, si vous avez une armée contre vous, il est extrêmement difficile de gouverner.

Pour l'instant, l'auto-proclamation de Guaido et les réactions internationales n'ont pas entraîné de rupture au sein de l'institution militaire. C'est par définition une institution verticale, où l'autorité et la discipline priment. Au Venezuela, s'ajoute une particularité : l'armée est politisée, avec un biais chaviste qui s'explique par l'histoire du pays. Certes, il y a un mécontentement beaucoup plus élevé aujourd'hui à l'encontre de Nicolas Maduro, y compris au sein de l'armée. Mais penser que l'armée, qui a rendu au Venezuela son indépendance, va suivre les instructions du vice-président des États-Unis parce qu'il a mis une vidéo sur Twitter où il parle quelques mots d'espagnol, c'est de l'angélisme !

Quelles sont, selon vous, les clés d'une sortie de cette crise ?

Il y a certaines personnes qui disent "il suffirait que les militaires se soulèvent". Mais qu'est-ce que ça veut dire pour la suite du fonctionnement démocratique au Venezuela ? Qu'est-ce qui garantit que les généraux ne vont pas vouloir rester au pouvoir à la place de Guaido ? Souhaiter que tout cela se règle par l'intervention des forces armées est très dangereux.

Je ne vois pas d'autre issue vertueuse que celle de la négociation. Non pas seulement pour garantir le changement, mais aussi pour qu'il soit viable. En sortie de crise, il faut que la démocratie vénézuélienne refonctionne à peu près normalement, et que le gouvernement comme l'opposition puissent trouver leur place au sein des institutions. Pour cela, il faut que tous les acteurs prennent part aux négociations.

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