Présidentielle au Venezuela : l'article à lire pour comprendre la crise politique qui déchire le pays

Le président Nicolas Maduro, dont la récente réélection est contestée, a exigé que les services de l'Etat réagissent avec une "main de fer" aux troubles post-électoraux qui ont fait au moins 25 morts.
Article rédigé par Louis Dubar - avec AFP
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Les dirigeants de l'opposition au cours d'une manifestation à Caracas, au Venezuela, le 30 juillet 2024, deux jours après l'élection présidentielle. (MATIAS DELACROIX / AP / SIPA)

Le Venezuela s'embrase. Alors que le Conseil national électoral (CNE) a officialisé début août, la réélection pour un troisième mandat de Nicolas Maduro, l'opposition a de nouveau appelé à manifester samedi 17 août pour faire reconnaître la victoire d'Edmundo Gonzalez Urrutia, le candidat de l'opposition.

"Nous descendrons dans les rues du Venezuela et du monde (...) Crions ensemble pour que le monde soutienne notre victoire et reconnaisse la vérité et la souveraineté populaire", a lancé sur X, la cheffe de l'opposition, Maria Corina Machado, qui, comme Edmundo Gonzalez Urrutia, vit dans la clandestinité depuis une dizaine de jours. Plusieurs manifestations spontanées ont déjà été réprimées par les forces de l'ordre. Franceinfo fait le point sur cette crise.

Pourquoi le Venezuela est-il plongé dans une crise politique ?

Le 28 juillet, les Vénézuéliens étaient appelés aux urnes pour départager Nicolas Maduro, le président sortant, et Edmundo Gonzalez Urrutia, candidat de l'opposition, à l'élection présidentielle. Le soir du scrutin, le Conseil national électoral, accusé d'être inféodé au pouvoir, a annoncé, après le dépouillement de 80% des bulletins, la réélection de Nicolas Maduro avec 51,2% des suffrages.

Rapidement, l'opposition a dénoncé des irrégularités et une élection truquée. D'après sa cheffe de file, Maria Corina Machado, le candidat de la Table de l'union démocratique (TUD), coalition qui regroupe les principaux partis de l'opposition, s'est imposé dans tous les Etats du pays. Elle a affirmé, le 29 juillet, qu'Edmundo Gonzalez Urrutia a obtenu 6,27 millions de voix, contre 2,7 millions pour Nicolas Maduro. Selon la femme politique, l'opposition dispose des "preuves de la victoire" grâce à la compilation de procès-verbaux.

Le candidat de l'opposition vénézuélienne à la présidentielle, Edmundo Gonzalez Urrutia, et la cheffe de l'opposition, Maria Corina Machado, assistent à un rassemblement de campagne à Maracaibo (Venezuela), le 23 juillet 2024. (RAUL ARBOLEDA / AFP)

Au cours d'un discours enflammé, le président sortant, 61 ans, a défendu l'intégrité du processus électoral. "Quel pays au monde, (...) après les souffrances que nous avons vécues, a le courage d'organiser des élections ? Nous les avons convoquées. Elles se sont déroulées de manière exemplaire, s'est-il félicité après l'annonce des résultats. Je peux dire au peuple vénézuélien et au monde entier : je suis Nicolas Maduro Moros, président réélu de la République bolivarienne du Venezuela. Je défendrai notre démocratie, notre droit et notre peuple".

Des manifestations rassemblant plusieurs milliers de personnes ont éclaté à partir du 29 juillet à Caracas, la capitale, ainsi que dans plusieurs autres villes du pays.

Pourquoi les résultats officiels sont-ils contestés ?

"Deux semaines après l'élection présidentielle, l'autorité électorale n'a toujours pas publié de décompte détaillé bureau par bureau", explique Yoletty Bracho, maîtresse de conférences en science politique à l'université d'Avignon. Le pays "reste dans l'attente de preuves de la victoire de Nicolas Maduro", ajoute Thomas Posado, maître de conférences en civilisation latino-américaine contemporaine à l'université de Rouen et auteur de l'ouvrage, Venezuela : de la Révolution à l'effondrement. Le syndicalisme comme prisme de la crise politique (1999-2021). Malgré ce manque de transparence, le CNE a ratifié officiellement la victoire de Nicolas Maduro le 2 août. Pour leur part, les partis de l'opposition ont publié sur un site internet 83% des procès-verbaux. Ces documents ont été obtenus grâce à leurs scrutateurs. D'après leur décompte, Edmundo Gonzalez Urrutia a obtenu plus de deux tiers des voix (67%).

Au cours de sa mission d'observation de l'élection présidentielle, le Centre Carter, a également constaté de nombreuses violations "des lois électorales nationales""Tout au long du processus électoral, la CNE a clairement fait preuve d'un parti pris en faveur du président sortant", poursuit l'organisation non gouvernementale fondée par l'ancien président américain Jimmy Carter. De leur côté, les experts de l'ONU déployés au Venezuela pour suivre la présidentielle du 28 juillet estiment dans leur rapport que les "mesures élémentaires de transparence et d'intégrité" nécessaires à des élections "crédibles" n'ont pas été respectées.

En outre, "une immense majorité des Vénézuéliens résidant à l'étranger n'ont pas pu participer à ce scrutin. Au total, 79 000 citoyens résidant en dehors du pays, sur 4,5 millions, ont pu voté", analyse Thomas Posado. 

Comment a réagi la communauté internationale après la présidentielle ?

Entre condamnations et soutiens indéfectibles à Nicolas Maduro, "la communauté internationale est très divisée", explique le maître de conférences à l'université de Rouen. La Chine, la Russie, Cuba, le Honduras et la Bolivie ont salué la réélection du successeur d'Hugo Chavez. En revanche, les Etats-Unis, l'Union européenne, le Royaume-Uni et de nombreux pays d'Amérique du Sud ont exprimé des doutes sur le résultat officiel. 

Pour sortir de l'impasse politique, plusieurs Etats d'Amérique latine, comme le Brésil, la Colombie et le Mexique, ont proposé, dans une déclaration commune publiée le 8 août, une médiation entre les deux camps. Dans ce communiqué, les trois pays "réitèrent leur disposition à soutenir les efforts de dialogue et la recherche d'accords qui contribuent à la stabilité politique et à la démocratie dans le pays".

Quel est le bilan des troubles post-electoraux ?

Les troubles qui ont suivi la proclamation de la victoire du président sortant ont tué "25 personnes (...) dont deux membres de la garde nationale bolivarienne, en seulement 48 heures (...) entre le 29 et le 30 juillet", a affirmé lundi le procureur général du Venezuela. Il a également fait état de "192 blessés par armes à feu, armes blanches, divers objets contondants et bombes incendiaires".

L'ONG Foro Penal, qui défend les prisonniers politiques, dénonce des "détentions arbitraires massives" dont plus d'une centaine de mineurs. Citant des sources officielles, l'ONU a précisé mardi que plus de 2 400 personnes ont été arrêtées depuis le 29 juillet

Pour Yoletty Bracho, désormais deux scénarios se dégagent. D'une part, "la médiation sous l'égide de pays étrangers, qui représente une sortie de crise par le haut et pourrait mettre fin aux violences". Plusieurs solutions politiques existent comme "le partage du pouvoir, une transition démocratique ou même l'organisation d'une nouvelle élection".

"L'autre option, c'est le rapport de force, la mobilisation de la société et l'affrontement", poursuit l'universitaire."Le Venezuela est à la croisée des chemins avec deux réalités qui semblent encore possibles", complète-t-elle. En 2018, lors de la réélection déjà contestée de Nicolas Maduro à l'issue d'un scrutin boycotté par l'opposition, plus d'une centaine de manifestants.

Le président vénézuélien, Nicolas Maduro, s'adresse à la presse devant la Cour suprême de justice à Caracas (Venezuela) le 9 août 2024. (FEDERICO PARRA / AFP)

L'épreuve de force entre Nicolas Maduro et ses opposants risque de durer plusieurs semaines, prédit Thomas Posado. La cérémonie d'investiture du chef de l'Etat est prévue le 10 janvier 2025. "Au niveau diplomatique, les tensions risquent de perdurer au moins jusqu'à cette date", juge-t-il. Il n'est pas impossible que certains pays refusent de reconnaître Nicolas Maduro comme le président légitime du Venezuela.

Depuis le début de la crise, Nicolas Maduro, au pouvoir depuis 2013, tient Maria Corina Machado et Edmundo Gonzalez Urrutia responsables des violences qui secouent le pays. Il accuse les deux dirigeants d'une tentative de "coup d'Etat" et de vouloir créer une "guerre civile". Mardi, il a appelé tous les services de l'Etat à agir avec une "main de fer". Le parquet a également ouvert une enquête pénale contre les deux opposants, notamment pour "usurpation de fonctions, diffusion de fausses informations, incitation à la désobéissance aux lois, incitation à l'insurrection, association de malfaiteurs".

Comment Nicolas Maduro se maintient-il au pouvoir depuis onze ans ?

Pour Thomas Posado, "le départ de Nicolas Maduro a été programmé de nombreuses fois par l'opposition vénézuélienne et par les chancelleries occidentales". En janvier 2019, s'engouffrant dans une brèche institutionnelle, l'opposant Juan Guaido, président du Parlement dont les chavistes avaient perdu le contrôle en 2015, s'était proclamé président par intérim. Une partie de la communauté internationale, et notamment les Etats-Unis, persuadés de pouvoir évincer Nicolas Maduro, l'avaient alors reconnu comme le chef d'Etat légitime, lui donnant même le pouvoir sur les avoirs vénézuéliens à l'étranger. Toutefois, cette expérience s'est soldée par un échec cuisant.

Nicolas Maduro "a fait preuve d'une résilience et a déjoué tous les pronostics, mais au prix d'un renforcement de son autoritarisme", explique Thomas Posado. Fidèle alliée du régime chaviste, l'armée occupe une place de plus en plus importante dans le paysage politique national. D'après une étude réalisée en 2023 par l'ONG Control Ciudadano et citée par El Pais , 42% des membres du gouvernement sont des militaires.

"Le gouvernement survit et se consolide grâce à l'utilisation de la force, de la restriction de l'espace politique et de l'expression démocratique", observe Yoletty Bracho. La TUD avait réussi à inscrire, fin mars et à la dernière minute, Edmundo Gonzalez Urrutia pour l'élection présidentielle après n'avoir pu faire valider la candidature de Corina Yoris, désignée comme première remplaçante de Maria Corina Machado, déclarée également inéligible. 

Or, après onze années de pouvoir, le bilan économique du successeur d'Hugo Chavez est catastrophique. Le PIB s'est contracté de 80% entre 2014 et 2021. Un rapport de la banque Barclays, cité par le média indépendant vénézuélien El Estimulo, estime qu'il faudrait 17 ans pour que l'économie retrouve le niveau de PIB d'avant le début de la présidence de Nicolas Maduro. "Cette crise est d'une ampleur inédite pour un pays en paix", analyse Thomas Posado. Le Venezuela a vu sa monnaie, le bolivar, "perdre 99% de sa valeur", ce qui a conduit à une hyperinflation et à une baisse du pouvoir d'achat pour les ménages. D'après l'étude sur les conditions de vie réalisée par l'université catholique Andrés-Bello, 53,3% de la population du pays vivait en 2022 dans une situation d'extrême pauvreté. 

Je n'ai pas eu le temps de tout lire, vous pouvez me faire un résumé ?

Manifestations, arrestations et répression... Le Venezuela est de nouveau le théâtre de violences depuis l'annonce des résulats de l'élection présidentielle, le 28 juillet. L'autorité électorale a ratifié la victoire de Nicolas Maduro, au pouvoir depuis 2013, avec 52% des voix, sans rendre public le décompte exact des bureaux de vote. D'après l'opposition, qui a publié la majorité des procès-verbaux grâce à ses scrutateurs, Edmundo Gonzalez Urrutia a remporté le scrutin avec 67% des voix. Cette période de turbulences se déroule sur fond d'une grave crise économique.

Depuis l'annonce de la réelection de Nicolas Maduro, plusieurs manifestations spontanées ont éclaté, ponctuées d'échauffourées avec les forces de l'ordre. D'après le procureur général du Venezuela, 25 personnes ont été tuées et 192 blessées. Ce bras de fer entre le régime chaviste et l'opposition dirigée par Edmundo Gonzalez Urrutia et Maria Corina Machado risque de perdurer dans les semaines à venir. La cérémonie d'investiture du chef de l'Etat est prévue le 10 janvier 2025.

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