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Photovoltaïque : pourquoi la France se plaint de concurrence déloyale

Le ministère de l'Ecologie a dévoilé ses mesures pour encourager l'énergie solaire en France. Au passage, le gouvernement brocarde la "concurrence déloyale" étrangère, notamment chinoise.

Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Axel Becker, directeur du projet photovoltaïque de l'usine Bosch de Vénissieux (Rhône), vérifie le montage des éléments de panneaux, le 19 décembre 2011.  (PHILIPPE DESMAZES / AFP)

La ministre de l'Ecologie, Delphine Batho, a dévoilé un plan destiné à sauver la filière photovoltaïque en France, lundi 7 janvier. Le texte compile une série de mesures, dont l'objectif est notamment de doubler la capacité des projets solaires dans le pays, qui passerait de 500 mégawatts par an à 1 000 en 2013. 

Les critères adoptés "ont vocation à soutenir la filière solaire française dans un contexte de concurrence déloyale", précise le communiqué. Une attaque en règle contre la Chine, soupçonnée de favoriser ses entreprises à grand renfort de dumping. 

Le gouvernement dénonce la "concurrence d’équipements photovoltaïques importés en Europe à partir de pays qui ont soutenu leur industrie photovoltaïque par des aides tout en protégeant leur marché national d’importations". Accusée de tricher, la Chine est mise au banc des accusés. Et si c'était d'abord et surtout la faute de la France ?

Les vraies raisons du retard français

La production française dans le domaine de l'énergie solaire est insignifiante par rapport aux trois leaders mondiaux : la Chine, Taïwan et le Japon. Elle doit donc importer, avec pour conséquence de creuser le déficit commercial français du secteur. Il atteint 1,35 milliard d'euros, selon le rapport de la mission CGEIET/CGEDD sur l’éolien et le photovoltaïque, publié en septembre 2012. 

Un tissu industriel fragile. Une entreprise résume mieux que toute autre les difficultés du photovoltaïque français. Photowatt, fer de lance du secteur depuis les années 1980, a failli disparaître. Placé en redressement judiciaire en novembre 2011, le groupe est finalement repris par EDF en février 2012. D'autres initiatives existent. Delphine Batho a rendu visite à l'entreprise française MPO, en Mayenne, lundi 7 janvier. Cette usine de production de CD et DVD s'est diversifiée depuis 2010 dans la fabrication de cellules photovoltaïques. Sa nouvelle cellule atteint un rendement de 19,1%, ce qui la place dans le top 10 mondial (PDF). 

Un retard structurel. La France est bien en retard. "Nous avons une carte à jouer sur les produits à haute valeur ajoutée et (...) la bataille n'est pas perdue, même dans un environnement concurrentiel féroce", explique Delphine Batho, interrogée par Le Monde. Il faut dire que l'Hexagone a pris son temps. "Le marché a démarré en 2008. Le temps qu'une industrie française s'y mette, les usines se sont trouvées en place dix-huit mois ou deux ans après", bien après l'Allemagne, précise Thierry Mueth, président du syndicat des professionnels de l'énergie solaire (Enerplan). 

Une législation variable. Entre 2008 et 2010, beaucoup ont profité des encouragements de l'Etat pour s'équiper en panneaux solaires et revendre l'électricité produite à EDF. Mais en 2010, l'entreprise est submergée de dossiers. Un décret suspend ces rachats pendant trois mois, lorsque les centrales dépassent une puissance de 3 kW. Les tarifs de rachat sont recalculés, entraînant la panique dans le secteur. Selon les estimations de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), 14 500 emplois ont été détruits dans la filière photovoltaïque entre 2010 et 2012, soit près d'un poste sur deux en France. Depuis, les investisseurs sont échaudés. "Imaginez que vous ayez le choix entre plusieurs secteurs, dont l'un qui bouge tout le temps à cause de la législation ! Cela fait réfléchir", résume Thierry Mueth.

Les raisons du succès de la Chine

Des prix ultracompétitifs. Jean-Marie Darmian est maire de Créon (Gironde). Il a choisi de couvrir la toiture de l'école de 900 mètres carrés de panneaux photovoltaïques. "L'investissement dans le matériel français coûtait 96 000 euros et était amorti en neuf ans, celui dans le matériel chinois coûtait 76 000 euros et était amorti en sept ans." Il a finalement opté pour la première solution en raison de la qualité du produit, conçu dans l'usine Mégawatt Energie de Saint-Martial-de-Valette (Dordogne).

Encore faut-il en avoir les moyens. En règle générale, le prix d'un panneau chinois est en moyenne 15% à 20% moins cher que son équivalent français. Mais, selon Thierry Mueth, les produits asiatiques ne sont pas forcément mauvais : "Ce n'est pas parce que c'est marqué 'fabriqué en Chine' que c'est un jouet McDonald's !" S'ils vendent dans le monde entier, c'est parce que leurs produits fonctionnent. 

Une force de frappe financière. Contrairement aux idées reçues, ce n'est pas forcément le coût du travail qui explique la différence. "La fabrication de modules n'emploie pas énormément de main-d'œuvre. La différence se fait surtout dans l'amortissement des investissements", poursuit Thierry Mueth. La force de la Chine réside davantage dans sa force de frappe financière, qui permet de lourds investissements et des économies d'échelle.

Des investissements pharaoniques. "Le secteur industriel français est totalement laminé du fait d’une concentration des investissements chinois sur la fabrication de cellules (...) : les Chinois sont arrivés actuellement à des unités dont la capacité de production annuelle de cellules est de 1 gigawatt (on rappelle que Photowatt a une capacité de production de 90 mégawatts)", souligne le rapport de la mission CGEIET/CGEDD. Et l'Etat n'hésite pas à mettre la main à la poche, dénoncent certains industriels européens. Quitte parfois à perdre en rentabilité. "La plupart des entreprises chinoises sont en perte d’exploitation, et leur ratio de chiffre d’affaires par employé est moins bon que celui des principaux acteurs occidentaux."

Une guerre mondiale sur fond d'enquêtes et de plaintes

La Commission européenne enquête. Bruxelles a lancé une contre-offensive. Avec, tout d'abord, la mise en place d'une enquête antidumping sur les importations de cellules, modules et plaquettes photovoltaïques chinois, le 6 septembre 2012. Une autre enquête a été lancée sur les subventions accordées par la Chine à ses entreprises du secteur, le 8 novembre. Les résultats ne seront connus qu'en décembre 2013 et en février 2014. Thierry Mueth, lui, tient un discours assez différent. "On ne va pas grandir en France en disant que les autres trichent ou sont nuls. Ce n'est pas ma vision des choses. En revanche, c'est à nous de favoriser l'industrie française."

Les Etats-Unis veulent taxer le photovoltaïque chinois. Outre-Atlantique, les acteurs du photovoltaïque s'agacent tout autant des faveurs économiques accordées par les autorités chinoises. L’International Trade Commission (Commission du commerce international) des Etats-Unis s’est prononcée en faveur de l’imposition de droits antidumping et compensateurs sur les produits photovoltaïques importés de Chine, le 7 novembre 2012. Gordon Brinser, président de la filiale américaine du groupe allemand SolarWorld, a résumé ce malaise : "Si les concurrents chinois proposent tout de même des marchandises à des prix cassés, la raison en est simplement les subventions massives par les banques d’Etat chinoises et le gouvernement chinois", rapportait en novembre le site Batiweb.com. Les taux des nouvelles taxes devraient varier de 23,75% à 254,66%.

La Chine menace. Pour autant, la Chine n'entend pas céder. Shen Danyang, porte-parole du ministère chinois du Commerce, a aussitôt dénoncé "un signal négatif au monde entier en faveur du protectionnisme et qui freine le développement des énergies nouvelles". Le 5 novembre, il a demandé des consultations à l'Union européenne, à l'Italie et à la Grèce pour faire la lumière sur des pratiques jugées anticoncurrentielles pour des équipements photovoltaïques. Le cas échéant, un dossier pourrait être ouvert devant l'Organisation mondiale du commerce. La guerre est déclarée.

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