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"Cela fait 43 ans qu'on s'aime" : Isabelle et Patrick Balkany jugés ensemble lors de leur procès en appel pour fraude fiscale

Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8min
Isabelle Balkany à son procès en appel pour fraude fiscale à Paris, le 11 décembre 2019. (STEPHANE DE SAKUTIN / AFP)

Grande absente en première instance, la première adjointe de Levallois-Perret comparaît libre devant la cour d'appel de Paris. Son mari, incarcéré depuis le 13 septembre, se trouve, lui, dans le box.

Ses joues sont creusées, ses cheveux ont poussé et son dos est un peu plus voûté. Trois mois de prison ont changé l'aspect physique de Patrick Balkany. Le maire LR de Levallois-Perret (Hauts-de-Seine) a été condamné en première instance à quatre ans de prison pour fraude fiscale, le 13 septembre, puis, un mois plus tard, à cinq ans de prison pour blanchiment aggravé, le tout avec mandat de dépôt. Deux décisions de justice contre lesquelles l'élu de 71 ans a fait appel. Il est donc rejugé pour fraude fiscale, à partir du mercredi 11 décembre, devant la cour d'appel de Paris. Un délai rapide en vertu de la loi de programmation et de réforme pour la justice. "Le prévenu, s'il est détenu, doit comparaître devant la chambre des appels correctionnels dans un délai de quatre mois à compter de l'appel", indique le texte du 23 mars 2019.

Lorsque Patrick Balkany arrive dans le box, lunettes aux verres fumés sur les yeux, sa femme Isabelle n'est qu'à quelques centimètres, sur le banc des prévenus. Elle l'embrasse. Mais un muret en bois les séparent. Isabelle Balkany comparaît libre. Elle aussi a été condamnée, mais à trois ans de prison, puis quatre, sans mandat de dépôt, eu égard à sa santé fragile. La première adjointe de Levallois-Perret, aujourd'hui maire par intérim, était la grande absente du procès. Elle n'avait pu se déplacer devant le tribunal après une tentative de suicide le 1er mai. Cette fois, les époux Balkany sont réunis, pour le meilleur comme pour le pire.

"Nous avons vécu un acharnement inacceptable"

Le procès commence par une demande de renvoi : la défense souhaite la jonction des deux affaires. "Le dossier fraude fiscale est la conséquence du dossier blanchiment. C'est un tout indissociable. Ce sont les mêmes personnes, les mêmes biens, c'est la continuité", plaide Romain Dieudonné, nouveau conseil de Patrick Balkany. Le jeune avocat de 31 ans succède au ténor du barreau Eric Dupond-Moretti, qui défendait l'édile en première instance. Un duo tonitruant qui avait rythmé l'audience. Cette fois, c'est Pierre-Olivier Sur qui insuffle la dynamique. L'avocat d'Isabelle Balkany parle tantôt à voix basse, chuchotant presque, tantôt avec le verbe haut. "Nous avons vécu un acharnement absolument inacceptable et inédit. Aujourd'hui les débats devraient être apaisés", implore-t-il avec un ton solennel.

La parole est ensuite à l'avocat du fisc, partie civile. Mais Isabelle Balkany se lève. "Madame la présidente, mon mari souffre beaucoup", intervient-elle, en femme attentionnée. La prévenue de 72 ans, petites lunettes rondes et cheveux blonds clairsemés, coiffés vers l'arrière, chancèle elle aussi. Elle demande l'autorisation de donner un médicament anti-inflammatoire à son époux. Et déplore qu'il soit assis sur un banc de bois dans le box. "Pourquoi ne lui met-on pas un fauteuil ? C'est inadmissible !", gronde Pierre-Olivier Sur. "J'ai été opéré d'une tumeur à la colonne vertébrale. On m'a enlevé la moitié d'une vertèbre, plaide à son tour Patrick Balkany. Je ne peux pas m'asseoir sur la chaise de ma cellule. Je suis obligé d'être couché toute la journée."

La présidente, d'une voix calme, renvoie à une question de sécurité. Les bancs sont scellés dans le box et si Patrick Balkany est installé dans la salle, il faut trois gendarmes pour le surveiller. "La situation est particulière aujourd'hui", dit-elle, faisant référence à la grève contre la réforme des retraites. Romain Dieudonné propose d'être le troisième homme pour assurer la sécurité de son client. La magistrate répond qu'elle verra un peu plus tard "ce qu'on peut faire pour le confort de Patrick Balkany". En attendant, le prévenu recule dans un coin du box, afin de trouver un support pour son dos. "J'espère que ça va aller mieux avec son médicament, mais il est en surdosage", glisse Isabelle Balkany. A la suspension d'audience, le couple échange quelques mots à voix basse. Et affiche une complicité d'antan.

"J'ai fait appel pour être solidaire de mon mari"

Comme en première instance, la demande de jonction des deux volets est rejetée. La cour entre donc dans le vif du sujet. Dans le dossier pour fraude fiscale, on leur reproche d'avoir omis de déclarer en bonne et due forme l'impôt sur le revenu de 2009 à 2014, l'impôt sur la fortune de 2010 à 2015 et la contribution exceptionnelle sur la fortune pour l'année 2012. Pour le tribunal, le couple aurait notamment dû déclarer la luxueuse villa Pamplemousse de Saint-Martin, qu'Isabelle Balkany avait tardivement reconnue posséder, mais aussi un somptueux riad à Marrakech, que le couple nie avoir acheté. Au total, les sommes éludées sont estimées à 4 millions d'euros, un montant vigoureusement contesté par la défense.

La présidente demande à Isabelle Balkany pourquoi elle a fait appel. "Parce que je n'étais pas présente au tribunal au printemps dernier", dit-elle pour commencer. Et de rappeler qu'elle a reconnu "une faute". "Une faute n'a jamais d'excuse mais elle a des raisons", ajoute-t-elle. "J'ai fait aussi appel pour être solidaire de mon mari, que j'admire, que j'aime depuis 43 ans", justifie-t-elle enfin. Patrick Balkany écoute sa femme depuis le box. Isabelle Balkany se perd dans les dates, ne sait plus quand sa mère est morte. "J'ai des problèmes de mémoire immédiate, on va dire ça comme ça." Son mari termine ses phrases pour l'aider. Elle s'autorise des digressions, évoque des "débats qui animent la vie conjugale", agite ses mains, un grand sourire aux lèvres.

"Je n'ai jamais caché de l'argent que j'ai gagné !"

Mais la cour n'est pas là pour plaisanter. Elle veut des réponses. "Est-ce que vous reconnaissez oui ou non la fraude fiscale sur l'impôt sur le revenu ?", interroge le ministère public, qui insiste pour avoir une réponse "binaire"Patrick Balkany intervient. "Vous aurez le temps de parler ensuite", le coupe la présidente. "Patrick, je suis capable de m'exprimer toute seule", poursuit Isabelle Balkany, qui ne veut pas répondre "oui ou non", "car la vie, ce n'est pas toujours oui ou non". "Je reconnais la fraude ! Je reconnais ne pas avoir déclaré au fisc français, si c'est ça votre question, OUI", finit-elle par lâcher, nuançant immédiatement son propos.

L'exercice est tout aussi difficile avec Patrick Balkany. Son père juif hongrois déporté dans les camps de concentration, la maladie d'Alzheimer qui l'a emporté, les déclarations de Jérôme Cahuzac... L'intéressé saute d'un sujet à l'autre. Il évoque même la brève séparation avec son épouse, avant d'ajouter : "Ça fait 43 ans qu’on s'aime." La présidente le recadre : elle souhaite des explications claires et précises. "Je suis coupable d'avoir dissimulé une petite partie des avoirs de mon père. Mais je n'ai jamais caché de l'argent que j'ai gagné !", finit-il par concéder avant la suspension d'audience. Le procès reprendra lundi 16 décembre à 13h30. En attendant, Patrick et Isabelle Balkany sont repartis chacun de leur côté. Lui en prison, elle à la mairie de Levallois-Perret.

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