Affaires : "La transparence est la condition d'un retour de la confiance"
Pour Daniel Lebègue, président de Transparency International France, seul un arsenal de mesures pourrait permettre de sortir de la crise déclenchée par l'affaire Cahuzac.
Daniel Lebègue parle d'intégrité, d'éthique comme d'autres respirent. Depuis 2003, cet ancien directeur du Trésor et ex-banquier est passé de l'autre côté de la barrière en devenant le président de l'ONG Transparency France, qui lutte contre la corruption. Il argumente avec méthode, apostrophe les politiques, provoque des polémiques… Pour francetv info, il réagit aux récentes "affaires" et préconise un arsenal de mesures pour regagner la confiance des citoyens.
Francetv info : Les scandales semblent se multiplier : affaire Cahuzac, Offshore Leaks… En 1996, des juges européens lançaient à Genève un appel contre la corruption. Doit-on penser que depuis, on a fait très peu de choses contre l'opacité des circuits financiers ?
Daniel Lebègue : Depuis 1988, la France a adopté pas moins de douze lois sur le financement de la vie politique. Elles ont été peu ou mal appliquées. Pire, des sujets entiers ont été laissés de côté : le conflit d'intérêts, le statut du parquet, toujours lié au gouvernement, et la transparence des activités de lobbying. Ce sont pourtant des sujets fondamentaux en démocratie. La plupart des grands pays ont adopté des règles sur ces points. Exiger cette transparence n'est pas une horreur, comme certains l'affirment ! Il faut donner à nos concitoyens les moyens d'être informés sur les activités, les revenus, le patrimoine des parlementaires. La démocratie, ce n'est pas seulement le vote, c'est aussi le contrôle permanent de l'action de ceux et celles qui ont été mandatés.
Le chef de l'Etat promet un "choc de moralité". Quelles seraient, selon vous, les décisions à prendre face à la gravité de la situation ?
D'abord, assurer la totale transparence du fonctionnement des institutions. L'Assemblée nationale, le Sénat, les ministères, la présidence de la République… Tout ce qui contribue à l'action publique doit être transparent dans ses comptes ou ses budgets. Cette transparence doit également s'exercer sur les ministres, sénateurs, députés, hauts fonctionnaires, magistrats. Ils doivent être astreints à déclarer tout intérêt en dehors de leur charge publique, ainsi que l'état de leur patrimoine – j'insiste sur ce point – chaque année, et celui de leurs revenus... Tout simplement de la transparence, condition sine qua non d'un retour de la confiance dans ceux qui agissent au nom des citoyens.
Il faut ensuite mettre un terme au cumul des mandats. Il n'y a plus que la France pour continuer une telle pratique ! Nous devons aussi, par une réforme constitutionnelle, garantir l'indépendance de la justice en coupant les liens entre le parquet et le gouvernement. Enfin, il est impératif d'assurer une transparence du lobbying, des relations entre groupes d'intérêts et décideurs politiques. La situation ne sera donc pas assainie par une seule disposition. Si l'on veut sortir par le haut de cette crise, c'est un arsenal de mesures qui est nécessaire.
Soit, mais on entend déjà ceux qui affirment que la mise en place d'un tel dispositif conduirait à l'isolement économique du pays. Nous serions l'oie blanche du monde…
Evidemment, tout cela doit également se traiter au niveau européen, ou à celui du G20. Certains pays, comme les Etats-Unis, pratiquent depuis 2010 l'échange automatique d'informations fiscales, à savoir l'obligation pour un établissement financier étranger de faire connaître au fisc américain tout élément sur les comptes détenus par les contribuables américains. En Europe, cette mesure est bloquée parce que le Luxembourg, l'Autriche et la Suisse résistent – le Luxembourg semble néanmoins faire quelques pas dans le bon sens. Mais il faut œuvrer pour que soit enfin adoptée une règle commune.
De même, nous devons imposer aux banques un compte-rendu de leur chiffre d'affaires lié à leurs activités dans les paradis fiscaux. Sur ce point, un texte va être très bientôt adopté. J'irais même plus loin : de même qu'il existe un registre du commerce, on pourrait créer un registre des sociétés écrans (trusts, fiduciaires, fondations) avec les noms des bénéficiaires !
N'êtes-vous pas dans l'utopie d'un monde débarrassé de ses turpitudes financières, un univers idéal ?
Pas du tout ! Si l'on veut que vive pleinement la démocratie, il faut ouvrir les boîtes noires qui permettent de dissimuler tous types de transactions, les strictement financières ou celles fondées sur les trafics d'armes, de drogue… Avec la volonté politique, on peut pousser très loin dans cette voie. La crise économique peut faciliter cette prise de conscience.
Vous avez rencontré récemment des autorités politiques qui pourraient prendre en compte vos suggestions ?
Oui, des membres du gouvernement et des responsables de commissions d'enquête au niveau européen.
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