"J'ai pris l'habitude de marcher les yeux baissés" : au tribunal, Jérôme Cahuzac raconte sa longue descente aux enfers
Le tribunal correctionnel de Paris s'est penché, mardi 13 septembre, sur la personnalité des prévenus.
Le contraste entre leurs attitudes est saisissant. Il est un peu plus de midi, ce mardi 13 septembre, lorsque le tribunal correctionnel de Paris aborde l'un des derniers aspects du dossier de l'affaire Cahuzac : les déclarations d'impôts mensongères des ex-époux, qui découlent logiquement des montages imaginés pour cacher leurs revenus au fisc. Le président du tribunal, Peimane Ghaleh-Marzban, invite rapidement les prévenus à s'exprimer.
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Patricia Cahuzac se lève. "Je voudrais juste dire que j’ai extrêmement honte d’avoir fait ça, confie la chirurgienne capillaire, avec ce ton direct et gouailleur qui est le sien depuis le début du procès. Je ne me vois pas d’excuses et je n’en cherche pas." Son ex-mari lui succède à la barre. "Les sommes qui m’ont été réclamées ont été intégralement payées", rappelle-t-il. De fait, Patricia et Jérôme Cahuzac se sont déjà acquittés d'un redressement fiscal de 2,3 millions d'euros. Il se rassoit, sans exprimer le moindre sentiment.
"Je ne suis pas comme ça"
Le décalage n'échappe pas au président du tribunal. "Vous parlez avec beaucoup de précision Monsieur Cahuzac, vos phrases sont toujours construites", relève-t-il, en passant, quelques minutes plus tard. "Je sais les conclusions que certains peuvent en tirer, réplique le prévenu, en montrant les bancs de la presse. Même si je ne suis pas comme ça."
Les journalistes ne sont pas les seuls à se poser la question. Dès le deuxième jour d'audience, le président avait prévenu que cette interrogation était essentielle pour le tribunal. "Est-ce que monsieur Cahuzac est un homme cynique, duplice, d'une froideur incroyable, capable de faire une chose et son contraire ou un homme qui a d'autres complexités ?", s'interrogeait-il le 7 septembre.
"C'est très douloureux"
A la veille du réquisitoire du parquet et des plaidoiries de la défense, alors que Jérôme Cahuzac s'est abondamment exprimé, la question reste entière. Il apparaît tour à tour cynique, lorsqu'il convoque le défunt Michel Rocard pour justifier l'ouverture de son premier compte en Suisse ou évoque un mystérieux entretien avec François Hollande, et profondément meurtri lorsqu'il décrit sa longue descente aux enfers.
Le 4 décembre 2012, Mediapart révèle l'existence de son compte en Suisse. "Ce furent quatre mois d'une dureté physique et morale indescriptible", raconte l'ancien ministre du Budget, avant d'évoquer son fameux mensonge à la tribune de l'Assemblée nationale, avec des trémolos dans la voix.
Toute ma vie ne se résume plus qu’à ça. Il me faut l’accepter mais c’est très douloureux. Ces images qui passent en boucle jusqu’à la nausée résument ce que je suis censé être aux yeux de tous.
Pensées suicidaires et aveux
Il ne le dira jamais clairement, mais il a failli se suicider en apprenant l'ouverture d'une information judiciaire en mars 2013. "La femme avec qui je vis part à l’étranger, raconte-t-il, cramponné à la barre. Je vais être seul trois jours, je dois prendre une décision : continuer à nier, avouer, ou une autre." Jérôme Cahuzac opte pour cette troisième option. "Pour la première fois depuis quatre mois, je dors bien", raconte-t-il. A l'évocation de ce souvenir, Jérôme Cahuzac craque. "Je suis vraiment désolé d'être comme ça en public", dit-il, en larmes. L'audience est suspendue.
C'est finalement la visite d'"un ami très cher" qui le convainc de renoncer au suicide. Quelques jours plus tard, il rend visite à l'avocat Jean Veil, l'un de ses défenseurs aujourd'hui, qui lui conseille d'avouer. "C'est ce jour-là que je décide de dire les choses et d'en payer le prix. J'ai dit les choses, j'en paye le prix depuis trois ans et demi", raconte Jérôme Cahuzac. Le 2 avril 2013, il avoue sur son blog.
"Ma vie sociale est extrêmement compliquée"
A l'écouter, le prix à payer est lourd. Aujourd'hui, il ne peut plus travailler. "Quelles que soient les personnes qui me font travailler, cela se termine par une convocation de la brigade financière", se plaint-il, en citant l'enquête sur le groupe Artémis, qui s'est soldée par un non-lieu. Pire, ses enfants en pâtissent. "Une grande entreprise a refusé d'embaucher mon fils, en lui disant 'avec le nom que vous avez, c'est compliqué'", témoigne-t-il. Quant à sa vie sociale, elle "est extrêmement compliquée". Il ne peut plus aller au cinéma, au théâtre ou à l'opéra sans se faire insulter.
Dans la rue, les gens m'insultent et filment ma réaction avec leur smartphone. Je rase les murs au propre, comme au figuré, j'ai pris l'habitude de marcher les yeux baissés.
Aujourd'hui, Jérôme Cahuzac vit dans un petit village de Corse, là où ses parents ont construit une maison. "Les seuls endroits où je suis bien sont les endroits où je suis seul, résume-t-il devant le tribunal, avant de conclure. Ce n’est pas à moi de dire si ce que j’ai fait mérite cela. Je vous dis simplement ce que je vis." Poursuivi avec son épouse pour fraude fiscale et blanchiment, il encourt jusqu'à sept ans de prison et un million d'euros d'amende.
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