Jérôme Cahuzac a-t-il lu "L'Art du mensonge politique" ?
Le destin de l'ancien ministre du Budget rappelle ce livre de Jonathan Swift, publié en 1733.
Parlant de ce qu'il appelait "les mensonges de promesses que font les grands" - entendez les puissants de ce monde - Jonathan Swift mettait en garde le citoyen de l'année 1733, dans son ouvrage L'Art du mensonge politique : "Vous reconnaîtrez ces mensonges en matière de faits, aux serments excessifs qu'ils [les puissants] vous font à plusieurs reprises".
Et c'est bien ce qu'a fait Jérôme Cahuzac, qui, jusqu'à ses aveux mardi 2 avril, a juré sur tous les plateaux de télé et sur tous les tons : "Je n'ai jamais eu de compte à l'étranger, ni maintenant, ni avant." De fait, la contre-vérité a bel et bien fonctionné.
"Combattre le mensonge en lui opposant un autre mensonge"
Poursuivons le constat réalisé par l'auteur des Voyages de Gulliver. Avec cet Art du mensonge politique, il pensait égratigner la vie anglaise du XVIIIe siècle, et le voici au goût du jour. A tel point qu'on se demande s'il ne décrit pas le syndrome Cahuzac près de trois siècles avant l'heure.
Dans son opuscule, l'auteur conseille à l'artiste de la contrefaçon politique de "combattre un mensonge en lui opposant un autre mensonge". Et l'on pense à la contre-attaque de Jérôme Cahuzac à l'égard d'un agent du fisc, accusé d'avoir rédigé un "document insensé". Pensez, le fonctionnaire parlait d'un compte à numéro en Suisse, dont l'homme politique aurait été le propriétaire.
Un peu plus loin, Swift se concentre cette fois sur la personnalité du menteur au pouvoir : "Il n'y a point d'homme qui débite et répande un mensonge avec autant de grâce que celui qui le croit."
"Le penchant de l'âme vers la malice est un effet de l'amour-propre"
L'acte de contrition de Jérôme Cahuzac, mis en ligne sur son blog, semble développer par le menu cette autoconviction dans l'autotromperie, une croyance arrachée, semble-t-il, au prix d'un combat acharné avec lui-même. "J'ai mené, dit-il, une lutte intérieure taraudante pour tenter de résoudre le conflit entre le devoir de vérité auquel j'ai manqué et le souci de remplir les missions qui m'ont été confiées."
Voilà bien un moment rare, voire unique, de notre vie politique. Un gouvernant qui avoue et confesse la mécanique de sa turpitude. Là encore, Jonathan Swift apporte son éclairage en forme d'explication radicale : "Le penchant de l'âme vers la malice est un effet de l'amour-propre." Ce que notre homme politique traduit par "la spirale du mensonge où il se serait fourvoyé".
"Transparence" est le dernier mot employé par l'ancien ministre dans sa supplique, un engagement vers une hypothétique rédemption. Comme en écho, le conseil de Swift est terrible en tout point, car il parle des médias comme de la politique : "La règle de la société est d'inventer chaque jour un mensonge… Il faut qu'il y ait une peine ou amende imposée à quiconque parlera d'autre chose que du mensonge du jour."
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