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Anne Pingeot et François Mitterrand, l'histoire d'un amour caché

Dans "Lettres Ă  Anne", l'ancienne maĂźtresse du prĂ©sident dĂ©voile 1 200 lettres d'amour que ce dernier lui a adressĂ©, et qui dessinent l'autre vie du leader socialiste.

Article rédigé par Marie-Violette Bernard
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Anne Pingeot au Musée Courbet, à Ornans, dans le Doubs, le 25 juillet 2011. (MAXPPP)

François Mitterrand voyait en elle "la chance de sa vie". Anne Pingeot publie, jeudi 13 octobre, un recueil de 1 218 lettres que lui a Ă©crites l'ancien chef de l'Etat, dont elle a Ă©tĂ© l'amante pendant 32 ans. Une publication inattendue, deux dĂ©cennies aprĂšs la mort de celui qu'elle surnommait "Cecchino", "petit François" en italien. Franceinfo retrace l'histoire de la relation entre le prĂ©sident et cette femme qui a toujours voulu rester dans l'ombre, mĂȘme aprĂšs la mort du leader socialiste.

Tombée sous le charme du dirigeant socialiste

La premiÚre fois qu'Anne Pingeot rencontre François Mitterrand, elle a tout juste 14 ans, rappelle Paris-Match. Ses parents, lointains cousins de la famille Michelin, occupent une maison de vacances prÚs d'Hossegor, dans les Landes. Ils deviennent amis avec celui qui n'est encore que député de la NiÚvre. Anne Pingeot, née en 1943, n'a alors que trois ans de plus que le fils aßné des Mitterrand, Jean-Christophe.

François Mitterrand la remarque pour la premiÚre fois alors qu'elle a 18 ans, lors d'une représentation théùtrale. "C'était au tout début des années 1960. AprÚs les parties de golf, on allait prendre l'apéritif chez le pÚre Pingeot, explique Gilbert Mitterrand, l'un des trois fils du chef de l'Etat, au Point. J'ai croisé Anne à ce moment-là (...) De ma vie je n'ai pas dû avoir plus de trois conversations avec elle, sauf le jour des obsÚques."

Anne Pingeot quitte Clermont-Ferrand pour Paris au début des années 1960, le baccalauréat en poche. Elle a une ambition, selon Paris-Match : "Faire des choses décoratives avant de se marier." Mais la jeune femme a besoin de "référents" dans la capitale pour entamer ses études de verrerie. Les Mitterrand acceptent ce rÎle. Anne Pingeot tombe alors sous le charme du leader socialiste. "Il était intéressant", raconte-t-elle au journaliste Philipp Short, dans le livre François Mitterrand, portrait d'un ambigu (éd. du Nouveau Monde) dont L'Express publie des extraits. "Les gens supérieurs vous multiplient la vie par leur savoir."

27 ans de différence d'ùge

Leur histoire d'amour débute en 1963. François Mitterrand a 47 ans, Anne Pingeot 20 seulement. "Ce n'était pas le schéma qui était prévu, explique-t-elle à Philipp Short. C'est une affaire qui m'avait dépassée." Elle devient l'amante du dirigeant socialiste, qui n'envisage à aucun moment de quitter sa femme Danielle. Les amis des Mitterrand y voient une volonté de préserver sa carriÚre politique ou un attachement aux valeurs de la famille. Anne Pingeot a une autre explication.

Il n'abandonnait jamais un choix. Danielle [Mitterrand], c'est un choix qu'il avait fait et il ne l'abandonnerait jamais.

Anne Pingeot

dans le livre "François Mitterrand, portrait d'un ambigĂŒ"

La jeune femme accepte de rester dans l'ombre. Mais elle comprend trĂšs tĂŽt que cette double vie signifie qu'elle doit gagner son indĂ©pendance financiĂšre. EncouragĂ©e par François Mitterrand et par sa passion pour l'art, elle entreprend des Ă©tudes pour devenir conservatrice de musĂ©e. Le candidat Ă  la prĂ©sidentielle l'aide mĂȘme Ă  rĂ©diger sa dissertation sur les "syndicats de communes" entre les deux tours de l'Ă©lection de 1965.

Une référence en histoire de l'art

Anne Pingeot devient en quelques annĂ©es une rĂ©fĂ©rence dans son domaine. "Elle a permis de redĂ©couvrir la sculpture française du XIXe : Degas, Bonnard, Gauguin
", assure une conservatrice du musĂ©e d'Orsay au Journal du dimanche. Elle Ɠuvre pour le projet du MusĂ©e d'Orsay, lancĂ© par l'ancien prĂ©sident de la RĂ©publique, ValĂ©ry Giscard d'Estaing. On lui doit notamment le sauvetage des sculptures des Six Continents, retrouvĂ©es dans une dĂ©charge nantaise, qui trĂŽnent dĂ©sormais sur le parvis de l'ancienne gare, rĂ©vĂšle L'Obs.  

Lorsque le "M'Orsay" est inauguré, le 1er décembre 1986, c'est Anne Pingeot qui fait office de guide. Face à elle, Jacques Chirac, Valéry Giscard d'Estaing et... François Mitterrand, raconte Le Monde. Seuls quelques proches du président sont alors au courant de leur relation.

Valéry Giscard d'Estaing, François Mitterrand et Anne Pingeot (de dos) lors de l'inauguration du Musée d'Orsay, à Paris, le 1er décembre 1986. (DERRICK CEYRAC / AFP)

Anne Pingeot joue-t-elle également un rÎle dans la réfection du musée du Louvre ? La pyramide de la cour Napoléon serait en tout cas un "cadeau de François Mitterrand", toujours selon Le Monde. La conservatrice se rend sur le chantier chaque jour, à pied, pour évaluer l'avancée des travaux. On lui devrait également la restauration du pont Alexandre-III, selon un livre de l'ancien directeur du Louvre, Michel Laclotte.

Mazarine, une "consécration mutuelle"

En parallĂšle, l'idylle prĂ©sidentielle se poursuit. Anne Pingeot n'est la seule amante de François Mitterrand, qui enchaĂźne les conquĂȘtes. La jeune femme ne connaĂźtra, elle, aucun autre homme. "Ni avant, ni aprĂšs. Admirer la personne qu'on aime, c'est un immense bonheur..." explique-t-elle Ă  Philipp Short.Trente-deux ans de vie intense de bonheur... et de malheur ! Parce que c'Ă©tait dur..." L'explication de ce choix se trouve dans ses valeurs catholiques. "Comme pour moi, quand mĂȘme, c'Ă©tait le pĂ©chĂ©, je l'ai compensĂ© par une vie exemplaire selon les valeurs d'autrefois."  

Anne Pingeot n'exige ni le divorce, ni la fidélité. Elle n'a qu'un désir : avoir un enfant. Face à l'ultimatum, François Mitterrand finit par céder. Mazarine Pingeot naßt dans une clinique privée d'Avignon (Vaucluse) le 18 décembre 1974. Hors de question pour le chef de l'Etat de rater cette naissance. "[Mazarine Pingeot] était une consécration mutuelle", estime l'homme d'affaire André Rousselet, proche de François Mitterrand, cité par Paris-Match. "C'est le seul vrai cadeau qu'il m'a fait", abonde, en plaisantant à moitié, Anne Pingeot.

Mazarine Pingeot (à gauche) et sa mÚre Anne lors des funérailles de François Mitterrand à Jarnac (Charente), le 11 janvier 1996. (DERRICK CEYRAC / AFP)

Le chef de l'Etat organise sa vie entre ses deux familles. Il passe Noël, les week-ends et les soirées romantiques avec Anne Pingeot. Le jour de l'An, les dßners entre amis et les événements publics sont réservés à Danielle Mitterrand. L'existence de Mazarine Pingeot ne sera dévoilée au public qu'en 1994, lorsqu'une photo de la jeune femme et de son pÚre est publiée en une de Paris-Match.

"La victoire de 1981 a rendu les choses plus faciles"

Lorsque François Mitterrand est élu à la présidence de la République, le 10 mai 1981, Anne Pingeot craint pour l'avenir de leur relation. "C'est le pire jour de ma vie", lùche-t-elle aprÚs avoir reçu un appel du nouveau chef de l'Etat. "Paradoxalement, la victoire de 1981 a aussi rendu les choses plus faciles", explique pourtant Laurence Soudet, proche collaboratrice de François Mitterrand, au JDD.

La vie d'Anne Pingeot se partage dĂ©sormais entre son appartement de la rue Jacob, dans le 6e arrondissement de Paris, et celui obtenu grĂące Ă  l'ElysĂ©e au quai Branly, oĂč elle retrouve le prĂ©sident presque quotidiennement. Elle refuse toutefois de changer ses habitudes, forçant les policiers chargĂ©s de sa sĂ©curitĂ© Ă  se rendre Ă  vĂ©lo au MusĂ©e d'Orsay chaque matin.

Nous avons fait le contraire des vies normales oĂč l’on commence par une vie en commun et on finit autrement


Anne Pingeot

dans le livre "François Mitterrand, portrait d'un ambigĂŒ"

Cette double vie se poursuit durant quatorze ans, jusqu'Ă  la mort de François Mitterrand, atteint d'un cancer. Anne Pingeot a Ă©tĂ© l'une des premiĂšres au courant de la maladie du tĂ©nor socialiste. Et elle est prĂ©sente jusqu'au dernier jour. InquiĂ©tĂ©e par l'Ă©tat de santĂ© de François Mitterrand, elle appelle le docteur Jean-Pierre Tarot le jour de la mort de l'ancien prĂ©sident, le 8 janvier 1996. "Quand Tarot est arrivĂ©, il m'a dit que je devais partir. Je suis revenue rue Jacob, raconte-t-elle a Philipp Short. [Il] a dĂ» lui donner une injection pour terminer les choses. Donc, Ă  la fois je me sens coupable de l'avoir condamnĂ©, mais en mĂȘme temps il y avait ce refus absolu de devenir inconscient, ce que je comprends."

"La question reste entiĂšre parce qu'Anne Pingeot Ă©tait bien seule avec lui lors des 6-7 derniĂšres heures de sa vie, nuance toutefois le journaliste britannique, interrogĂ© par franceinfo. En mĂȘme temps, [François Mitterrand] avait un cancer du cerveau et on sait que, dans ces cas-lĂ , la mort peut arriver extrĂȘmement vite. On ne sait donc pas s'il a Ă©tĂ© bien aidĂ© Ă  mourir ou s'il est mort naturellement."

"Pour les obsÚques, comment fait-on avec l'autre famille ?"

Deux heures aprĂšs la mort de l'ancien chef de l'Etat, Anne et Mazarine Pingeot quittent son chevet. C'est au tour de Danielle Mitterrand de venir lui dire adieu. "Pour les obsĂšques, comment fait-on avec l’autre famille ?" lui demande AndrĂ© Rousselet, l'Ă©xĂ©cuteur testamentaire de François Mitterrand. L'Ă©pouse du leader socialiste ne veut pas de son amante aux funĂ©railles. "On a discutĂ©, se souvient Jean-Christophe Mitterrand, fils de l'ancien prĂ©sident, dans les pages du JDD. Assez vite il a paru Ă©vident que tout le monde devait ĂȘtre lĂ ."

Les deux familles sont finalement rĂ©unies, le 11 janvier 1996, au cimetiĂšre de Jarnac (Charente). Danielle Mitterrand est entourĂ©e de ses fils, Jean-Christophe et Gilbert. Non loin d'elle, Anne Pingeot tente de rĂ©conforter sa fille Mazarine. C'est l'unique fois oĂč les deux vies de François Mitterrand sont rĂ©conciliĂ©es.

Danielle Mitterrand, Jean-Christophe Mitterrand, Mazarine Pingeot, Anne Pingeot et Gilbert Mitterrand assistent aux obsĂšques de François Mitterrand, le 11 janvier 1996, Ă  Jarnac (Charente). (MAXPPP)

Anne Pingeot est, depuis, retournée dans son anonymat relatif, poursuivant sa carriÚre de conservatrice et enseignant à l'école du Louvre jusqu'à sa retraite en 2011. Elle ne s'est exprimée sur sa relation avec François Mitterrand qu'une seule fois, dans le livre de Philipp Short, en 2015. En publiant cette correspondance, Anne Pingeot révÚle aujourd'hui de nouveaux éléments sur son histoire d'amour avec l'ancien chef de l'Etat. Pas question pour autant de se livrer tout à fait : celle qui a toujours vécu dans l'ombre des Mitterrand n'a pas inclus ses propres lettres dans le recueil Lettres à Anne,1962-1995, publié chez Gallimard.

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