Ecomouv', régiments démantelés, Florange : la Lorraine est-elle condamnée à tout perdre ?
Après ses déboires avec ArcelorMittal, la remise en cause du contrat de la société chargée de gérer l'écotaxe est-elle le dernier mauvais coup à la région ? Tentative de réponse.
"La vallée de la Fensch, ma chérie, c'est le Colorado en plus petit ...", chantait Bernard Lavilliers dans les années 90. Vingt ans plus tard, le cœur d'acier lorrain bat au ralenti. Et la résiliation du contrat Ecomouv', annoncée le 30 octobre par le secrétaire d'Etat aux Transports, Alain Vidalies, menace 210 emplois à Metz. Un nouveau coup dur pour une région ravagée par la désindustrialisation. La Lorraine est-elle condamnée à tout perdre ?
Oui, les difficultés s'accumulent
La résiliation du contrat Ecomouv' par le gouvernement Valls risque de laisser sur le carreau 210 salariés, qui s'interrogent désormais sur leur avenir. Une décision qui intervient deux ans après le refus du Premier ministre de l'époque Jean-Marc Ayrault de nationaliser les hauts fourneaux de Florange, comme le rappelle Le Parisien. Mais elle arrive surtout dans une région qui a perdu des milliers d'emplois avec la modification de la carte militaire en 2008, sous la présidence Sarkozy.
La Lorraine, et plus spécialement la Moselle, a été durement touchée, soulignait L'Obs, en septembre 2008 : "Metz est la ville payant le plus lourd tribut à cette réforme (10% de l'effort national) avec la perte de six unités, dont la base aérienne 128 de Metz-Frescaty (2.502 hommes). Plus généralement, c'est la Moselle dans son ensemble qui est fortement touchée, puisqu'elle perd le 57e régiment d'artillerie de Bitche (1.138 hommes), ainsi que le 13e régiment de dragons parachutistes de Dieuze (913 hommes)".
Joint par francetv info, le président du conseil régional de Lorraine, Jean-Pierre Masseret (PS), relativise. L'élu, qui appartient à la Commission de défense du Sénat, estime qu'on ne peut pas demander à une armée professionnelle "de faire une politique d'aménagement du territoire". Il argue aussi qu'on ne peut "réduire la voilure" là où il n'existe pas de régiments. Or, la Lorraine était, rappelle-t-il, une "zone-frontière", sur laquelle étaient historiquement implantés de nombreux régiments, d'abord par crainte de l'Allemagne, puis de conflit avec le bloc de l'Est.
La décision sur Ecomouv' ? "On peut la regretter, mais ce n'est pas la Lorraine qui est visée", dit-il, soulignant que la résiliation du contrat aurait pu toucher n'importe quel autre territoire.
Non, parce qu'il y a des reconversions
Il y a aussi de bonnes nouvelles, selon Jean-Pierre Masseret. Ainsi, dans le plan des restructurations militaires 2015, la Lorraine perd des postes, mais pas des régiments, comme le souligne Le Républicain lorrain. Et puis, Commercy, par exemple, a réussi sa reconversion après le départ de son régiment.
Sur Florange, épine dans le pied du gouvernement socialiste, "Mittal va recruter du personnel, affirme Jean-Pierre Masseret, dans le cadre de la Vallée européenne des matériaux, de l'énergie et des procédés. Un projet dans lequel Etat et régions doivent investir 300 millions d'euros."
Pour Pascal Raggi, maître de conférences en histoire contemporaine à l'université de Nancy et spécialiste de la désindustrialisation en Lorraine, l'échelon national n'est plus forcément le plus pertinent sur la question de l'emploi. Oui, dit-il, "d'un point de vue historique, il y a eu des mauvais coups de l'Etat", des décisions venues d'en haut dans les années 70 et 80 qui ont contribué à diviser par dix les effectifs dans la sidérurgie. Ils sont passés de 88 000 dans les années 60 à 8 700 en 2000. Mais, souligne-t-il, aujourd'hui, "sous l'impulsion de la région, des industries plus méconnues se sont développées, et notamment l'industrie automobile, dont l'emploi a quadruplé, de 5 000 en 1968 à 20 000 au début du 21e siècle. "
Quant à la sidérurgie, analyse-t-il, il y a évidemment "les promesses non tenues, d'abord sur Gandrange, ensuite sur Florange." Et "une dilution de l'emploi due à une volonté de la compagnie Mittal, confrontée en Moselle à des techniciens bien payés à haute valeur ajoutée, ce qu'elle ne considère pas toujours comme avantageux comparé aux pays en développement ou ex-pays de l'Est." Il existe aussi un phénomène de fond de compression de l'emploi, dû aux avancées de la technologie et de la robotisation : "Dans la zone industrielle Sainte-Agathe, à Florange, dans la filière à froid, des techniciens très qualifiés fabriquent des tôles très performantes, un acier exceptionnel très fin. Beaucoup de grandes marques s'approvisionnent chez eux, comme Opel." Et d'ajouter : "Il s'agit d'un secteur d'avenir mais, du point de vue de l'emploi, cela ne suffit pas".
Non, grâce au Luxembourg
La région est aussi aidée par ses voisins. "Un actif lorrain sur 12 travaille au Luxembourg, explique Pascal Raggi, et plus on se rapproche de la frontière, plus ce fait est vrai. Mais on pourrait inverser la problématique transfrontalière, reconnaître que beaucoup de Lorrains sont bilingues, et capables de travailler hors de nos frontières. Une étude a montré qu'au début du 21e siècle, 45 000 Lorrains ont eu des carrières durables au Luxembourg. Il n'y a pas uniquement des gens sans diplôme qui vont embaucher dans les services, les équipes de nettoyage, mais aussi des cadres, des avocats, etc. Ils bénéficient d'une offre dans le tertiaire supérieur qui n'existe pas en Lorraine."
Le Luxembourg, soupape de la Lorraine ? Jean-Pierre Masseret le reconnaît autrement : "80 000 Lorrains travaillent au Luxembourg. Sans nous, le Grand-Duché ne peut pas se développer." Et d'ajouter : "Il n'existe pas de frontière réelle, il s'agit du même bassin d'emplois." Ce qui aide probablement le président de région à être si accommodant avec les décisions venues de Paris.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.