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Pourquoi les maires écologistes se retrouvent-ils si souvent au cœur de polémiques ?

Le gouvernement ne semble rater aucune occasion pour pointer du doigt les écologistes, dont le chef de file, Yannick Jadot, est l'invité de "Vous avez la parole", jeudi soir sur France 2. Des piques répétées qui traduisent la peur d'être concurrencés dans les urnes, répondent les principaux intéressés. 

Article rédigé par franceinfo, Fabien Jannic-Cherbonnel
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Le succès des écologistes aux municipales de 2020 a propulsé les nouveaux maires verts sous l'œil médiatique et politique. A g. Léonore Moncond'huy (Poitiers) et Jeanne Barseghian (Strasbourg) ; à dr., Pierre Hurmic (Bordeaux) et Grégory Doucet (Lyon). (PIERRE-ALBERT JOSSERAND / FRANCEINFO)

Les menus sans viande à Lyon, une future mosquée à Strasbourg, le sapin de Noël de Bordeaux... Depuis leur élection lors des municipales de 2020, les maires écologistes se retrouvent au centre de la polémique. La dernière en date a été provoquée par la décision de Léonore Moncond'huy, maire Europe Ecologie-Les Verts (EELV) de Poitiers, de couper les subventions de deux aéroclubs. Au centre des critiques, une petite phrase de l'édile suggérant que "l'aérien ne doit plus faire partie des rêves d'enfants".

L'élue s'est aussitôt vue accusée de "totalitarisme" par Valérie Pécresse, présidente de la région Ile-de-France, tandis que le ministre de l'Education nationale, Jean-Michel Blanquer, a qualifié sa décision de "mauvaise écologie, nihiliste qui crée une peur du futur". Des critiques déjà formulées à l'encontre d'autres maires verts, présentés tour à tour comme "dogmatiques", mal préparés au pouvoir ou "sectaires". Pourquoi tant de haine ? Alors que Yannick Jadot est l'invité de "Vous avez la parole", jeudi 15 avril sur France 2, comment expliquer ces controverses successives ?

"Une crainte que les écologistes prennent le pouvoir"

Pour les principaux intéressés, il ne faut pas voir plus loin qu'une stratégie de diabolisation, notamment de la part de membres du gouvernement, prompts à monter au créneau. "Je crois qu'il n'y a pas à chercher dans les sujets eux-mêmes les sources des polémiques, juge le maire de Lyon, Grégory Doucet, auprès de franceinfo. La raison est selon moi assez évidente : la systématisation des critiques, c'est la crainte qu'a En marche de voir monter les écolos dans les sondages." Même son de cloche chez l'eurodéputé Yannick Jadot, qui avait pourtant pris ses distances avec la phrase polémique de la maire de Poitiers et pourrait s'exprimer sur la question lors de l'émission diffusée sur France 2. 

"Ça montre que l'écologie politique est une menace pour le gouvernement. Cette obsession des écologistes, c'est l'hommage du vice à la vertu."

Yannick Jadot

à franceinfo

Il faut dire que les bons résultats d'EELV aux européennes de 2019 (13,47%), ainsi que la conquête de plusieurs grandes villes aux dernières élections municipales, ont mis le parti écologiste au centre de l'attention médiatique. Surtout, EELV est désormais vu par La République en marche et par les fidèles d'Emmanuel Macron comme un concurrent sérieux. "Depuis les municipales, il y a une crainte que les écologistes soient en mesure de prendre le pouvoir, confirme à franceinfo Daniel Boy, directeur de recherche au Cevipof et spécialiste de l'écologie politique. Ils attirent beaucoup d'attention et de critiques. Et c'est d'ailleurs normal."  

L'un des enjeux politiques du moment, explique Vanessa Jérome, chercheuse associée au Centre européen de sociologie et de science politique de Paris 1 et spécialiste des mouvements politiques écologiques, est donc de "s'emparer de la question écologique".

"Nous sommes dans un moment politique où la guerre pour l'écologie, et à l'écologie, a vraiment commencé. Elle est devenue incontournable, via la question climatique."

Vanessa Jérome, chercheuse à l'université Paris 1

à franceinfo

A quelques mois des élections régionales et à un an de la présidentielle, pas question de se laisser dépasser par les Verts sur ce terrain qui "n'est plus le monopole de quelques écolos radicaux", comme l'a affirmé Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué aux Transports, sur RTL. Les partis n'hésitent d'ailleurs plus à s'emparer des questions environnementales dans leurs programmes respectifs.

Nouveaux arrivants en politique

De leur côté, les élus écologistes disent simplement assumer leur programme. "Le monde entier doit s'engager dans une transition écologique qui est synonyme de transformation sociale et sociétale, argumente Grégory Doucet. Mais quand il s'agit de s'attaquer à un sujet, il y a moins de personnes..." En clair, les citoyens ont voté pour "les écologistes, qui appliquent donc une politique écologiste", conclut le maire de Lyon. 

"Ce qui dérange, c'est que nous sommes sur tous les fronts et que nos villes ne s'écroulent pas", affirme Jeanne Barseghian, la maire de Strasbourg, qui se dit "très surprise" par l'intensité de la polémique la concernant à propos d'une subvention à un projet de mosquée. "On déroule nos projets en respectant nos engagements. Alors les opposants vont chercher des petites choses." 

Faut-il voir dans les récentes sorties polémiques une inexpérience des nouveaux élus EELV ? À Lyon, Grégory Doucet n'avait en effet jamais occupé de fonctions électives avant de devenir maire. A Strasbourg, Jeanne Barseghian avait été élue conseillère municipale en 2014 avant d'occuper le fauteuil de maire, mais elle explique "être à la tête d'équipes très largement renouvelées, pour qui c'est le premier mandat"

"J'assume de découvrir la fonction politique. Tout renouvellement implique qu'il y ait une phase d'installation. Nous n'estimons pas avoir la science infuse."

Jeanne Barseghian, maire EELV de Strasbourg

à franceinfo

Les édiles écologistes ne sont cependant pas tous des néophytes. Comme le rappelle Daniel Boy, le parti écologiste avait déjà des élus "dans certaines régions en 1992". Pierre Hurmic, le maire de Bordeaux, qui a fait polémique à l'automne dernier après avoir qualifié les sapins de Noël "d'arbres morts", "n'est pas du tout nouveau à ce jeu-là, il est conseiller municipal depuis 1995", souligne ainsi Vanessa Jérome.

"L'urgence climatique" pour justifier les sorties chocs 

Néanmoins, "être écologiste, c'est avoir un rapport particulier au temps à cause de l'urgence climatique, souligne la chercheuse. Aujourd'hui, les nouveaux maires ont les moyens de réaliser ce que les écologistes essayent de faire depuis des décennies sans y parvenir." En découle une volonté de prendre des décisions rapidement, quitte à ce qu'elles froissent, comme lorsque le maire de Lyon a qualifié le Tour de France de "machiste et polluant". Une position totalement assumée par Grégory Doucet, qui dit refuser "de se taire parce que c'est populaire" avant d'ajouter qu'il n'y "a pas de totems qui ne puissent être questionnés". Selon leurs opposants, les écologistes seraient à ce titre coupés des préoccupations des Français et des Françaises. C'est ainsi ce qui a été reproché à Léonore Moncond'huy après sa déclaration, certains y voyant un affront fait aux "rêves d'enfants"

Dans les faits, si elles sont "logiques d'un point de vue de l'engagement écologique", ces prises de position chocs ne sont pas pour autant populaires, souligne Daniel Boy. La maire de Poitiers a d'ailleurs fini par reconnaître une "maladresse" sur RTL, précisant que ses propos sur "les rêves d'enfants" ont pu susciter de "l'incompréhension". "On doit sans cesse s'améliorer sur les questions de communication, ou plutôt d'explication de nos actions, concède ainsi son homologue de Strasbourg, Jeanne Barseghian. J'ai tendance à être dans l'action, et peut-être qu'il faut que je communique plus, c'est vrai." 

Des polémiques qui polarisent l'électorat

"En politique, les gaffes sont inévitables, notre président en fait fréquemment, contextualise le chercheur Daniel Boy. Mais certaines de ces polémiques sont très malhabiles parce qu'elles renforcent l'idée que l'écologie est un truc de riches, ce qui n'est d'ailleurs pas complètement faux. Ce n'est pas le peuple qui vote vert." L'électorat des écologistes est d'ailleurs plus urbain et éduqué que la moyenne.

Reste que certaines de ces décisions, aussi symboliques soient-elles, peuvent risquer de décourager le vote écologiste. Ces polémiques peuvent "polariser beaucoup" l'électorat, souligne Vanessa Jérome. Au final, ceux qui étaient écolos le sont encore plus, et ceux qui ne l'étaient pas le sont encore moins." Daniel Boy note d'ailleurs que la plupart de ces critiques viennent de la droite, qu'il juge comme "très anti-écologiste et l'opposante principale des écolos".

En face, les écologistes campent sur leurs positions. La base militante des verts, "fondamentale""soutient massivement les nouveaux maires", juge Vanessa Jérome. "Je pense que des polémiques qui consistent à dire 'Regardez les méchants écolos qui font de l'écologie', ne font que renforcer les élus écologistes", martèle Grégory Doucet. Et si l'option écologique déçoit, alors "les Français et les Françaises nous jugeront dans les urnes dans cinq ans", résume la maire de Strasbourg pour qui "la vague verte qui nous a portés n'appartient à aucun parti politique, mais à la société. C'est une lame de fond qui ne s'arrêtera pas". 

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