Affaire Benalla : cinq questions sur les images de vidéosurveillance détournées par des policiers
Mediapart affirme que les vidéos, au centre de l'affaire qui secoue l'Élysée, ont été brièvement diffusées sur les réseaux sociaux par des comptes soutenant l'action du président de la République.
C'est l'affaire dans l'affaire. Les images captées le 1er mai par les caméras de vidéosurveillance installées place de la Contrescapre (5e arrondissement), où l'on aperçoit les événements qui précèdent les faits de violences reprochés à Alexandre Benalla, ont circulé sans autorisation jusqu'au palais de l'Élysée. Mediapart affirme même, jeudi 26 juillet, qu'elles ont été diffusées sur les réseaux sociaux par des comptes favorables à Emmanuel Macron.
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D'où proviennent ces images ? Comment ont-elles circulé de mains en mains ? Que risquent les policiers impliqués ? Franceinfo tente de faire le tour du sujet en cinq questions.
D'où viennent ces images ?
La scène au centre de toutes les attentions a été captée par plusieurs caméras de surveillance installées sur un faux lampadaire situé place de la Contrescarpe, au niveau de la jonction de la rue Mouffetard et de la rue Blainville, dans le 5e arrondissement de Paris, rapporte Mediapart.
Les photographies de ce dispositif montrent que ce lampadaire ne contient pas d'ampoule, mais cinq caméras permettant de filmer à 360 degrés la place où s'étaient rassemblées le 1er mai dernier plusieurs dizaines de personnes pour un "apéro" initié par plusieurs organisations de gauche, en marge du défilé officiel.
Qu'est-ce qu'on y voit ?
Ces caméras sont installées de l'autre côté du lieu où Alexandre Benalla est intervenu pour appréhender les deux manifestants qui ont récemment demandé à être entendues. Elles ont donc pu, depuis un angle opposé, filmer la scène qui s'est déroulée place de la Contrescarpe, mais aussi ce qui s'est passé avant et après l'interpellation musclée.
Alexandre Benalla, qui affirme ne pas avoir visionné ces images, donne toutefois quelques détails sur leur nature dans son entretien au journal Le Monde paru jeudi. Il raconte avoir été contacté par un policier quelques heures après la publication de l'article révélant l'affaire, mercredi 18 juillet, qui lui aurait affirmé détenir "la vidéo du gars et de la fille en train de jeter des projectiles sur les CRS".
Selon Mediapart, des comptes Twitter se présentant comme favorables à Emmanuel Macron ont publié dans la nuit du mercredi 18 au jeudi 19 juillet des extraits des images tournées par ces caméras de surveillance, avant de les supprimer. Une capture d'écran diffusée par le site internet semble toutefois confirmer que les images montrent bien les manifestants, de dos, faire face à la compagnie de CRS qui accompagnait Alexandre Benalla.
Dans la nuit et en début de matinée le 19 juillet, des comptes pro-#Macron diffusent les images, avant de les effacer quelques heures plus tard. Ici, @FrenchPolitic, dont la photo de profil reprend le logo du parti présidentiel, twitte à 3h59. >https://t.co/n3RmSEjM7Q #Benalla pic.twitter.com/RILXOT66TJ
— Mediapart (@Mediapart) 27 juillet 2018
Comment ces images ont-elles circulé ?
C'est la question essentielle, et le degré de précision de la réponse varie selon les sources. Dans son entretien au Monde, Alexandre Benalla affirme avoir été contacté le 18 juillet vers 22 heures par "quelqu'un à la préfecture de police" qui lui a proposé de lui transmettre l'extrait tiré de la vidéosurveillance afin d'organiser sa défense. Il raconte avoir accepté cette proposition, et avoir reçu quelques instants plus tard un CD contenant la vidéo, là aussi des mains de "quelqu'un". Le jeune chargé de mission assure toutefois n'avoir jamais regardé ces images.
Ce CD, je ne le regarde pas et je le remets à l’Élysée à un conseiller communication.
Alexandre Benallaau Monde
Mediapart livre une version des faits plus détaillée. Selon le site internet, trois fonctionnaires de police ont reconnu s'être concertés pour transmettre les images à Alexandre Benalla lorsque l'affaire a éclaté. Il s'agit du commissaire Maxence Creusat, qui se trouvait place de la Contrescarpe au moment des faits, du contrôleur général Laurent Simonin, rattaché à la Direction de l’ordre public et de la circulation (DOPC), et Jean-Yves Hunault commissaire chargé d'"assurer la liaison entre la préfecture et l’Élysée".
Entendu mercredi 25 juillet par la commission d'enquête du Sénat, le préfet de police, Michel Delpuech, a indiqué avoir été informé de ces faits par le directeur de la DOPC le 19 juillet, aux alentours de 14 heures. Après avoir demandé un "rapport écrit" aux fonctionnaires de police impliqués, il contacte le procureur de la République et le ministre de l'Intérieur. Cette démarche a conduit à l'ouverture d'une enquête préliminaire, à la suspension des trois policiers, et au licenciement d'Alexandre Benalla.
Qu'a fait l'Élysée de ces images ?
Contacté par franceinfo, l'Élysée a confirmé jeudi qu'Alexandre Benalla avait remis le fameux CD contenant les images de vidéosurveillance à Ismaël Emelien, un proche conseiller du chef de l'Etat. "L'Élysée a eu un doute sur l'origine de ce document, et le directeur de cabinet a, dès le 20 juillet, procédé à un signalement auprès du procureur en signalant les faits. Nous n'avons pas gardé de copie de ces images", a ajouté la présidence de la République.
L'article publié jeudi par Mediapart suggère toutefois que cette vidéo a pu quitter l'enceinte du palais présidentiel pour arriver au sein de cercles militants. Le site d'information rapporte en effet que durant la nuit qui a suivi la remise des images à Alexandre Benalla, plusieurs comptes Twitter soutenant l'action du président de la République en ont diffusé des extraits avant de les supprimer.
Dans son entretien au Monde, Alexandre Benalla déclare croire que l'Élysée a essayé de "diffuser [cette vidéo] et de la fournir à des gens, pour montrer la réalité des faits". Contacté à nouveau vendredi par franceinfo, l'Élysée ne commente pas ces informations et renvoie à la procédure judiciaire en cours.
Que risquent les protagonistes ?
Obtenir et faire circuler des images de vidéosurveillance sans autorisation est illégal. Les trois policiers ont ainsi été suspendus et mis en examen pour violation du secret professionnel et détournement d'images issues d'un système de vidéoprotection. Selon les articles 226-13 et 226-21 du Code pénal, le premier chef de mise en examen est passible d'une peine d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende, et le second de cinq ans d'emprisonnement et de 300 000 euros d'amende.
Outre l'enquête portant sur les faits de violence et le port illégal d'insignes de police, Alexandre Benalla est lui aussi mis en examen pour recel de violation du secret professionnel et recel de détournement d'images issues d'un système de vidéoprotection. Selon l'article 321-1 du Code pénal, le recel est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 375 000 euros d'amende.
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