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Affaire Benalla : quatre questions pour comprendre le rôle de la commission d'enquête de l'Assemblée qui va auditionner Gérard Collomb

Les députés de l'opposition ont obtenu que la commission des lois de l'Assemblée nationale se transforme en commission d'enquête. Elle disposera d'un mois pour tenter d'éclaircir le rôle ambigu d'Alexandre Benalla lors des manifestations du 1er-Mai. 

Article rédigé par franceinfo - Juliette Campion
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Emmanuel Macron accompagné d'Alexandre Benalla, lors du défilé militaire du 14-Juillet 2018 à Paris.  (PHILIPPE WOJAZER / AFP)

La réforme constitutionnelle éclipsée par l'affaire Benalla. Depuis les révélations sur le "monsieur sécurité" d'Emmanuel Macron, l'hémicycle de l'Assemblée nationale a totalement délaissé l'examen de ce projet pour débattre de ce que certains dans l'opposition qualifient de "scandale d'Etat".

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Les députés se sont mis d'accord, jeudi 19 juillet, pour doter la commission des lois des pouvoirs d'enquête sur cette affaire. Ses auditions commencent ce lundi 23 juillet, avec le ministre de l'Intérieur, Gérard Collomb, à 10 heures et le préfet de police, Michel Delpuech, à 14 heures. Voici ce qu'il faut savoir sur les pouvoirs de cette commission d'enquête.

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Comment s'organise cette commission ? 

Habituellement, une commission d'enquête ne peut être lancée qu'à l'initiative d'un ou plusieurs députés, pour une durée de six mois maximum au Palais Bourbon. Mais celle mise en place dans l'affaire Benalla est un peu particulière, car une telle commission ne peut habituellement pas être créée lors d'une session extraordinaire de l'Assemblée, comme c'est le cas actuellement. 

Comme l'explique Mediapart (article abonnés), à l'issue d'une "réunion à huis-clos" avec le président de l'Assemblée, François de Rugy, les présidents de groupes ont obtenu, jeudi, que la commission des lois soit dotée de prérogatives d'enquête. La proposition a été faite par le député socialiste des Landes Boris Vallaud, qui a exhumé une ordonnance du 17 novembre 1958 permettant cette procédure. L'utilité ? "Gagner du temps" et ne pas attendre une nouvelle session parlementaire, résume Jean-Christophe Lagarde, député de Seine-Saint-Denis et président du groupe UDI, Agir et Indépendants à l'Assemblée, à franceinfo. 

Ce sont donc les membres permanents de la commission des lois, présidée par la députée La République en marche (LREM) Yaël Braun-Pivet, qui sont chargés de l'enquête, en parallèle de celle lancée par les sénateurs. Cette commission est composée de 45 élus de la majorité (39 LREM et 6 MoDem), ainsi que de 13 députés du groupe LR, cinq de l'UDI, quatre de la Nouvelle Gauche, deux de la Gauche démocratique et républicaine, deux de la France insoumise et deux non-inscrits.

A quoi va-t-elle servir ?

"Le but n’est pas de faire justice à la place des juges", résume Valérie Rabault, présidente du groupe Nouvelle gauche, à franceinfo. "L'objectif est d'établir la vérité des faits", "a priori et a posteriori" des évènements, sans "faire une enquête judiciaire", a insisté la députée LREM Yaël Braun-Pivet, corapporteure avec Guillaume Larrivé (LR) de la commission à l'Assemblée. L'avis de la garde des Sceaux, Nicole Belloubet, a été sollicité pour fixer le champ des investigations, comme le prévoit une ordonnance de 1958.

Quand on fait une commission d’enquête à l’Assemblée nationale, c’est pour identifier si oui ou non il y a eu des dysfonctionnements dans nos institutions.

Valérie Rabault, présidente du groupe Nouvelle gauche

à franceinfo

Pour Jean-Christophe Lagarde, membre permanent de la commission des lois, "le but est de savoir tout ce qui s’est passé le 1er mai avec Benalla et pourquoi il n'a pas été écarté de l'Elysée après le tabassage des manifestants". "Nous allons fonctionner comme une enquête policière classique, en entendant toutes les parties prenantes de l'affaire", précise le député à franceinfo. "Nous devons être éclairés, nous ne pouvons pas rester dans le brouillard, il est indispensable de savoir ce qui est arrivé le 1er mai", explique David Habib, député socialiste et membre de la commission d'enquête au Figaro

Mais les membres de la commission vont devoir être efficaces car ils ne disposent que d'un mois pour produire leur rapport : "Moi, ça me paraît trop court", lâche Jean-Christophe Lagarde. Et de préciser : "Ca ne veut pas dire qu’on ne peut pas avoir les principales auditions d’ici mi-août, mais couvrir l'ensemble des événements du 1er mai me semble compliqué"

Comme pour ses précédentes enquêtes sur Lactalis et la sûreté des infrastructures nucléaires, la commission des lois rendra un rapport qui jouira, sans doute, d'une forte visibilité médiatique. Ses conclusions ne seront, toutefois, pas contraignantes, comme le rappelle Le Monde, qui expliaue : "Les commissions d’enquête sont souvent bien trop encadrées par le pouvoir en place pour pouvoir réellement aboutir à quelque chose de tangible." En cas de découverte de faits délictueux, elle pourra tout de même transmettre les informations recueillies au ministère de la Justice ou saisir directement le parquet.

Qui va être auditionné ? 

La commission des lois dispose d'importants pouvoirs et peut convoquer toute personne qu'elle estime liée à l'enquête. Les personnes sollicitées doivent se rendre à leur convocation, si besoin contraintes par huissier ou par la force publique. Elles sont entendues sous serment, et doivent respecter le secret professionnel. Les sanctions prévues en cas de faux témoignage ou de subornation de témoin sont applicables. Fait exceptionnel, un pneumologue, Michel Aubier, a été condamné début juin à six mois de prison avec sursis et 50 000 euros d'amende pour avoir menti, en 2015, sur ses liens avec Total, devant une commission d'enquête du Sénat consacrée à la pollution de l'air.

Le fait de parler sous serment est une contrainte forte : il n’y a pas d’autres procédures comme celle-ci, hors procédure judiciaire.

Jean-Christophe Lagarde

à franceinfo

Sur l'agenda de la commission figure pour l'instant le ministre de l'Intérieur, Gérard Collomb, auditionné ce lundi, quelques heures avant le préfet de police, Michel Delpuech. Mais d'autres personnalités sont attendues : chaque groupe parlementaire a fourni la liste des personnes qu'ils souhaitent voir auditionnées. "Tout le monde veut entendre Alexandre Benalla et Vincent Crase, affirme Jean-Christophe Lagarde, mais la majorité s'oppose à certaines auditions."

La présidente de la commission, Yaël Braun-Pivet, a proposé d'auditionner un certain nombre de responsables policiers ainsi que le directeur de cabinet du président de la République, Patrick Strzoda, et le responsable du Groupe de sécurité de la présidence de la République, le colonel Lionel Lavergne. Pas assez pour le corapporteur Guillaume Larrivé, qui souhaite également l'audition de responsables LREM, comme son délégué général, Christophe Castaner, et de plusieurs cadres de l'Elysée, notamment le secrétaire général Alexis Kohler, et le porte-parole, Bruno Roger-Petit.

On a peur que les députés LREM limitent les auditions aux personnes qui leur semblent aptes à venir apporter les bons éléments de langage et éviter que, des contradictions, naisse la vérité.

un député socialiste

à franceinfo

Autre point de désaccord de la commission d'enquête : la nécessité, ou non, du huis-clos pour la totalité des auditions. La majorité souhaitait, en effet, que seule l'intervention de Gérard Collomb soit publique. Une proposition qui a suscité un tollé au sein de l'opposition. Guillaume Larrivé, corapporteur de la commission a ainsi vivement défendu la retransmission télévisée des débats au nom d'une "exigence démocratique". 

Le groupe majoritaire LREM a finalement accepté la publicité des autres auditions à venir, avec des exceptions en particulier sur les questions de "sûreté de l'Etat". La majorité "fait tout pour verrouiller les auditions et protéger l'exécutif", s'agace Jean-Christophe Lagarde. 

Quels sont les principaux sujets qui vont être abordés ? 

Le témoignage de Gérard Collomb, mis au courant de l'affaire dès le 2 mai, est particulièrement attendu dans ce dossier très délicat pour le gouvernement. "On va notamment essayer de savoir pourquoi il a dit, cette semaine au Sénat, qu’il allait faire ouvrir une enquête à l’IGPN alors qu’il l'avait déjà fait au mois de mai et l'avait classée sans suite", annonce Jean-Christophe Lagarde. 

"On va chercher à comprendre comment Alexandre Benalla a pu obtenir un casque de police ainsi qu’un brassard, s’il était mandaté par quelqu’un, s'il a eu l’autorisation du ministère de l’Intérieur, et si oui, pourquoi ?" résume la présidente du groupe Nouvelle gauche, Valérie Rabault. 

Pourquoi Alexandre Benalla était-il présent le 1er mai ? Beauvau était-il au courant ? Qui a informé le ministre des violences commises place de la Contrescarpe ? La préfecture de police de Paris ? L'Elysée qui a rapidement été mis au courant ? Un autre canal ? Dans un milieu censé être très hiérarchisé, la question a son importance. Pourquoi l'exécutif pas réagi plus tôt ? Selon l'article 40 du code de procédure pénale, le procureur de la République aurait dû être saisi pour ces faits mais aucun membre de l'exécutif ne l'a fait, ce qui fait dire à l'opposition que le pouvoir a cherché à étouffer l'affaire. Autant de questions qui attendent le ministre de l'Intérieur.

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