Procès d'Alexandre Benalla : qu'est devenu l'ancien chargé de mission depuis son départ de l'Elysée en 2018 ?
Alexandre Benalla est jugé devant le tribunal de grande instance de Paris notamment pour "violence en réunion" et "port d'arme", du 13 septembre au 1er octobre 2021.
Trois ans après la déflagration de l'affaire Benalla, l'ancien chargé de mission de l'Elysée a rendez-vous avec la justice. Alexandre Benalla comparaît devant le tribunal de grande instance de Paris, notamment pour "violence en réunion" et "port d'arme", du 13 septembre au 1er octobre. Dans un second volet du procès, il devra également répondre de "faux, usage de faux en écriture et usage public sans droit d'un insigne" pour avoir continué à voyager avec des passeports diplomatiques plusieurs mois après son licenciement.
Mais qu'a fait Alexandre Benalla ces trois dernières années ? Rembobinons. Le 18 juillet 2018, Le Monde identifie le chargé de mission de l'Elysée, casque des forces de l'ordre sur la tête, sur des images datant du 1er mai, en train de molester deux personnes, place de la Contrescarpe à Paris. Le lendemain, le parquet de Paris ouvre une enquête préliminaire. Le 20 juillet 2018, l'Elysée annonce finalement avoir engagé une "procédure de licenciement" à son encontre. Alexandre Benalla est placé en garde à vue le même jour, jusqu'au lendemain.
"J'aurais pu me terrer en Normandie"
Après cet épisode sulfureux, la polémique enfle dans les médias et l'opposition monte au créneau contre la gestion de l'Elysée. Cette agitation n'arrête pas Alexandre Benalla. "Je me suis retrouvé licencié de la présidence de la République le 31 juillet 2018, au 1er août j'étais à Pôle emploi que je voulais quitter au plus vite, alors que j'aurais pu me terrer en Normandie à vivre pendant deux ans de mes indemnités", raconte l'ancien chargé de mission au Nouvel économiste en juillet 2019.
En réalité, Alexandre Benalla, qui n'a pas répondu à nos sollicitations, fait rapidement jouer son réseau. Plusieurs intermédiaires d'affaires, aux pratiques souvent controversées, accueillent l'ancien proche d'Emmanuel Macron à bras ouverts. Première destination : le Maroc. "Je l'ai invité à se refaire une santé chez moi", raconte au Monde Vincent Miclet, un homme d'affaires français installé à Marrakech, suspecté d'avoir détourné 400 millions de dollars en Angola.
Au programme de ces quelques jours dans le luxuriant "domaine du Cheval d'or" : piscine, tennis et affaires. Dès ses premiers mois loin de l'Elysée, Alexandre Benalla prépare sa reconversion dans le privé. Son apprentissage se poursuit auprès d'un autre intermédiaire entre la France et l'Afrique, Philippe Hababou Solomon, ancien proche, selon L'Express, de Bernard Tapie, de l'ancien patron d'Elf Loïk Le Floch-Prigent et des ex-présidents de Centrafrique et d'Afrique du Sud.
Tournée africaine
Dès l'automne 2018, Alexandre Benalla fait le tour de la planète avec l'intermédiaire de 35 ans son aîné. Ils visitent la Turquie, Israël, mais surtout une partie de l'Afrique. Congo, Cameroun, Tchad… Dans ces pays, les deux hommes accompagnent des délégations lors de missions de conseil sur la cybersécurité, mais aussi le textile ou l'électricité, selon l'intermédiaire. "Je l'ai pris en apprentissage non pas parce que c'est Benalla, mais parce qu'il est brillant, explique Philippe Hababou Solomon au Monde. Il peut m'être d'une grande aide car il connaît les rouages d'un Etat."
"Pour moi, la Françafrique n'est pas un gros mot. L'économie est une affaire de relations, d'hommes et de connaissances."
Alexandre Benallaau "Nouvel économiste"
Cet apprentissage express permet surtout à Alexandre Benalla de concrétiser au plus vite son projet : créer une société de conseil en sécurité en Afrique. C'est chose faite en novembre 2018 avec Comya, une SARL fondée au Maroc. "Comya peut s'entendre de deux façons. La première est la dimension géographique signifiée par "mya" pour Moyen-Orient et Afrique. La deuxième est plus personnelle, Myriam étant le prénom de mon épouse", raconte Alexandre Benalla. Pour financer l'entreprise, il peut compter sur ses nouveaux amis. Vincent Miclet lui a prêté 50 000 euros et Philippe Hababou Solomon 15 000 euros, selon l'ancien chargé de mission.
Passeport diplomatique
Cette "diplomatie privée" ne tarde pas à agacer au plus haut niveau de l'Etat français. "S'agissant de vos activités personnelles actuelles, nous vous demandons de veiller qu'elles soient conduites dans le strict respect des obligations de secret et des devoirs déontologiques liés à l'exercice de vos fonctions passées", écrit Patrick Strzoda, directeur du cabinet du président de la République, à Alexandre Benalla, fin décembre 2018. Le même jour, Emmanuel Macron est au Tchad pour rencontrer le président Idriss Déby, qui avait reçu Alexandre Benalla quelques semaines plus tôt. Un mélange des genres qui préoccupe l'Elysée.
A la fin du mois de décembre 2018, l'affaire prend une nouvelle tournure. Mediapart révèle qu'Alexandre Benalla réalisait ses nombreux voyages avec un passeport diplomatique, malgré son limogeage de l'Elysée. Une enquête est ouverte par le parquet de Paris dans la foulée.
Ces nouvelles révélations ne freinent pas les ambitions d'Alexandre Benalla. Quelques mois plus tard, en juillet 2019, il assure que Comya emploie cinq salariés à temps plein et qu'elle lui a rapporté 450 000 euros en 2018. Des informations impossibles à vérifier. "Le but de Comya est d'être présent dans les 54 pays d'Afrique", clame au Nouvel économiste le jeune homme reconverti en businessman.
Un "troll" sur Twitter
Un an après le début de l'affaire Benalla, le principal intéressé ne compte pas se faire discret, malgré les ennuis judiciaires qui s'accumulent. Pour continuer à peser dans le débat public, il ouvre un compte Twitter sur lequel il n'hésite pas à jouer au "troll" et à égratigner des personnalités politiques, à l'exception du chef de l'Etat, auquel il reste fidèle, même si les deux hommes ne communiquent plus. "Je propose un octogone", lance-t-il par exemple à l'ancien champion de MMA brésilien Renzo Gracie après une menace contre Emmanuel Macron.
Sur le réseau social, une rumeur naît à l'automne 2019 : Alexandre Benalla serait en train de préparer sa campagne pour les élections municipales à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Balade dans la ville, selfies avec les habitants… "J'étais Johnny Hallyday au milieu du Stade de France", commente l'ancien chargé de mission auprès du Figaro, tout en entretenant le flou sur sa candidature. Un coup de bluff. Les élections municipales se déroulent sans lui.
"Ce qu'ils ne veulent pas que je dise"
En novembre 2019, Alexandre Benalla réserve une nouvelle surprise qui va faire encore parler de lui. La sortie d'un livre, mystérieusement intitulé Ce qu'ils ne veulent pas que je dise (Ed. Plon, 2019). Une menace pour Emmanuel Macron ? Pas vraiment. "Son livre, ce n'est pas celui de Trierweiler ou de Davet et Lhomme sur Hollande, hein !" se rassure un conseiller du président au Parisien. Seules quelques anecdotes retiennent l'attention des médias et du public.
A côté de ça, Alexandre Benalla continue d'étendre son influence au Maroc. Mi-novembre 2019, il est invité pour parler cybersécurité lors des MEDays de Tanger, un forum international de géostratégie organisé par l'Institut Amadeus. Toujours un pied au Maroc et un pied en France, il vit entre les deux pays et n'oublie pas de se rappeler, de temps en temps, au bon souvenir des personnalités politiques françaises qu'il a côtoyées.
Nouveau pied de nez en février 2020 avec une autre personnalité sulfureuse en rupture avec La République en marche. Le député Joachim Son-Forget veut prendre Alexandre Benalla comme assistant parlementaire et fait une demande de badge pour qu'il puisse accéder à l'hémicycle, révèle Le Point. Une nouvelle provocation des deux hommes en écho à la polémique autour du badge dont disposait Alexandre Benalla pour accéder à l'Assemblée. La demande est rejetée en raison de la non-compatibilité de ce droit d'entrée avec ses fonctions dans le privé.
D'ailleurs, qu'en est-il vraiment des activités de son entreprise ? En 2019, Alexandre Benalla montrait un appétit sans limite pour Comya et vantait son ancrage au Maroc afin de développer sa présence sur le continent. "Comment en effet accompagner des sociétés en Afrique sans y être soi-même implanté ?" s'interrogeait-il dans le Nouvel économiste, avant d'évoquer une ambition chiffrée à plusieurs centaines de millions d'euros dans les dix ans à venir.
S'il est impossible de connaître le chiffre d'affaires réel de l'entreprise, il semble que tout ne se soit pas passé comme prévu. La société Comya n'est pas restée longtemps au Maroc. Alexandre Benalla a d'abord tenté de délocaliser l'entreprise à Genève. "Quand on veut avoir une dimension internationale, on est plus crédible quand on est en Suisse qu'au Maroc", explique-t-il en janvier 2020 à Technikart. C'est finalement en France que l'entreprise renaît le 23 octobre 2020. Pour quel bilan ? "Cette frénésie de rendez-vous dans les bars des grands hôtels parisiens n'a (...) débouché sur aucune opération concrète à ce jour, malgré de nombreuses déclarations tonitruantes dans la presse", analyse le média Africa Intelligence, en décembre 2020.
De nombreuses procédures en cours
Une autre structure montée par Alexandre Benalla interroge. Il s'agit de l'institut Vidocq, du nom de cet aventurier français, successivement délinquant, bagnard, évadé et à la tête d'un service de police et d'une agence de détectives privés au XIXe siècle. Officiellement, il s'agit d'une "plateforme de réflexion, de propositions et d'expérimentations consacrée aux politiques de sécurité globale", qui "réunit des personnalités de haut niveau", selon son site. Créé en mai 2020, le groupe n'a rendu aucun rapport public.
Alexandre Benalla s'est aussi fait plus discret ces derniers mois. Le "troll du quinquennat" évite désormais les provocations et se limite à quelques commentaires d'actualité sur Twitter et des photos de voyages sur Instagram. Il faut dire que l'ancien chargé de mission doit se préparer pour les échéances judiciaires à venir.
En plus du procès qui s'ouvre lundi, trois autres procédures judiciaires le concernant sont toujours en cours. L'une porte sur des soupçons de "corruption" dans un contrat entre l'entreprise de Vincent Crase, Mars, et un sulfureux oligarque russe. Une deuxième concerne le mystérieux coffre-fort qu'il possédait à son domicile. Enfin, la troisième vise des soupçons de "faux témoignage" devant la commission d'enquête du Sénat.
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