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Emmanuel Macron veut "emmerder" les non-vaccinés : "Ça ne peut que braquer", déplore un politologue

Quatre jours après des voeux présidentiels placés sous le signe de la réconciliation nationale et de l'unité du pays, le président provoque les non-vaccinés. Un message "contreproductif" qui risque "d'accroître les tensions", selon Jérôme Fourquet.

Article rédigé par franceinfo
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Emmanuel Macron, le 4 décembre 2021. (THOMAS SAMSON / AFP)

"Ça ne peut faire que braquer une partie non négligeable de ces non-vaccinés qui se sentent acculés (...) et puis, ça peut aussi accroître les tensions au sein de la société française entre non-vaccinés et vaccinés", analyse le politologue, directeur du département Opinion à l'institut de sondages Ifop, Jérôme Fourquet, mercredi 5 janvier sur franceinfo, au lendemain des déclarations d'Emmanuel Macron dans Le Parisien [article payant], décidé à "emmerder" les non-vaccinés "jusqu'au bout".

franceinfo : Que cherche à faire Emmanuel Macron avec cette phrase ?

Jérôme Fourquet : Emmanuel Macron a en tête certains chiffres. D'abord le nombre tout à fait impressionnant de vaccinés dans la population, plus de 90 %, donc, il a une grande majorité, si je puis dire, un peu derrière lui. Il a sans doute également des enquêtes qui montrent qu'une large majorité de Français approuvent le pass vaccinal. Il sait également que ce taux de vaccination et cette approbation de la politique vaccinale est maximale dans son propre électorat. Donc il s'adresse à son électorat qui est un peu un électorat de bons élèves qui ont joué le jeu, qui commencent à perdre patience face à cette épidémie et qui fustigent quelque part l'attitude des personnes qui ne veulent pas se faire vacciner.

"Très clairement, le premier objectif est de parler à son électorat. Le deuxième objectif, de créer un clivage ou un affrontement avec des adversaires qu'il aura lui-même choisis."

Jérôme Fourquet, directeur du département Opinion à l'institut de sondages Ifop

à franceinfo

Les premiers à être montés au créneau hier soir sont Marine Le Pen, Éric Zemmour et Jean-Luc Mélenchon. C'est la volonté d'installer ce clivage entre ceux qu'en "Macronie" on appelle les progressistes, le camp de la raison, et les populistes. On avait déjà eu le même type d'altercations d'opposition il y a quelques jours seulement, au moment de la polémique sur la présence du drapeau européen sous l'Arc de Triomphe.

Est-ce une bonne méthode pour convaincre les réfractaires à se faire vacciner ?

C'est contreproductif, je pense. Le message est très fortement brouillé. On a plus de 12 millions de nos concitoyens qui ont écouté les vœux du président de la République, il y a quatre jours, placés sous le signe de la réconciliation nationale et de l'unité du pays. Là, il y a dans la phrase exacte "les non-vaccinés, j'ai très envie de les emmerder", une intention tout à fait revendiquée. À mon avis, ça ne peut faire que braquer une partie non négligeable de ces non-vaccinés qui se sentent acculés, qui se sentent pointés du doigt comme des citoyens de seconde zone et puis, ça peut aussi accroître les tensions au sein de la société française entre non-vaccinés et vaccinés. On rappellera aussi que le président de la République a été confronté lui-même à des scènes ou des gestes violents lors d'un certain nombre de ses déplacements et tout cela n'est sans doute pas exactement le fait du hasard. On revient dans un climat extrêmement tendu où l'attitude du président peut susciter ce type de réactions qui sont tout à fait regrettables.

Quelles seront les conséquences de cette sortie, selon vous ?

Là où je pense qu'il y a un véritable risque, ce n'est pas forcément un risque électoral, ce n'est pas forcément un risque en termes de stature présidentielle parce que, bien évidemment, un président en exercice devrait surveiller son langage, notamment dans une interview qui a sans doute été lue et relue. Non, là où je suis plus inquiet, c'est que parmi les 10 % de Français qui aujourd'hui ne sont pas vaccinés, dans la population éligible, nous avons une partie de ce public qui s'est fortement braquée ces derniers mois, qui se sent acculée, qui est bunkérisée. On a vu des propos et des comportements assez véhéments et virulents sur les réseaux sociaux, dans certaines manifestations, et nous avons également assisté à un certain nombre de menaces en rafale qui ont visé des élus, souvent de La République en marche. Et parfois même ces menaces ont été mises à exécution puisque le député LREM de l'Oise Pascal Bois a vu son garage être incendié. Dans ce contexte-là - sans jeu de mots - très inflammable, les propos du président de la République peuvent quelque part chauffer à blanc une partie des personnes non vaccinées qui peuvent prendre cela comme une espèce d'ultime provocation ou une déclaration de guerre. Cet été, alors que nous n'étions pas habitués à cela, nous avons eu des manifestations importantes. 200 000 personnes ont défilé contre le pass sanitaire, début août. Il y a sans doute des manifestations en préparation. Et les propos du président de la République, s'ils peuvent avoir une certaine cohérence sur le plan de la tactique électorale, recèlent une prise de risque sur le front de la sécurité et notamment de la sécurité d'un certain nombre d'élus.

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