Partenariats, Françafrique "révolue", discussions tendues en RDC : ce qu'il faut retenir de la tournée d'Emmanuel Macron en Afrique centrale
Il était parti pour nouer "une nouvelle relation" avec les pays d'Afrique centrale. Le président Emmanuel Macron a conclu samedi 4 mars sa série de visites au Gabon, en Angola, au Congo-Brazzaville et en République démocratique du Congo (RDC). Durant ces quatre jours, le chef de l'Etat a voulu aborder le "futur" du partenariat Afrique-France, à travers divers domaines comme la sécurité, la diplomatie et l'écologie.
Cependant, le passé a plusieurs fois ressurgi lors des échanges avec ses homologues, malgré sa volonté de chasser les fantômes de la Françafrique. Franceinfo revient sur cette tournée africaine.
Gabon : les forêts tropicales et... Ali Bongo au menu
Arrivé au Gabon jeudi, Emmanuel Macron a participé au One Forest Summit à Libreville, qui réunissait plusieurs chefs d'Etat africains autour de la préservation des forêts tropicales. "Nous allons mettre 100 millions d'euros additionnels à disposition des pays qui souhaitent accélérer leur stratégie de protection des réserves vitales de carbone et de biodiversité", a promis le président français, qui réclame "plus d'engagement politique" des pays africains en échange de financements.
Mais le "plan d'action" écologique d'Emmanuel Macron n'était pas le seul sujet abordé lors de son étape gabonaise. Accusé, avec cette visite, de soutenir indirectement le président sortant, Ali Bongo, candidat à sa réélection cette année, il s'est vivement défendu. "Je ne suis venu investir personne. Je ne suis venu témoigner que mon amitié et ma considération à un pays et un peuple frère", s'est-il justifié, après avoir assuré que l'ère de la "Françafrique" était "révolue".
"Je ne suis venu investir personne. Je ne suis venu témoigner que mon amitié et ma considération à un pays et un peuple frère" précise Emmanuel Macron, en visite au Gabon.
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Interrogé sur la réduction de la présence militaire française en Afrique, Emmanuel Macron a assuré qu'elle ne constituait "ni un retrait, ni un désengagement". Il s'agit plutôt d'une façon de s'adapter à certaines luttes, contre le trafic de stupéfiants ou la piraterie par exemple.
Priorité à l'agriculture et au "made in Africa" en Angola
Pour Emmanuel Macron, l'Angola doit devenir un partenaire majeur de la France en Afrique. A Luanda, la capitale du pays, il a participé vendredi à un forum économique axé sur l'agriculture, aux côtés d'une cinquantaine d'entreprises françaises. Pas question de "venir plaquer des solutions toutes faites", a assuré le président français, qui a appelé à une coopération "respectueuse" afin de permettre à l'Angola, grand importateur de produits alimentaires, d'atteindre la souveraineté dans ce domaine.
"Ça correspond à l'idée que je me fais du partenariat économique entre le continent africain et la France", a-t-il détaillé devant l'auditoire, avant de vanter les mérites du "made in Africa" ("fabriqué en Afrique"). Des accords de coopération pour renforcer la filière agricole angolaise ont été conclus, notamment à travers une aide de l'Agence française au développement chiffrée à 200 millions d'euros qui, souligne RFI, doit servir à financer un programme de "résilience climatique".
En parallèle de ce forum, Emmanuel Macron a rencontré son homologue angolais, Joao Lourenço, dont il a loué l'engagement "pour la stabilité de la région", en particulier sa médiation dans le conflit qui oppose le Rwanda et la République démocratique du Congo autour de la région congolaise du Nord-Kivu.
Une escale express à Brazzaville
L'étape était prévue comme complexe, presque dissonante au regard de la politique étrangère défendue par Paris. La visite d'Emmanuel Macron au Congo-Brazzaville, vendredi, a logiquement été la plus courte de sa tournée. Le pays est dirigé depuis près de 40 ans par un seul et même homme, le président Denis Sassou Nguesso, que le locataire de l'Elysée a brièvement rencontré.
A la veille de l'arrivée d'Emmanuel Macron à Brazzaville, des organisations congolaises de défense des droits de l'homme avaient exposé dans une déclaration jeudi leurs préoccupations, demandant au président français de les relayer auprès de son homologue. Dans leur déclaration, les ONG déploraient notamment le "rétrécissement de l'espace civique", les disparitions forcées, les exécutions sommaires et les prisons "mouroirs"...
La nature des discussions entre les deux hommes n'a pas filtré. Le chef de l'Etat a concédé s'être arrêté au Congo "parce qu'il ne faut humilier personne quand on fait une tournée", même si ses interlocuteurs ne sont pas toujours élus au "meilleur standard démocratique". Sa visite a en tout cas été jugée trop courte par ses hôtes.
Des échanges tendus et une rencontre discrète en RDC
Le dernier segment du voyage officiel d'Emmanuel Macron s'annonçait le plus compliqué. En République démocratique du Congo, samedi, il "a dû défendre une position d'équilibriste entre la RDC et le Rwanda à propos de la crise dans l'est du pays" décrit à franceinfo François Soudan, directeur de la rédaction du journal Jeune Afrique. "Pour faire simple, le président congolais reproche à la France de ne pas condamner clairement ce qu'il appelle 'l'agression rwandaise' et Macron préfère se placer en arrière-plan des médiations régionales de l'ONU", détaille le spécialiste.
Lors du point-presse commun des deux dirigeants, le président de la RDC, Félix Tshisekedi, a tenu à dénoncer l' "agression injuste et barbare" du Rwanda dans l'est du pays. "Le pillage à ciel ouvert de la République démocratique du Congo doit cesser. Ni pillage, ni balkanisation, ni guerre", s'est défendu Emmanuel Macron, avant d'appeler timidement chacun à "prendre ses responsabilités, y compris le Rwanda". Le président français a annoncé par ailleurs le déblocage d'une aide de 34 millions d'euros, s'ajoutant aux 47 millions promis par l'UE, pour soutenir les populations de l'est de la RDC en proie à la rébellion du M23.
S'exprimant devant les journalistes, les échanges entre les deux chefs d'Etat ont été à plusieurs reprises tendus. "Regardez-nous autrement, en nous respectant, en nous considérant comme de vrais partenaires et non pas toujours avec un regard paternaliste, avec l'idée toujours de savoir ce qu'il faut pour nous", a notamment déclaré Félix Tshisekedi sous les applaudissements de la presse congolaise.
Le dirigeant de la RDC n'a pas digéré l'expression "compromis à l'africaine" utilisée par l'ancien ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, pour qualifier son élection en janvier 2019. "Quand il y a des irrégularités [dans des élections en Occident], on ne parle pas de compromis à l'américaine, à la française", s'est emporté le président congolais.
Juste avant cette conférence de presse, Emmanuel Macron avait discrètement rendu visite au prix Nobel de la paix Denis Mukwege, médecin populaire et pressenti comme candidat à la prochaine élection présidentielle en RDC. Selon les informations de France Inter, l'Elysée n'a rendu cette rencontre publique qu'après le départ d'Emmanuel Macron pour la France. Une nouvelle qui ne risque pas d'arranger les relations entre Paris et Kinshasa.
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