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Tribune "Sans justice, il n'y a plus de démocratie ni de République" : l'Union syndicale des magistrats répond à Fillon et Le Pen

Dans une tribune publiée par franceinfo, l'USM, principal syndicat de magistrats, met en garde les deux candidats à l'élection présidentielle, après leurs violentes charges contre la justice et ceux qui la rendent.

Article rédigé par franceinfo - Virginie Duval, présidente de l'Union syndicale des magistrats
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Des magistrats à la cour d'appel de Paris, le 16 janvier 2017. (CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP)

Ils ont choisi la même ligne de défense. Englués dans les affaires à moins de deux mois de l'élection présidentielle, François Fillon et Marine Le Pen ont choisi d'attaquer la justice et ceux qui la rendent. En meeting à Nantes, dimanche 26 février, la candidate du FN a expliqué que les magistrats étaient là "pour appliquer la loi, pas pour l’inventer". Mercredi 1er mars, le candidat de la droite n'a pas dit autre chose, en affirmant qu'il n'était pas "traité comme un justiciable comme les autres" et que dans l'enquête qui le vise, "l'Etat de droit a été systématiquement violé". Dans une tribune publiée par franceinfo, Virginie Duval, la présidente de l'Union syndicale des magistrats, leur répond. Elle s'exprime ici librement.

L'institution judiciaire est régulièrement accusée de tous les maux. Trop laxiste, trop sévère, trop lente, trop rapide, pas indépendante, politisée... Malheureusement, il est devenu habituel que certains responsables politiques tiennent de tels propos, surtout lorsqu'eux-mêmes ou leurs proches sont concernés par une procédure. Les exemples sont multiples, y compris de la part d'un ancien président de la République.

Les attaques portées contre le corps judiciaire ont atteint, au cours de cette campagne présidentielle, un sommet inédit, au risque de menacer l'Etat de droit. Deux candidats à l'élection présidentielle – Marine Le Pen et François Fillon –, directement visés par des affaires pénales en cours, mettent violemment en cause la justice et ceux qui la rendent.

Des attaques à des fins purement politiciennes

Ces positionnements, visant à faire pression sur la justice, sont très inquiétants de la part de candidats à l'élection présidentielle et traduisent une conception antirépublicaine du rôle de président de la République dans sa mission constitutionnelle de "garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire". En réalité, les prétendus arguments procéduraux des uns ou des autres, souvent infondés, ne visent qu'à troubler l'électorat, à des fins purement politiciennes.

Je rappellerais juste que la loi et la justice sont des biens communs. La première, à caractère universel, est l'expression de la souveraineté populaire, la seconde est rendue au nom du peuple français.

Le Code pénal et le Code de procédure pénale sont assez simples : lorsqu'une infraction est suspectée, une enquête doit être menée, dans le cadre d'une enquête de flagrance ou préliminaire ou, le cas échéant, dans celui d'une information judiciaire. Si les faits paraissent suffisamment caractérisés, une juridiction de jugement est saisie et doit déterminer si la personne mise en cause est coupable ou non de l'infraction reprochée.

Ni la Constitution ni aucune loi ne prévoit une "trêve judiciaire"

L'égalité de tous devant la loi n'est pas un vain principe. Si des aménagements procéduraux limités peuvent être admis pour ne pas entraver – à juste titre –l'exercice démocratique des fonctions de chacun (parlementaires, président de la République pendant son mandat...), ni la Constitution ni aucune loi ne prévoit – heureusement – ce que d'aucuns nomment une "trêve judiciaire".

Comment pourrait-on accepter que des candidats à une quelconque élection soient préservés de toute enquête, du seul fait de leur candidature, s'ils sont soupçonnés d'avoir commis une infraction ?

En adoptant un tel discours, aussi éloigné des fondements de la République, lesdits candidats tentent de se placer au-dessus des lois. Ces mêmes lois qu'ils sont pourtant toujours prompts à faire appliquer, avec sévérité et célérité, pour les citoyens ordinaires.

Virginie Duval, présidente de l'USM

Certes, Marine Le Pen et François Fillon ne sont pas tout à fait des justiciables comme les autres. Tous les justiciables ne bénéficient pas d'une immunité parlementaire les protégeant contre toute mesure de contrainte, jusqu'à une éventuelle levée.

Tous les justiciables n'ont pas, non plus, la possibilité de déverser leur vindicte auprès de millions de personnes par le biais de réunions publiques ou d'interventions médiatiques. Mais pour le reste, les responsables politiques sont soumis, comme tous les citoyens, aux dispositions législatives, qu'ils ont, pour certains, contribué à écrire. Et ils sont bien malvenus à invoquer, comme révélateur d'un pseudo-complot, le supposé manque d'indépendance des magistrats du parquet. Faut-il rappeler que les parlementaires ont refusé la réforme constitutionnelle qui aurait pu lever cette suspicion liée au mode de désignation des procureurs ? Un refus bien utile aujourd'hui, puisqu'il permet de s'en offusquer. Enfin, aucune disposition légale n'empêche une personne soupçonnée d'une infraction d'être candidate à une élection.

"Une infraction est une infraction, quel qu'en soit l'auteur"

N'en déplaise aux élus, qui tirent en effet leur légitimité du suffrage universel, l'institution judiciaire tire la sienne de son indépendance, garantie constitutionnellement, et des conditions de nomination des magistrats définies par une loi organique. Elles émanent toutes deux en réalité du peuple souverain. Il est mortifère pour notre démocratie d'opposer les uns aux autres.

En réalité, toutes ces gesticulations, ces tentatives de déstabilisation des magistrats, ne sont que des manœuvres de diversion, aussi éculées qu'improductives juridiquement, pour éviter d'évoquer les faits reprochés. Il est normal – et même sain dans une démocratie – que des magistrats saisis d'un dossier poursuivent leurs investigations en appliquant la loi établie non pas par eux-mêmes mais par les parlementaires, et ce, quelles que soient les personnes concernées et l’actualité électorale. Car une infraction est une infraction, quel qu'en soit l'auteur.

Au delà de tous ces débats, n'oublions jamais que sans justice et sans séparation des pouvoirs, il n'y a plus ni démocratie, ni République.

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