Procès des assistants parlementaires du FN : comment Jordan Bardella a été rattrapé par l'affaire alors qu'il n'est pas poursuivi par la justice

Dans un livre-enquête, le journaliste Tristan Berteloot affirme que le patron du Rassemblement national a contribué à fabriquer de "fausses preuves" de travail quand il était assistant parlementaire de Jean-François Jalkh en 2015.
Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
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Le président du Rassemblement national, Jordan Bardella, dans un bureau de vote lors du premier tour des élections législatives à Garches (Hauts-de-Seine), le 30 juin 2024. (JULIEN DE ROSA / AFP)

Il n'est pas renvoyé devant le tribunal correctionnel, mais son nom planera sur le procès. Dans un livre-enquête du journaliste Tristan Berteloot, La Machine à gagner : Révélations sur le RN en marche vers l'Elysée, Jordan Bardella est accusé d'avoir, lui aussi, fait partie du "système de détournement" de fonds publics européens qui vaut à 25 personnes, dont Marine Le Pen, et au Rassemblement national (RN), d'être jugés à partir du lundi 30 septembre. Si l'actuel patron du parti d'extrême droite n'est pas sur le banc des prévenus au tribunal judiciaire de Paris et n'a jamais été entendu par les enquêteurs ou les juges dans ce dossier, il a pourtant contribué, selon l'auteur du livre, à fabriquer "de fausses preuves de travail" pour "berner la justice". 

Jordan Bardella a été, durant quelques mois en 2015, l'assistant parlementaire de l'eurodéputé Jean-François Jalkh, qui ne sera finalement pas jugé en raison de son état de santé "très dégradé" après un accident vasculaire cérébral. Selon Tristan Berteloot, son nom apparaît bien dans l'organigramme publié en février 2015 par le Front national (devenu Rassemblement national en juin 2018). Jordan Bardella y est désigné comme "chargé de mission" auprès de Florian Philippot, ancien vice-président du FN, alors qu'il est aussi "censé être l'assistant parlementaire local de l'eurodéputé Jean-François Jalkh".

Pour cette mission de "quatre mois et demi", Jordan Bardella a "perçu un salaire de 1 200 euros net mensuel", soit un coût de "10 444 euros" pour les instances européennes, écrit le journaliste dans Libération, quotidien pour lequel il travaille. Selon les propos rapportés par le journal de l'ancien eurodéputé Aymeric Chauprade, brouillé avec le RN, Jordan Bardella n'a pourtant jamais "rééellement [exercé] ses fonctions" d'assistant parlementaire.

Des revues de presse et un agenda "antidatés"

Fin 2017, deux ans après l'ouverture d'une enquête par le parquet français sur cette affaire, l'équipe de l'étoile montante du RN, alors porte-parole du parti et bientôt candidat aux européennes de 2019, a "prépar[é] un dossier de preuves factices, antidaté de la période où Jordan Bardella était employé comme assistant", avance Tristan Berteloot. Le dossier en question contient des revues de presse régionale "couvrant la période de contrat" comme assistant parlementaire, de février à juin 2015. Problème : "la date de recherche" a été recouverte de "blanco". Sur ces documents, Jordan Bardella "a écrit à la main les mots 'politique locale', 'divers', 'société'".

Dans un autre article publié par Libération, le journaliste reproduit la copie d'un agenda de 2015, livré, selon un bon de commande également reproduit par le quotidien, au siège du Rassemblement national en 2018, puis rempli à la main par Jordan Bardella pour "fabriquer d'autres fausses preuves de travail". Y figurent sur douze pages des dates de réunions plénières et des déplacements à Bruxelles, explique Tristan Berteloot.

Confronté à ces documents dans l'émission "Complément d'enquête" diffusée jeudi 19 septembre sur France 2, Jordan Bardella a reconnu son écriture sur la revue de presse. "Peut-être, et quand bien même c'est la même ? Je ne suis pas concerné par l'affaire des assistants", a-t-il balayé. Il a par ailleurs annoncé qu'il allait porter plainte pour diffamation contre le journaliste.

Une "grossière tentative de déstabilisation" selon le RN

La ligne de défense du président du RN varie selon les interlocuteurs. Alexandre Varaut, ex-avocat du RN et désormais porte-parole du parti dans cette affaire depuis son élection comme eurodéputé, soutient auprès de Mediapart que "l'agenda est un faux. Jordan n'a jamais écrit ces trucs-là. Il a vu, cela ressemble à son écriture, mais ce n'est pas la sienne". Libération maintient de son côté ses informations et précise avoir soumis ces documents "à une analyse graphologique professionnelle". "Celle-ci a conclu qu'il n'y avait que très peu de doutes quant à l'identité de leur auteur".

Dans un communiqué publié début septembre, le parti se défendait de ces accusations en expliquant qu'"alors qu'il était encore étudiant, Jordan Bardella a été employé à mi-temps, du 16 février au 30 juin 2015, pour une rémunération de 1 200 euros net (...) et a travaillé dans ce cadre, sans aucune infraction ni irrégularité, tant au regard du règlement du Parlement européen que de la loi française". "Après avoir entendu Jean-François Jalkh, ni le Parlement européen, ni l'Olaf [l'Office européen de lutte anti-fraude], ni la justice française n'ont trouvé à y redire. Aucun justificatif n'a été demandé et a fortiori versé à la justice", faisait valoir le RN, estimant que "personne ne sera dupe de cette grossière tentative de déstabilisation" avant l'ouverture du procès.

Le parquet de Paris va-t-il se pencher sur ces nouveaux éléments et ouvrir une enquête préliminaire ou une procédure incidente ? Sollicité par franceinfo, il a fait savoir qu'il n'était pas, à ce jour, saisi de cette affaire. Au total, neuf anciens eurodéputés FN, douze ex-assistants parlementaires ainsi que quatre collaborateurs du parti comparaîtront pendant ce procès. Ils encourent une peine maximale de dix ans de prison et d'un million d'euros d'amende, ainsi que des peines complémentaires d'inéligibilité. Le Parlement européen a évalué son préjudice à 6,8 millions d'euros dans cette affaire. 

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