"Il ne négocie pas avec eux" : face au Rassemblement national, la difficile équation de Michel Barnier pour sauver son budget et son gouvernement
C'est leur premier rendez-vous : Michel Barnier reçoit Marine Le Pen à Matignon, lundi 25 novembre à 8h30, première rencontre d'une série de rendez-vous avec les chefs des groupes parlementaires d'opposition. En tant que présidente du groupe le plus important à l'Assemblée, la députée du Pas-de-Calais ouvre le bal, accompagnée de Jean-Philippe Tanguy, président délégué du groupe Rassemblement national (RN) et référent sur les sujets économiques. Le budget sera évidemment au centre de leurs échanges, alors que le parti d'extrême droite brandit plus que jamais la menace d'une censure du gouvernement.
Sur RTL mercredi, Marine Le Pen a assuré qu'elle et ses 123 députés pourraient voter la motion de censure que la gauche déposera lorsque le gouvernement dégainera le 49.3 pour faire adopter le budget en décembre. "Nous n'accepterons pas que le pouvoir d'achat des Français soit encore amputé, (...) c'est une ligne rouge. Et si, effectivement, cette ligne rouge est dépassée, nous voterons la censure", a martelé la triple candidate à la présidentielle, une semaine après les réquisitoires au procès des assistants parlementaires du Front national, dans lequel elle risque une peine d'inéligibilité.
"Michel Barnier nous ignore totalement"
Début octobre, le Rassemblement national avait pourtant choisi de s'abstenir lors du vote sur la motion de censure portée par la gauche, permettant ainsi à Michel Barnier de se maintenir à Matignon. Quelques jours plus tôt, le tout nouveau Premier ministre avait téléphoné à Marine Le Pen pour réfuter les propos de son ministre de l'Economie, Antoine Armand, qui avait exclu le RN de l'arc républicain, dans une interview sur France Inter.
Mais depuis l'épisode du coup de fil, les relations entre Matignon et le RN se sont distendues, voire nettement rafraîchies. "Je trouve ça pour le moins bizarre que Michel Barnier ne nous considère pas : il nous ignore totalement", s'agaçait Renaud Labaye, le secrétaire général du groupe RN à l'Assemblée, auprès de franceinfo le 15 novembre. Le jour même, il a toutefois pu transmettre ce message aux équipes de Matignon, qui l'ont reçu avec Ambroise de Rancourt, le directeur de cabinet de Marine Le Pen.
Quatre jours plus tard, Matignon a fait savoir que Michel Barnier allait recevoir tous les chefs de groupes parlementaires d'opposition, en commençant par Marine Le Pen. Une fleur offerte au parti à la flamme ? Pas du tout, selon les services du Premier ministre, qui ajoutent que cette série d'entretiens était dans les tuyaux de longue date. "C'était une promesse du Premier ministre d'échanger et de dialoguer avec les oppositions. Et ce n'est dans ses habitudes de céder aux coups de pression", assure-t-on à Matignon, pour minimiser la portée des sorties médiatiques du RN.
"Il faut qu'on les traite comme les autres"
"C'est une approche très européenne de recherche du compromis, et pas seulement avec le RN", insiste un conseiller, prenant soin de ne pas donner trop d'importance à la rencontre avec Marine Le Pen par rapport à celles prévues avec les autres chefs de groupes. "Recevoir Marine Le Pen et Mathilde Panot le même jour, ça abaisse un peu Le Pen", sourit un parlementaire du socle commun, avant d'enchaîner : "Il ne faut pas leur donner des points de victimisation, donc il faut qu'on les traite comme les autres, au moins sur le protocole."
A l'approche de ce rendez-vous, les troupes du RN maintiennent la pression sur le gouvernement, dans l'espoir de négocier des mesures. "On a attendu, mais pour l'instant il n'y a strictement rien dans le texte qui corresponde à nos attentes que ce soit en matière de réformes structurelles et de pouvoir d'achat", a déploré Philippe Ballard, le député de l'Oise, au micro de franceinfo dimanche.
"Entre zéro, et reprendre quelques-unes de nos propositions, il y a de la marge."
Philippe Ballard, député RNsur franceinfo
L'élu d'extrême droite a ajouté qu'en l'état actuel du texte, la censure par le RN était "inévitable". "Michel Barnier crée les conditions d'une censure", a renchéri Sébastien Chenu, le député du Nord, sur LCI.
A Matignon lundi, la cheffe de file des députés RN devrait renouveler ses demandes de mesures pour améliorer le pouvoir d'achat des Français, et redire son opposition au relèvement de la taxe sur l'électricité. Le gouvernement espère économiser 3 milliards d'euros en augmentant cet impôt qui aurait pour effet de gonfler les factures des Français. La mesure a été rejetée à l'Assemblée par les députés RN, mais aussi ceux du Nouveau Front populaire et des Républicains, et Michel Barnier a ouvert la porte à son abandon.
"Des échanges se font depuis plusieurs semaines"
C'est toute la difficulté pour le gouvernement Barnier : comment composer avec un parti d'opposition qui peut le renverser au premier 49.3 venu, sans lui donner trop d'importance ? "Pour les classes populaires, s'il y a un effort à faire dans ce budget, ça ne doit pas être à Le Pen qu'on donne le point. Pour l'instant, Michel Barnier respecte et parle avec tout le monde, y compris le RN, mais il ne négocie pas avec eux", souligne Antoine Vermorel-Marques, député LR de la Loire.
Dans l'entourage du Premier ministre, on rappelle que "des échanges se font depuis plusieurs semaines" avec le parti de Marine Le Pen, par divers canaux et via différentes personnalités, comme pour les autres groupes d'opposition. Une façon de dédramatiser les enjeux autour du rendez-vous de lundi entre Michel Barnier et la leader du Rassemblement national. D'autant qu'une partie du socle commun estime que le RN ne mettra pas à exécution ses menaces de censure.
"Je ne crois pas une seconde à ce qu'ils votent une motion de censure à 15 jours de Noël, cela plongerait la France, sans gouvernement et sans budget, dans un chaos économique qu’on a jamais vu, et le RN le sait très bien."
Un député macronisteà franceinfo
"Si Marine Le Pen est dans une logique de renverser table pour précipiter une présidentielle, elle appuiera sur le bouton de la censure quand elle le voudra", avance de son côté Antoine Vermorel-Marques. Le suspense devrait se prolonger tout au long de ce marathon budgétaire, jusqu'à mi-décembre. Une fois le 49.3 dégainé et la motion de censure du NFP déposée, le Rassemblement national devra décider d'abattre ou non sa carte. D'ici là, le parti d'extrême droite compte visiblement la garder en main pour maintenir la pression sur le gouvernement.
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