Budget 2025 : pourquoi le gouvernement de Michel Barnier est de plus en plus menacé d'une censure par le Rassemblement national

Article rédigé par Laure Cometti, Thibaud Le Meneec - avec le service politique de France Télévisions
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Michel Barnier et plusieurs membres de son gouvernement, à l'Assemblée nationale, à Paris, le 12 novembre 2024. (TELMO PINTO / NURPHOTO / AFP)
Marine Le Pen demande à l'exécutif de prendre en compte ses demandes sur le budget, à l'approche d'un mois de décembre décisif, sous peine de faire tomber le gouvernement.

La crise politique va-t-elle s'inviter au pied du sapin des Français ? Le gouvernement en place depuis le mois de septembre n'est pas tombé, mais à l'approche de Noël, les menaces se font de plus en plus précises, notamment de l'extrême droite. Mercredi 20 novembre, Marine Le Pen a fait un pas de plus vers la censure. "Nous n'accepterons pas que le pouvoir d'achat des Français soit encore amputé dans la situation qu'ils connaissent aujourd'hui. C'est une ligne rouge. Si elle est dépassée, alors nous voterons la censure", a lancé la cheffe de file des députés du Rassemblement national sur RTL.

Le parti à la flamme ne prévoit pas de mettre ses menaces à exécution avant les dernières discussions sur le budget, que le gouvernement devrait adopter via l'utilisation de l'article 49.3, lors de la seconde quinzaine du mois de décembre. L'opposition de gauche, forte de 192 sièges à l'Assemblée, a déjà prévenu qu'elle déposerait alors une motion de censure, qui n'aurait de chance d'être adoptée qu'avec le soutien des 124 députés RN, décisif pour renverser le gouvernement de Michel Barnier, 289 voix étant nécessaires à l'Assemblée pour qu'un tel scénario se produise.

Une censure devenue "inévitable" aux yeux du RN

Au diapason de leur dirigeante, les troupes du RN semblent désormais prêtes à débuter l'hiver en trombe. "Ce gouvernement prend la route de la censure", a appuyé mercredi sur RMC Jordan Bardella, président du parti, pour qui le projet de budget "est une aberration". "C'est devenu inévitable", a confié mardi au Monde Philippe Olivier, proche conseiller de la triple candidate à l'élection présidentielle. "On opère une montée en puissance pour censurer", glissait déjà à franceinfo un cadre du groupe, fin octobre : "Le gouvernement ne reprend rien de notre budget, il n'y a pas de dialogue, pas d'avis favorable à ce qu'on défend... Ils ont pourri le débat et ont légitimé l'usage d'un 49.3. Les paroles étaient belles, mais on commence à être déçus."

Dans cette âpre séquence budgétaire, le RN demande à l'exécutif de prendre en compte certaines de ses requêtes. Si elle n'a pas détaillé la liste précise de ses revendications, Marine Le Pen s'est opposée à la hausse des taxes sur l'électricité envisagée par le gouvernement pour dégager trois milliards d'euros, une mesure supprimée par l'Assemblée nationale en première lecture, mais qui pourrait revenir dans l'hémicycle après l'examen au Sénat. "Taper sur les retraités, c'est inadmissible", a également affirmé Marine Le Pen sur RTL. Le gouvernement a pourtant en partie fait marche arrière sur son projet de gel de la revalorisation des pensions pendant six mois, après un compromis au sein du "socle commun" annoncé par Laurent Wauquiez, patron des députés de droite, le 11 novembre. Il est désormais envisagé de revaloriser les retraites de la moitié de l'inflation dès le 1er janvier, mais de ne répercuter la deuxième moitié, au 1er juillet, que pour les pensions inférieures au smic.

Un "contre-feu" au procès des assistants du FN ?

Pour l'heure, le RN reste mécontent de la copie du gouvernement. "Michel Barnier doit penser qu'on ne censurera pas, que ce n'est pas dans notre intérêt, mais c'est une erreur. Si on n'a rien obtenu comme mesure, pourquoi on voterait ce budget ?", résume un stratège du RN. Une partie de poker menteur s'est engagée face aux soutiens du gouvernement. "Le RN s'amuse à vouloir faire peur. Ils veulent mettre de la pression dans le système, c'est une technique de négociation, de mise en scène d'un rapport de force", estime la députée Ensemble pour la République (ex-Renaissance) Prisca Thevenot, alors que Michel Barnier doit recevoir Marine Le Pen lundi, ainsi que l'ensemble des présidents de groupes parlementaires la semaine prochaine.

"Les députés RN ne voteront jamais la censure car ils sont dans un enjeu de respectabilité, donc ils n'ont aucun intérêt à faire tomber le gouvernement."

Prisca Thevenot, porte-parole du groupe Ensemble pour la République

à franceinfo

L'ancienne porte-parole du gouvernement accuse le parti d'extrême droite de "faire diversion" et d'"allumer un contre-feu" au procès de l'affaire des assistants parlementaires du Front national (devenu depuis le RN). Le 13 novembre, les procureurs ont requis contre Marine Le Pen cinq ans de prison, dont deux fermes, et cinq ans d'inéligibilité, avec exécution provisoire. La décision de la justice sera connue début 2025 et celle qui vise la présidentielle de 2027 a déjà annoncé son intention de faire appel d'une éventuelle condamnation.

Quoi qu'il en soit, l'ambiance a bien changé par rapport à la fin de l'été, lorsque le RN se félicitait d'être "incontournable" et d'être correctement considéré par Michel Barnier, à peine arrivé à Matignon. Deux mois plus tard, le RN montre les muscles, ce qui pousse le "socle commun" qui soutient le gouvernement à se perdre en conjectures. "La seule question est de savoir si Marine Le Pen veut tenter l'élection présidentielle anticipée. Si oui, alors c'est la politique de la terre brûlée", redoute un proche du Premier ministre.

"A quoi ça sert de censurer ce gouvernement puisqu'il n'existe aucune majorité, avec trois blocs, et que le président ne peut pas dissoudre ?", s'interroge un ministre auprès de franceinfo, perplexe face aux intentions du RN. "Il y aura un nouveau Premier ministre issu du bloc central, mais ça ne changera pas grand-chose... Ce qui changera, c'est que la France n'aura pas de budget ! On est dans l'irrationnel le plus complet."

Pour le RN, un calendrier délicat

Au sein du RN, plusieurs parlementaires assurent que leur base électorale est favorable à une motion de censure. "Nos militants nous demandent de faire tomber ce gouvernement, et même notre électorat un peu plus bourgeois, ce qui n'était pas le cas auparavant", affirme un cadre du parti. Selon un sondage publié le 15 novembre par l'Ifop (fichier PDF), 47% des Français sont favorables à l'adoption d'une motion de censure contre le gouvernement Barnier, un taux qui grimpe à 57% chez les sympathisants du RN, et qui est en légère hausse par rapport à un sondage similaire (fichier PDF) mené fin octobre.

Dans ce rapport de forces, le timing sera central, alors que Jean-Luc Mélenchon, dimanche sur France 3, a parié sur le vote d'une motion de censure et la chute du gouvernement "entre le 15 et le 21 décembre". S'il survivait au budget, le gouvernement pourrait dérouler d'autres textes, comme il l'a déjà expliqué, avec le retour du projet de loi sur la fin de vie, mais, surtout, l'arrivée d'un nouveau projet de loi sur l'immigration vivement souhaité par le ministre de l'Intérieur, Bruno Retailleau. "Je pense que [Marine Le Pen] va nous censurer parce que c'est sa seule occasion !, théorise un autre ministre. Après, il y a la loi immigration sur laquelle elle ne peut pas nous faire tomber, et rien d'autre."s

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